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LE CAS DES MANTEAUX MĀORI (KĀKAHU)

LES MANTEAUX MĀORI EN QUALITÉ DE TRÉSORS ANCESTRAUX —

Créés essentiellement par des expertes-tisseuses (tohunga) selon une technique de tissage au doigt (whātu) unique, qui ne mobilise ni aiguille ni métier à tisser, les manteaux264 māori (kākahu)

nécessitent, pour voir le jour, au minimum deux années de travail à raison de six heures par jour, cinq jours sur sept. Ils sont confectionnés à partir de Phormium tenax, une plante herbacée fibreuse endémique à la Nouvelle-Zélande. Ils peuvent être bordés de motifs géométriques, recouverts de 264 J’ai choisi de privilégier le terme « manteau » au détriment de « cape » pour désigner ces larges pièces, au départ destinées à envelopper le corps entier du porteur et à le protéger du froid grâce aux matériaux utilisés et traduire l’importance de l’épaisseur ainsi créée. Long et ample, pour que le porteur puisse glisser ses bras dessous, il n’a pas de manches, comme cela a longtemps été le cas des manteaux : « Manteau : vêtement ample, le plus souvent long et sans manches, qui se porte au-dessus des autres vêtements et est généralement destiné à envelopper tout le corps afin de le protéger du froid ou des intempéries. […] Cape : Vêtement de dessus, ample et sans manches, porté par les deux sexes, plus ou moins long, avec ou sans capuchon, selon l'usage de l'époque ou de la mode. » (http://www.cnrtl.fr/definition/manteau ;http://www.cnrtl.fr/definition/cape ; consulté le 01/07/2018). En langue française, ce qui distingue à l’origine une cape d’un manteau, ne réside ni dans le fait qu’il y ait ou non des manches, ni dans la présence d’une fermeture au niveau du cou, mais bien par la présence ou l’absence de capuchon.

plumes ou de cordelettes teintes265.

De forme rectangulaire, ils sont longs — mesurant en moyenne entre 100 cm et 120 cm de longueur pour 120 cm à 140 cm de largeur — et dépourvus de manches, ce qui permet aux personnalités de haut rang (hommes, femmes et parfois enfants) qui ont l’honneur d’en être revêtues de s’en envelopper presque totalement pour se protéger du froid, mais pas seulement. Nous y reviendrons plus longuement dans le chapitre 7 consacré aux enveloppements.

Pour décrire plus précisément les manteaux māori, une première approche utilisant les critères de classement développés par André Leroi-Gourhan et précisés par Hélène Balfet nous sera utiles. Yves Delaporte en offre ici un résumé :

« André Leroi-Gourhan a montré l’avantage qu’il y a à retenir, comme premier critère de classement d’une pièce, son point d’appui et non celui, plus inconstant, de la partie du corps qu’elle couvre. (...) Les autres critères sont un éventuel dégagement des membres, la présence ou l’absence d’ouverture, le degré de proximité du corps, et surtout la structure de la pièce. Par ce dernier terme, on désigne un critère très complexe, qui recouvre trois sous-critères. On distingue, tout d’abord les pièces non façonnées, qui peuvent être étalées à plat, des pièces façonnées qui sont toujours tridimensionnelles. On distingue, ensuite, les pièces qui font l’objet d’une opération de coupe de celles qui sont réalisées à la fabrication du matériau. Cette dernière catégorie, introduite par H. Balfet, présente l’avantage de regrouper un ensemble de pièces apparemment disparates (tricotées, tissées à la forme ou faites, par exemple, d’un assemblage de roseaux) qui trouvaient difficilement place dans les classifications usuelles. Le troisième sous- critère est représenté par la présence ou l’absence d’un assemblage, par exemple par couture. Les autres critères retenus sont le procédé de mise en place, particulièrement important dans le cas des vêtements drapés, l’existence d’éventuels moyens de fixation, et finalement les matériaux constitutifs, qui peuvent être d’une étonnante variété. » (Delaporte, 1990 : 962 963.)

Dans cette perspective, les manteaux māori ont pour point d’appui une ou deux épaules. Ils recouvrent le corps du haut des épaules jusqu’au bas des cuisses, voire au bas des jambes pour les pièces les plus longues. Sous le manteau, les jambes restent libres. Les mains peuvent être dégagées à l’endroit où les deux bordures latérales se rejoignent, le plus souvent au centre du corps. Les manteaux sont sécurisés au niveau du cou par une attache qui peut prendre la forme d’une simple cordelette faite Phormium tenax ou d’une longue épingle (aurei)266 sculptée en os ou en néphrite.

Généralement portés à même la peau, ils peuvent aussi être placés au-dessus d’une autre pièce 265 Annexe II.6 Les différents types de manteaux māori + Annexes des chapitres 8 à 11 en particulier.

textile, comme un costume ou une robe. Autrefois, certains chefs suprêmes māori (ariki) pouvaient superposer plusieurs manteaux, le plus souvent deux (Mead, 1969), comme nous l’étudierons dans le chapitre 11.

Tissées au doigt par torsion, ces pièces textiles d’apparence non façonnées peuvent tenir à plat. Nous verrons dans le chapitre 8, que les manteaux les plus exceptionnels présentent pourtant des lignes de trame ajustées qui permettent de créer des manteaux sur mesure. Réalisés à la fabrication du matériau, ils ne présentent généralement pas de coupes. En revanche, ils font l’objet de différents assemblages ornementaux puisque différents matériaux — Phormium tenax, plumes, fourrures, fibres teintes, etc. — peuvent être mobilisés au moment de leur confection267. Tout au

long de cette thèse, nous verrons que les matériaux utilisés ont une incidence sur l’importance et la valorisation des manteaux dans la société māori de Nouvelle-Zélande Aotearoa.

Les manteaux māori sont toujours créés pour autrui, qu'il s’agisse d’une personne ou d’un groupe. Ils sont encore mobilisés de nos jours lors des grandes cérémonies qui marquent les grands moments du cycle de vie lors des rassemblements qui se déroulent le plus souvent sur l’espace de réunion cérémoniel (marae), notamment dans le cas de rencontres politiques, de remises de diplôme, de mariages, de funérailles, etc. Des expertes-tisseuses continuent, aujourd’hui, d’œuvrer à leur confection. Cependant, depuis le début du XXe siècle, avec l’attrait grandissant des Māori pour

les vêtements manufacturés et la réduction du temps alloué à leur création au profit d’emplois salariés, le nombre de nouveaux manteaux tissés au doigt n’a cessé de diminuer. Ce sont désormais des manteaux rectangulaires de dimension plus petite (mesurant entre 100 cm et 120 cm de longueur pour 120 cm à 140 cm de largeur) que par le passé (les plus grands manteaux pouvaient exceptionnellement mesurer jusqu’à 180 cm de long et 200 cm de large), généralement ornés de plumes, qui reçoivent les faveurs des commanditaires et des expertes-tisseuses. Actuellement, une année qui verrait l’achèvement de plus d’une dizaine de nouveaux manteaux à l’échelle de la Nouvelle-Zélande ferait figure d’année faste.

Peu à peu, les savoirs relevant de la confection, des usages et jusqu’à l’appellation de ces manteaux ont cessé d’être transmis au plus grand nombre pour se limiter aux seuls experts sur le sujet. Du fait de cet écart entre connaissance générale et parole experte, dans la littérature et sur le terrain, en fonction des contextes dans lesquels les manteaux peuvent être amenés à circuler, les termes utilisés pour les désigner sont très variés : kākahu, korowai, kahu huruhuru, kaitaka, cloak,

clothes, coat, cape, mat, etc.268. Sur ce point essentiel de mon étude, je distingue les termes emic,

c’est-à-dire les termes utilisés par mes interlocuteurs sur le terrain, et les termes etic qui sont créés à 267 Annexe II.7 Les manteaux māori dans la littérature scientifique.

partir des observations des chercheurs qui écrivent sur le sujet269.

Mon utilisation de cette nomenclature emic-etic s’éloigne de la proposition initiale du linguiste Kenneth Pike (1967 [1954]) et s’oppose radicalement à celle de Mike Harris (1968, 1976) qui suggéraient une hiérarchisation entre ces deux catégories ; les systèmes de référence etic prévalant, de leur point de vue, sur l’approche emic. À l’instar de Florence Weber (2007 : 17) et de Jean-Pierre Olivier de Sardan (1998), j’envisage les catégories emic et etic en tant que portes d’entrée complémentaires dans différents univers de références qui permettent de mieux comprendre ce que sont les manteaux māori. Qui plus est, dans la lignée d’Olivier de Sardan, j’ajouterai fréquemment un niveau d’analyse supplémentaire : la distinction entre discours populaire et discours savant, qui me sera très utile pour comprendre la terminologie relative aux manteaux māori. L’existence de nombreuses différences entre les termes utilisés, soit dans le discours populaire, soit dans le discours savant, mais aussi entre les termes que privilégient les acteurs sur le terrain (emic) et ceux que les chercheurs sélectionnent (etic) m’ont incitée à appréhender les différentes facettes de ce que sont et de ce que peuvent être ou pourraient être les manteaux māori en fonction des contextes et des acteurs en présence.

Les artefacts textiles māori selon les approches emic ou etic

Dans l’art textile māori, les chercheurs, à l’instar de l’historien de l’art Terrence Barrow, distinguent quatre grandes catégories d’artefacts : les cordages (miro), les nattes (whariki), les paniers (kete) et les vêtements270 (Barrow, 1984). Chacune de ces catégories comprend elle-même

différentes sous-catégories en fonction des matériaux utilisés ou des techniques employées pour leur confection, voire des usages envisagés.

Parmi les vêtements māori, différents artefacts coexistent et sont souvent associés : les manteaux (kākahu), les jupes tressées271 (piupiu) — au sens de vêtement en fibres végétales tressées

portées autour des hanches et qui couvre le corps de la taille jusqu’aux cuisses ou plus bas, pour hommes et pour femmes, que les Anglais nomment kilts —, les ceintures (tatua) et enfin les cache- sexe féminins (maro kopua) — pièces textiles de forme triangulaire uniquement portées par les femmes avant l’arrivée des Européens — (Buck Hiroa, 1924 : 293-298).

En 1924, Elsdon Best, dans l'ouvrage The Māori as he was, présentait plus particulièrement 269 Annexe II.9 Les approches emic et etic des kākahu.

270 Annexe II.5 Les artefacts tissés et tressés māori.

271 Je n’utilise pas le terme pagne : « Vêtement rudimentaire porté par les indigènes des pays chauds, fait d'étoffe, de cuir, de plumes ou de matière végétale, ajusté autour des hanches et qui couvre le corps de la taille aux genoux » (https://www.cnrtl.fr/definition/pagne, consulté le 17/01/2020). Et ce pour différentes raisons : tout d’abord, pour rejeter le caractère rudimentaire ici associé à pagne, les jupes tressées māori sont très complexes à réaliser. Ensuite, pour proposer un terme qui se détache de la vision primitiviste encore souvent associée au terme pagne.

deux principaux types de vêtements utilisés par les Māori à l'époque des premiers contacts avec les Européens : les jupes et les manteaux, avant de préciser quels étaient les termes utilisés par les Māori pour les qualifier :

« With regard to the clothing of these natives there was but little variety in forms, though there were main different designs in their manufacture. The Maori wore but two garments, a kilt and a rectangular fabric to cover the shoulders and body. This latter garment differed in size to a considerable extent, hence they may be divided into two classes, capes and cloaks. […] The terms « kaka », « kakahu », « weru », « weruweru » and « puweru » all denote garments, clothing in general, but in main cases « kakahu » is applied to superior garments only, while rough, inferior ones are styled « puweru » and « weruweru ». […] There is no general term including all capes and cloaks for covering the upper part of the body, so far as I am aware, but each of the many kinds has its own name. » (Best, 1924 : 503-

505.)

Aujourd’hui, les deux artefacts textiles qui continuent d’être créés selon des savoirs traditionnels māori, sont les jupes tressées (piupiu) et les manteaux (kākahu). Les jupes tressées ne sont plus utilisées au quotidien. Elles sont en revanche très recherchées pour les compétitions régionales ou nationales de groupes de narrations dansées (kapa haka)272. Plus rarement, elles

peuvent être portées lors de grands rassemblements (hui) sur l'espace de réunion clanique ou tribal (marae) par un comité d'accueil qui réalise un haka. Les manteaux sont quant à eux presque exclusivement mobilisés en contexte cérémoniel lors de grands rassemblements. Certains peuvent être portés au moment des compétitions de kapa haka, mais dans des proportions moindres que pour le cas des jupes tressées.

À la différence de Best, depuis mes premiers terrains auprès des tisseuses māori, je n’ai jamais observé la mention des termes « puweru », « weru » et « weruweru » pour désigner des manteaux māori. Nous verrons que les termes kakahu et korowai sont fréquemment utilisés et que d'autres termes spécifiques à certains types de manteaux existent. L’usage de « puweru », « weru » et « weruweru » a vraisemblablement disparu au fil du XXe siècle.

Dans Traditional Maori clothing: a study of technological and functional change, Mead explique ces transformations par différents facteurs : 1/ la minoration de la langue māori au profit de l’anglais néo-zélandais ; 2/ la diffusion de la mode des vêtements à l’européenne par les colons et les missionnaires en Nouvelle-Zélande, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle et l’adoption

par les Māori de vêtements manufacturés en Europe (puis plus tard en Nouvelle-Zélande Aotearoa) au détriment des jupes tressées et des manteaux ; 3/ la perte progressive de l’art du tissage māori 272 Annexe V.5. Kapa haka.

(Mead, 1969). Maureen Lander complète cette liste par le travail des missionnaires qui, en prenant en charge la scolarité des enfants māori, contribuèrent à la perte de savoir-faire ancestraux. En particulier dans le domaine textile, puisqu’ils utilisèrent la couture, la broderie, le point de croix et le tricot pour enseigner aux jeunes filles les bonnes manières et façons de faire européennes (Maureen Lander, 2011 : 68-69).

À ces divers freins à la transmission des arts textiles māori est venue se greffer une réduction drastique du temps libre, avec l’augmentation de l’utilisation de la force de travail des hommes et des femmes māori pour le commerce avec les Européens à partir du XIXe siècle.

D’abord pour permettre le commerce des mousquets en échange de cordages fabriqués en fibres d’harakeke, dont il sera question dans les prochains chapitres, et ensuite l’industrialisation progressive du pays à partir du XXe siècle (Mead, 1969 : 129). Peu à peu, la réalisation d’ouvrages

tissés aux dimensions imposantes, dont la confection nécessite du temps et du savoir-faire, s’est raréfiée au risque de disparaître dans les années 1950. De l’avis de mes interlocutrices, si le tissage māori n’avait pas été l’un des leviers de la renaissance culturelle māori dans les années 1970, sa pratique se serait probablement éteinte. Nous y reviendrons dans les prochains chapitres lorsqu’il sera question des circulations des manteaux māori d’une génération à l’autre.

Du point de vue emic, quelle validation formelle et collective pour le terme kākahu ?

Parmi les discours emic savants, la conservatrice māori Awhina Tamarapa utilise le qualificatif kākahu pour désigner les manteaux māori273. En Nouvelle-Zélande, c'est effectivement

ce terme que j’ai le plus souvent lu et entendu, lorsqu’il s’agissait, pour des observateurs māori experts dans l’art du tissage, de désigner les manteaux māori en tant que catégorie classificatoire. Tamarapa traduit kākahu par : « māori cloaks » dans son ouvrage intitulé Whatu Kākahu - Māori

Cloaks (2011)274. On retrouve également dans différents ouvrages écrits par des spécialistes de la

société māori dont Best (1924), Mead (1969) et Pendergrast (1997), la mention du terme kākahu. En langue māori, « kahu » signifie à la fois « enveloppe, surface » et plus précisément « enveloppe protectrice », voire « fœtus », ou encore « grandir, germer, s’étendre » et le préfixe kā s'utilise en tant que marqueur temporel pour indiquer le futur, ou spatial pour induire la direction, et se traduit par « vers » (Ryan 2009 ; Reed & Brougham 1978). Sur le terrain, les expertes-tisseuses m’ont appris à utiliser le terme kākahu pour évoquer tous les manteaux māori, quelle que soit leur forme. Dans les discours en anglais, elles traduisent kākahu par « māori cloaks », voire par 273 Annexes : II.7 Les manteaux māori dans la littérature scientifique + II.7.3 Tamarapa.

274 Cet ouvrage a fait l’objet d’une publication suite à un projet de recherche du Te Papa mené avec des expertes- tisseuses māori sur les collections de manteaux māori issus des collections du musée. Longtemps en rupture de stock, Whatu Kākahu — Māori Cloaks a été réédité en septembre 2019 (Tamarapa, 2019).

« prestigious cloaks ». Cette dernière formulation équivaut à « manteaux de prestige » si l'on fait le choix d’une traduction anglaise littérale. Aussi, au commencement de ma recherche, à défaut de parler de « manteaux māori » j’avais pris l’habitude, dans mes publications et mes communications (Decottignies-Renard, 2011, 2012, 2016a, 2016b), de parler de « manteaux de prestige »275. Cette

appellation, comme nous le verrons ultérieurement, induit une distinction entre des manteaux qui seraient prestigieux et d’autres qui ne le seraient pas. Distinction qui peut tenir au plan etic, mais se délite au plan emic, tant les critères de « prestige » sont variables.

En outre, le terme « cloak » est souvent traduit en français par « cape » ou « manteau ». Les chercheurs francophones avec lesquels j’ai pu échanger sur le sujet, ainsi que les professionnels de musées européens, utilisent tantôt « cape », tantôt « manteau ». Lors de mes interventions dans des cycles de conférences, des séminaires et des colloques, j’ai ainsi dû répondre à plusieurs reprises aux questions et aux remarques suivantes : « Pourquoi ne pas utiliser le mot cape ? C’est pourtant une cape. Il n’y a pas de manches et la fermeture s’effectue au niveau du cou. C’est comme les capes hawaiiennes ! ». Les manteaux māori ne présentent pourtant pas les mêmes formes que les capes hawaïennes et leur confection est différente. Nous y reviendrons dans le chapitre 9 sur les oiseaux et les plumes. La spécialiste des capes hawaiiennes, Adrienne Kaeppler, distingue elle- même clairement les « manteaux māori » et les « capes hawaiiennes » dans ses travaux (Kaeppler, 1993 : 85-87).

Qui plus est, sur le terrain, les tentatives que j’ai pu faire en utilisant le terme cape, voire

coat, pour désigner des manteaux māori ont systématiquement généré des regards interrogateurs,

voire désapprobateurs, et une correction immédiate en ces termes : « You mean [tu veux dire]

cloak! ». La cape est un manteau à capuchon, ce que n’est pas un manteau māori et cela peut

expliquer les réticences de mes interlocuteurs lorsque je tentais d’utiliser le terme anglais cape. En dehors du cercle fermé des expertes-tisseuses māori et des gardiens de trésors ancestraux276 (kaitiaki) , on trouve plutôt les appellations māori cloaks et korowai dans d’autres

discours emic savants et dans la plupart des discours emic populaires sur les manteaux māori. L’usage du terme kākahu ne renvoyait pas toujours spontanément mes autres interlocuteurs māori aux manteaux, mais évoquait plutôt des vêtements au sens large (Barrow, 1984 : 86). À ma grande surprise, j’ai noté que de nombreux Néo-Zélandais, dont des Māori, utilisaient le terme korowai, et non kākahu, pour désigner les manteaux māori dans leur ensemble. Pourtant, les expertes-tisseuses 275 Au sens de capacité reconnue à des entités d'incarner dans leurs aspirations et leurs comportements les valeurs essentielles de la société māori. Outre l’utilisation répétée de ce terme par mes interlocuteurs sur le terrain, en anglais, « prestige » peut être défini en français comme la « qualité de quelque chose, de quelqu'un qui frappe l'imagination, impose l'admiration par son éclat, sa valeur. » (Larousse, 2018).

276 Leur conservation et leurs circulations font l’objet d’un soin spécifique, en particulier pour les plus prestigieux d’entre eux, considérés comme des trésors ancestraux (taonga).

m’avaient bien précisé qu’un korowai était l'une des sous-catégories de kākahu277 et non l’inverse,

et que je ne pouvais pas faire l’erreur commise par beaucoup de désigner la catégorie des manteaux māori par korowai. C’est à ce moment que j’ai réalisé qu’au sein de la société māori contemporaine, très peu de femmes tissaient encore des manteaux māori. Plus encore, j’ai noté que rares étaient les familles dans lesquelles subsistait la possibilité de porter des manteaux en contexte cérémoniel. Je reviendrai plus longuement sur ces questions dans la suite de cette thèse.

Aussi, malgré la désapprobation des expertes-tisseuses, le terme korowai est fréquemment