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Qu’est-ce qu’une molécule “tête de série” ?

3. Trouver des molécules organiques candidates-médicaments

3.1 Qu’est-ce qu’une molécule “tête de série” ?

Une molécule “tête de série” est une molécule qui va interagir avec la cible, pour l’inhiber, l’activer ou modifier son activité d’une quelconque façon. Ce sont donc en général des ligands de la cible. Pour que ces molécules aient une chance de devenir un candidat-médicament, elles doivent en plus posséder des propriétés d’ADME-T satis- faisant certains critères propres à la vie d’un médicament dans l’organisme humain ou animal.

3.1.1 L’affinité pour la cible

Une affinité suffisante est nécessaire pour avoir une activité spécifique sur la cible visée. Actuellement, la valeur médiane de l’affinité observée sur l’ensemble des médicaments commerciaux est 20 nM (cf Fig. n◦10).

Fig. 10 –Distribution des médicaments en fonction de leur affinité [13].

Ainsi, le candesartan, un angiotensin-II recepteur-1 bloquant, présente une IC50

(valeur de la concentration nécessaire pour obtenir une inhibition de 50% de l’activité visée) de 51 pM. En revanche, la nabumatone, anti-inflammatoire non stéroidien, a une IC50de 3,53 µM.

L’affinité peut être liée à la spécificité de la molécule. Mais comme on l’a vu pré- cédemment, celle-ci n’est pas toujours aussi souhaitable qu’on peut le penser. L’approche "un médicament, plusieurs cibles" se développe et remet en question l’importance de l’affinité et de la spécificité du médicament pour sa cible.

La sélectivité peut toutefois être recherchée. Bien que des effets secondaires très gênants aient entrainé son retrait du marché, l’exemple des inhibiteurs de COX-2 illustre l’intérêt de la sélectivité. Les cyclooxygénases ont un rôle clé dans la production de pros- taglandines et sont des cibles validées de certains anti-inflammatoires. En 1993, le gène COX-2 a été découvert et impliqué comme médiateur de la réponse inflammatoire, alors

que COX-1 semblait avoir un rôle dans la protection de la muqueuse gastrointestinale. L’hypothèse suivante a été émise : des inhibiteurs sélectifs de COX-2 auraient les effets anti-inflammatoires souhaités, tout en réduisant les problèmes gastrointestinaux obser- vés avec les autres anti-inflammatoires. Ces deux protéines présentent 64% d’identité et 80% de similarité. Trouver des inhibiteurs spécifiques semblait difficile, mais le canal de fixation du substrat de COX-2 s’est révélé plus large et plus flexible que celui de COX-1, dont Ile434 et Ile523 étaient remplacées par des valines (Val430 et Val511), hydrophobes aussi mais moins encombrantes, dans la séquence de COX-2 (cf Fig. n◦11). Ainsi, le ce-

lecoxib et le rofecoxib ont été testés sur l’animal et ont produit l’effet escompté [102].

Fig. 11 – L’inhibition sélective de COX-2 est rendue possible grâce à la substitution de 2 isoleucines en valine par rapport à COX-1 [102].

3.1.2 Les règles de Lipinski et les propriétés d’ADME-T

Outre une affinité qui lui confère une activité biologique, une molécule tête de série doit pouvoir survivre dans l’organisme humain suffisamment longtemps pour pouvoir exercer cette activité biologique. Les propriétés d’ADME-T de ces molécules se vérifient lors de la première phase clinique, c’est-à-dire chez le sujet sain. Lipinski a défini un ensemble de règles permettant d’estimer la biodisponibilité d’un composé par voie orale à partir de sa structure bidimensionnelle (2D). Ces règles concernant les propriétés physico-chimiques ont été définies après l’analyse de 2245 médicaments commercialisés ou en phase finale de développement [103] :

– le poids moléculaire du composé ne doit pas être supérieur à 500 daltons (Da), – le logarithme décimal du coefficient de partage eau / 1-octanol, noté logP,

doit être inférieur à 5,

– le nombre de donneurs de liaisons hydrogène doit être inférieur à 5, – le nombre d’accepteurs de liaisons hydrogène doit être inférieur à 10.

Les composés dont les propriétés physico-chimiques ne satisfont pas au moins 2 des règles sont fortement susceptibles de présenter des problèmes d’absorption ou de per- méabilité. En effet, moins de 10 % des molécules en phase clinique présentent plus de deux critères en dehors de la gamme préconisée par Lipinski.

De plus, Veber a introduit deux critères supplémentaires à ce qui est aujourd’hui communément appelé "la règle des 5". D’après l’étude de 1100 composés candidats- médicaments chez GlaxoSmithKline, la surface polaire (PSA, polar surface area) du composé doit être inférieur à 140 Å2 et le nombre de liaisons de rotation ("rotatable

bonds" en anglais) doit être inférieur à 10 pour une bonne biodisponibilité par voie orale chez le rat [104]. La surface polaire est représentée par la somme des surfaces des atomes polaires de la molécule (calcul basé sur la topologie de la molécule ou tPSA) et permet de prédire l’absorption intestinale et le passage de la barrière hématoencéphalique. Le calcul de la surface polaire à partir de la structure 3D du composé est possible mais gourmande en temps de calcul. Or, le calcul basé sur la topologie montre une très bonne corrélation avec ces résultats (r2=0.982, [105]). Ces critères peuvent être adaptés à la

cible visée par la molécule. En effet, alors que l’absorption intestinale devient difficile pour un composé de surface polaire supérieure à 140 Å2, 60 Å2 est le seuil maximal

pour le passage de la barrière hématoencéphalique [106].

Ces critères sont aujourd’hui très utilisés dans le processus de découverte de mo- lécules têtes de série et ce, à un stade très précoce. Il est à noter qu’une stringence plus forte sur les règles peut être appliquée lors de la recherche de molécules touches, dans la mesure où celles-ci doivent encore être optimisées pour devenir candidat-médicament. Une étude de Oprea propose que les molécules touches aient un poids moléculaire 100

Da inférieur à celui des molécules têtes de série, un noyau aromatique de moins, 2 liai- sons de rotation de moins et une valeur de logP inférieure d’une unité [107].

Il existe également de nombreux modèles QSAR (Relation Structure-Activité Quantitative) pour calculer les propriétés d’ADME-T d’une molécule [108, 109]. L’une d’elles est fondée sur l’évaluation d’une interaction potentielle avec la glycoprotéine P (Pgp). Pgp est un transporteur membranaire, qui joue un rôle important dans l’ef- flux des molécules médicaments, et donc dans leur pharmacocinétique [110]. De même, l’analyse de la fixation aux cytochromes P450, intervenant dans le métabolisme des médicaments, par des modèles QSAR renseignent sur les propriétés d’ADME-T de la molécule [111, 112]. Cependant, la toxicologie prédictive et la pharmacocinétique pré- dictive in silico restent difficiles.

L’utilisation de ces critères présente cependant des limites dont il faut être conscient. En effet, sur les 1357 médicaments commercialisés, seuls 885 satisfont aux critères de Lipinski [13,113,114].