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2. La réparation de l’ADN et les ADN polymérases adaptatives

2.5 Le phénotype mutateur et les ADN polymérases

Le taux de mutations d’une cellule somatique non exposée à des agents géno- toxiques est estimé à 2.10−7 mutations par gène et par génération [290]. Selon le tissu

auquel elle appartient, une cellule se divisera au plus une centaine de fois et sera sou- mise, au maximum, à une trentaine de mutations. Le nombre important de mutations et d’altérations génétiques observées dans les cellules cancéreuses ne peut donc s’expliquer par les quelques mutations qui échappent au contrôle de la réplication.

L’hypothèse du “phénotype mutateur” propose que l’instabilité génétique des cellules cancéreuses résulte de quelques mutations dans des gènes “gardiens du génome” impliqués dans la réparation et la réplication de l’ADN et dans les points de contrôle du cycle cellulaire. Echappant aux contrôles classiques de la progression du cycle cellu- laire, l’accumulation des mutations peut conférer un avantage sélectif de prolifération à ces cellules. L’instabilité génétique qui en résulte se manifeste à différents degrés [291]. Certaines mutations, grâce à la dégénérescence du code génétique, seront silencieuses, alors que d’autres provoqueront la substitution d’un acide aminé en un autre, l’insertion prématurée d’un codon stop ou l’élimination du codon stop, ce qui peut avoir des consé- quences plus ou moins graves, l’une d’elles étant l’inactivation de la protéine issue de la traduction de ce gène. Ainsi, ces mutations peuvent engendrer, entre autres, l’activation de proto-oncogènes et l’inactivation de gènes suppresseurs de tumeurs.

De plus, l’instabilité génétique peut se manifester à l’échelle chromosomique. Des translocations chromosomiques, la perte d’hétérozygotie, des délétions et des am- plifications géniques, l’aneuploïdie (perte ou gain de chromosomes) sont observées dans de nombreux cancers.

Les cellules cancéreuses présentent la capacité à proliférer indéfiniment, alors que les cellules saines entrent en sénescence après un certain nombre de divisions. Alors que l’hypothèse du phénotype mutateur tente d’expliquer comment des perturbations de la réplication et de la réparation de l’ADN conduisent à la progression tumorale, d’autres études permettent de déterminer quels sont les événements précis qui trans- forment une cellule normale en une cellule tumorale. En effet, certaines modifications précises, qui ne seront pas discutées dans ce manuscrit, permettent aux cellules de s’affranchir des contraintes limitant leur prolifération. Ces changements génétiques et épigénétiques conduisent à l’accumulation de mutations. Le débat se situe au niveau de la nécessité d’accumuler des mutations pour tranformer une cellule saine en cellule tumorale, puisque ces mutations peuvent être considérées à la fois comme cause du dé- veloppement tumoral et comme conséquence de la prolifération intensive des cellules.

L’hypothèse du phénotype mutateur provient des observations d’une forte varia- bilité génétique dans les cellules tumorales et de défauts dans la surveillance du génome qui prédisposent à certains cancers. Ainsi, les mutations ou inactivations par méthy- lation du promoteur de gènes impliqués dans la réparation des mésappariements sont à l’origine du syndrome HNPCC (“hereditary non polyposis colon cancer”), syndrome associé à un risque important de cancer colorectal. Des mutations dans BRCA1, gène impliqué dans la réparation des cassures double brin, prédisposent aux cancers du sein et de l’ovaire. De même, un défaut dans la réparation et la tolérance de lésions dues aux UV, associé à un variant de pol η chez les porteurs du syndrome Xeroderma pigmento- sum variant (XPV), favorise le développement du cancer de la peau.

Cependant, l’hypothèse de l’instabilité génétique comme élément nécessaire à la tumorigénèse peut être réfutée par des données montrant que des lignées non tumorales présentent un taux de mutagénèse élevé [292, 293]. On peut donc concevoir que l’effet du phénotype mutateur est d’accroître considérablement la probabilité qu’un gène né- cessaire au contrôle de la prolifération soit dérégulé. Ces dérégulations et les mutations qui peuvent survenir sont souvent corrélées à des phénotypes d’instabilité génétique et à un développement tumoral.

La dérégulation des ADN polymérases est très probablement difficilement tolé- rée par la cellule. Cependant, l’analyse de lignées tumorales du foie et du colon a permis d’identifier des mutations hétérozygotes de pol δ au niveau du site catalytique et du domaine exonucléase [294–296]. De plus, des mutations homozygotes dans le domaine exonucléase conduisent les souris aux développements de lymphomes et de cancers épi- théliaux, illustrant l’hypothèse du phénotype mutateur, puisque la baisse de fidélité d’une des ADN polymérases réplicatives conduit au développement tumoral [297,298].

La dérégulation des ADN polymérases adaptatives a été observée de nombreuses fois dans des tissus tumoraux. L’analyse d’un nombre conséquent de biopsies de cancers du poumon, de l’estomac et du colon révèle un niveau élevé de transcrits de pol θ [299]. Une étude concernant une grande diversité de cancers a révélé des cas de sous-expression (poumon, estomac, colon) et de surexpression (poumon) de pol κ [300, 301]. Les déré- gulations de ces polymérases peuvent également conférer un phénotype mutateur à la cellule et participer à la tumorigénèse dans des modèles animaux.

Le cas particulier de la déficience de pol η est devenu un paradigme de la TLS in vivo. Cette ADN polymérase est capable de répliquer de façon fidèle en face d’une lésion cyclobutane thymine-thymine, lésion majoritaire après irradiation de cellules par les UV, et de poursuivre l’élongation de la synthèse [302]. Les personnes atteintes du syndrome Xeroderma pigmentosum variant sont déficientes en pol η, soit en raison d’un défaut d’expression, soit en raison de l’expression d’une protéine inactive, et présentent une prédisposition au cancer de la peau [303,304]. Bien que la majorité soit réparée par NER, les lésions persistantes au moment de la réplication nécessitent l’intervention de la TLS par pol η pour une réplication fidèle [305]. L’intervention probable d’une autre ADN polymérase induit de nouvelles mutations, dues à l’infidélité de la TLS [306].

Ainsi, les protéines impliquées dans la réplication et la réparation de l’ADN, comme les ADN polymérases, peuvent être à l’origine d’une instabilité génétique dans les cellules où elles sont dérégulées, dans un sens ou dans l’autre, ou exprimées sous des formes anormales. Le lien de cause à effet avec le cancer est encore difficile à établir : soit la perturbation de l’expression de ces enzymes provoque de l’instabilité génétique et constitue l’une des causes de la cancérogénèse, soit elle est une conséquence des nombreuses dérégulations observées dans les cellules cancéreuses et elle participe à l’ag-

gravation du phénotype prolifératif de la cellule et donc au développement tumoral. Je vais maintenant m’intéresser en particulier à l’ADN polymérase beta (pol β), sur laquelle mes travaux de thèse ont porté.