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3. L’ADN polymérase beta

3.2 Aspects fonctionnels au sein de la cellule

Dans les cellules humaines, le gène POLB se trouve sur le bras court du chromo- some 8 (en 8p11.2). Les 14 exons qui composent ce gène ont une taille comprise entre 50 et 233 paires de bases, et la taille totale du gène est de 33 kb [318]. Bien qu’un épissage alternatif de l’exon 2 ait été mis en évidence, la forme majeure de l’ARNm est de 1,4 kb. La région codante pour pol β est composée de 954 paires de bases, ce qui en fait la plus petite des ADN polymérases avec un poids moléculaire de 39 kDa et 335 acides aminés. Etant la première ADN polymérase adaptative découverte, elle est l’une des plus étudiées à l’heure actuelle.

Pol β est exprimée de façon ubiquitaire chez la souris et le rat [319, 320]. L’ex- pression de l’ARNm est plus abondante dans les testicules, le cerveau, le thymus et la rate, alors qu’il est faiblement présent dans le cœur, le rein et le foie. L’expression de la protéine est faible, constitutive et indépendante des phases du cycle cellulaire dans les cellules de mammifères [319,321].

3.2.1 La réparation par excision de base

Pol β est requise pour le BER. Elle est principalement impliquée dans la voie “brèche courte” du BER, puisque son substrat préféré est un ADN présentant une brèche

d’un nucléotide avec une extrémité 5’-phophate [322,323]. Ce mécanisme de réparation intervient lors de mésappariemens G-T et G-U, de la présence de sites abasiques et d’ad- duits de type monofonctionnel provoqués par des agents alkylants, et lors de la présence de dommages oxydatifs [324]. Il est illustré sur la figure n◦29. Deux voies sont associées

à ce mécanisme : la voie brèche courte et la voie brèche longue. Les protéines associées à ces deux voies diffèrent. La voie brèche longue, minoritaire, diffère de la voie brèche courte par le fait que l’extrémité 3’OH est étendue sur plusieurs nucléotides provoquant un déplacement de brin [325].

Fig. 29 – La réparation par excision de base [277]. En présence d’une base uracile par exemple, la voie brèche courte est réalisée in vitro par le recrutement de pol β, après l’action de l’uracil DNA glycosylase (UDG) et le clivage en 5’ du site apurinique/apyrimidinique [326–328]. Une alternative à cette voie est la voie brèche longue, qui est minoritaire et cinétiquement plus lente [329]. Ceci est due, après l’incision par APE1, au déplacement du brin contenant le résidu dRP. PCNA recrute et active FEN1, qui excise la structure supplémentaire d’ADN, puis la ligase I réunit les brins d’ADN [330, 331].

La génération de cellules KO pour pol β a confirmé son rôle biologique dans la voie de resynthèse d’ADN par BER [322]. En effet, même si leur croissance est normale,

les cellules KO pour pol β sont hypersensibles au MMS (Méthylméthane sulfonate), agent méthylant les purines. Les lésions causées par cet agent sont éliminées principa- lement par BER “brèche courte”. De plus, l’expression de mutants dépourvus d’activité catalytique mais ayant une activité dRP lyase intacte dans des cellules KO pour pol β révèle une résistance au MMS proche de celle observée dans les cellules sauvages. L’ac- tivité de synthèse d’ADN n’est donc pas indispensable à la survie des cellules traitées au MMS, alors que l’activité dRP lyase l’est [332]. Pol β réalise une réparation fidèle par BER.

Pol β intervient également dans le BER “brèche longue”. Dans ce cas, elle réa- lise la synthèse processive de 6 nucléotides [330, 333]. L’intervention de pol β dans ce mécanisme a été montrée sur des cellules KO pour pol β très sensibles au traitement par la methoxamine, dont les lésions sont réparées par le BER brèche longue [334].

Le choix de la voie BER est influencé par le type d’ADN glycosylase qui re- connaît la lésion [335]. La reconnaissance par une ADN glycosylase mono-fonctionnelle, suivie du clivage en 5’ du site abasique par APE1 (APurinique / APyrimidinique Endo- nucléase 1) conduit à la formation d’une extrémité 5’-dRP éliminée très lentement par le domaine de 8 kDa de pol β, car ce n’est pas le substrat reconnu par la dRP lyase. En revanche, lorsque la lésion est reconnue par une ADN glycosylase bifonctionnelle comme OGG1, la formation d’extrémités 3’OH et 5’-phosphate permet la prise en charge di- rectement par le BER voie courte. L’activité lyase de pol β permet l’élimination du 5’-ribophosphate et laisse une extrémité 5’-phosphate qui permet la synthèse d’ADN pour remplir la brèche.

Par ailleurs, pol β interagit avec la protéine chaperone XRCC1, qui elle-même interagit avec l’ADN ligase III [326, 336–338]. XRCC1 pourrait diriger le BER vers la voie courte et éviter le déplacement de brin. L’interaction de pol β avec PCNA, qui interagit avec FEN1 active la voie brèche longue [330]. L’interaction avec APE1 active l’activité dRP lyase [339]. La protéine p53 semble également importante puisqu’elle stimule le BER in vitro et que sa présence est corrélée à l’activité du BER dans les cellules [340, 341], par une interaction avec APE1 et pol β, ce qui permettrait le recru- tement de pol β au niveau du site abasique [342].

Son interaction avec les protéines PARP (poly(ADB-ribose) polymérase 1) et XRCC1 implique également pol β dans la réparation des cassures simple brin [343]. L’intervention d’une polynucléotide kinase permet la phosphorylation de l’extrémité 5’- OH d’une brèche d’un nucléotide pour obtenir un substrat efficacement réparé par pol β et la ligase I [344]. Par ailleurs, d’autres études suggèrent un rôle pour pol β dans la recombinaison méiotique, en raison de son haut niveau d’expression dans les testicules de rat et de sa présence sur les axes des complexes synaptonémaux pendant la prophase de la méiose [345].

3.2.2 Synthèse translésionnelle

Par ailleurs, des expériences in vitro ont montré que pol β est capable d’effec- tuer de la synthèse translésionnelle, notamment face aux adduits Pt-d(GpG) créés par l’action du cisplatine sur deux guanines adjacentes [346, 347], mutagène dans 42% des cas, et par l’oxaliplatine, encore plus efficacement que le cisplatine [348]. Les lésions O- méthylguanine peuvent également être répliquées si elles sont situées dans une brèche de quelques nucléotides, ainsi que les lésions N-guanin-8-yl-acetyl-2-aminofluorène, les lésions thymine glycol, les résidus urée, certains diastéréoisomères du benzo[a]pyrène- 7,8-dihydrodiol 9,10-epoxide et le propanodeoxyguanosine [349–353] ou les lésions pro- voquées par le peroxyde d’hydrogène [354], les radiations ionisantes [355] et les UV, comme les dimères de cyclobutane pyrimidine [356]. De plus, cette synthèse translésion- nelle étant mutagène, pol β potentialise l’effet mutagène de ces agents.

La surexpression de pol β conduit également à une augmentation de la sur- vie après traitement des cellules par des agents comme le cisplatine, le melphalan et la méchloréthamine, accompagnée d’une forte augmentation de mutations [357]. Cette observation peut s’expliquer par la capacité de TLS mutagène de pol β face aux lé- sions platine. Par contre, les dommages créés par les radiations ionisantes et les stress oxydatifs sont plus toxiques pour ces cellules [354,355]. La sensibilité aux radiations io- nisantes a été exliquée par une interaction de pol β avec TRF2 et un dysfonctionnement du maintien de l’intégrité des télomères, conduisant à de l’instabilité génétique [358].

Le franchissement du cisplatine est facilité lorsque pol β réalise une synthèse processive pour le remplissage d’une brèche de 1 à 6 nucléotides médié par PCNA. Par contre, il est plus mutagène lors d’une synthèse distributive. Pol β incorpore préféren- tiellement une thymine en face de la lésion. Elle peut également incorporer une cytosine en face d’une 8-oxoguanine. Par contre, le franchissement de cette lésion induit une réplication mutagène dans son voisinage [359, 360]. Pour favoriser le franchissement du site abasique, pol β réalise un déplacement de la matrice afin d’incorporer un nucléotide complémentaire de la base située en 5’ de la lésion, ce qui peut conduire à la délétion d’un nucléotide s’il n’y a pas réalignement de la matrice [361].

3.2.3 Fidélité de pol beta

Comme indiqué précédemment, in vitro, pol β commet beaucoup d’erreurs, puis- qu’elle incorpore environ un nucléotide incorrect pour 5000 bases répliquées. Plus l’ADN qu’elle doit synthétiser est long, plus son taux d’erreurs est élevé [362]. Des explications ont déjà été données, notamment l’absence d’activité 3’-5’ exonucléase et sa distribu- tivité puisque les erreurs commises sont davantage des délétions que des substitutions. Cependant, pol β présente également une faible capacité à discriminer les nucléotides

de leurs analogues, expliquant également son taux important de mutations. En particu- lier, elle incorpore aussi efficacement le dCTP que le ddCTP (didésoxyribocytosine- triphosphate), qui est un terminateur de chaîne et donc un inhibiteur de la répli- cation [363]. La surexpression de pol β est d’ailleurs associée à une sensibilisation des cellules au 2’-3’ déoxycytidine [364, 365]. Pol β peut également incorporer la 6- thioguanine [366], le 8-oxoguanine et le 8-NH2-dGTP, même en face d’une adénine, ce qui est d’autant plus mutagène [367]. Pol β incorpore également des agents géno- toxiques, comme le 6-thioguanine [368], ainsi que des ribonucléotides [366].

Pourtant, pol β réalise une synthèse fidèle lors de la réparation par BER, permet- tant dans ce cadre-là, une réparation efficace et non mutagène des dommages. En effet, des études in vitro ont montré que lors du remplissage d’une brèche de 1 à 6 nucléotides, pol β réalisait une synthèse fidèle. Le caractère fautif de pol β se révèle lorsqu’elle est recrutée pour des mécanismes dont elle n’est pas spécifique. Notons d’autre part que, si la fréquence de substitutions est d’environ 10−4 lors du remplissage d’une brèche de 5

à 6 nucléotides, la synthèse d’une brèche d’un seul nucléotide est 500 à 10000 fois plus efficace et 10 à 100 fois plus fidèle [362,369,370].