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2. Les cibles thérapeutiques

2.6 Les limites de l’approche basée sur la cible

Malgré ses succès, l’approche basée sur la cible montre ses limites. Souvent, cette approche est restrictive du fait qu’il est difficile de tenir compte de toutes les voies mé- taboliques dans laquelle une cible peut être impliquée et d’anticiper les répercussions possibles lors de la modulation de son activité. Les modèles KO pour la cible sont in- téressants mais ne tiennent pas compte d’une possible adaptation des cellules, voire de l’animal, pour pallier à l’absence totale de la cible [41,42]. A ce propos, la technique des siRNA (pour "small interfering RNA") permet de réduire spécifiquement et efficacement l’expression d’une protéine de façon réversible et présente donc un comportement plus proche de la molécule médicament que le KO [96,97]. De nombreux exemples confirment l’intérêt de cette approche [98]. Par exemple, l’inhibition par siRNA de l’expression du gène de la survivin a considérablement réduit la croissance de certaines tumeurs, révé- lant l’importance de ce gène comme cible thérapeutique du cancer [99].

D’autre part, cet aspect restrictif ne permet pas d’anticiper les effets secondaires non souhaités, car le système biologique qu’est l’humain est trop complexe pour pou- voir prévoir les répercussions sur d’autres tissus par exemple. D’ailleurs, Imming met en garde contre le piège du réductionnisme dans la compréhension des bases molécu-

laires de l’action d’un médicament [86]. C’est la raison pour laquelle les inhibiteurs selectifs de COX-2 (Cyclooxygenase-2) ont dû être retirés du marché momentanément. La sélectivité de ces anti-inflammatoires par rapport à COX-1 permettait de limiter les problèmes gastrointestinaux induits par l’inhibition simultanée de COX-1 et COX- 2 par des anti-inflammatoires non spécifiques de COX-2. Bien que le mécanisme soit aujoud’hui éclairci, personne n’aurait pu prévoir au moment de sa mise sur le marché que ces médicaments seraient responsables d’effets indésirables comme des infarctus du myocarde.

A l’inverse, on peut aussi être surpris parfois du peu d’effets secondaires de mo- lécules peu spécifiques. Par exemple, les statines, largement prescrites pour diminuer les taux élevés de cholesterol dans le cadre de l’hypercholesterolémie, interfèrent avec la biosynthèse du cholesterol en inhibant HMG-CoA (HydroxyMethyl Glutarate) reduc- tase. Ceci veut dire que les statines interfèrent aussi avec la biosynthèse des résidus farnesyl, des acides choliques, des hormones sexuelles et des corticostéroides. Or, de façon étonnante, ces médicaments présentent peu d’effets secondaires, qui sont de plus passagers [40].

Par ailleurs, la spécifité d’association cible-pathologie n’est pas toujours aussi forte que ce qui peut être déduit d’analyses basées sur la cible. L’approche basée sur la cible pousse l’industrie pharmaceutique à trouver des molécules très spécifiques, avec l’idée sous-jacente de limiter les effets secondaires. Pourtant, des molécules peu spé- cifiques, appelées "médicaments sales" ou "dirty drugs", sont commercialisées et très efficaces [100]. Le plus "sale" des anti-arhythmiques, l’amiodarone, est aussi le plus ef- ficace. Pareillement, l’effet de la papaverine, relaxant des muscles lisses, résulte à la fois d’une inhibition de la cyclique nucléotide phophodiesterase, du blocage d’un canal cal- cique et d’une activité antagoniste sur le récepteur adrénergique alpha, activités toutes aussi nécessaires les unes que les autres [86]. De même, le clozaril, prescrit contre la schizophrénie, est efficace justement parce qu’il cible plusieurs protéines à la fois. Amé- liorer la spécificité n’a pas accru son efficacité, ni réduit les effets secondaires. De fait, les maladies cardiovasculaires, le cancer et les troubles psychotiques résultent davantage d’anomalies moléculaires multiples que d’un seul défaut [101].

La polypharmacologie n’est pas nouvelle, mais son importance pour le traitement de certaines maladies est actuellement réalisée. Bien que difficile à mettre en place de façon rationnelle, elle permet de limiter les phénomènes de résistance [100]. Le meilleur exemple récent en la matière est sûrement le Gleevec® (Novartis) ou imatinib mesylate. Malgré un marché restreint, Novartis a développé un inhibiteur de la tyrosine kinase chimérique BCR-ABL, issue d’une translocation chromosomique caractéristique des leu- cémies myéloides chroniques et responsable de la prolifération des cellules leucémiques, à partir de sa structure cristallographique. Son activité sur d’autres kinases, comme

c-KIT, PDGF (platelet-derived growth factor) et un récepteur des cellules-souches, lui permettent aujourd’hui d’être utilisé pour le traitement d’autres cancers, notamment les tumeurs stromatolithiques gastrointestinales.

Aujourd’hui, l’accent est mis sur la nécessité de valider les nouvelles cibles thé- rapeutiques sur des systèmes les plus complexes possibles, pour revenir à des approches basées sur les systèmes biologiques, tout en tenant compte des détails moléculaires au- jourd’hui compris. Comme l’expliquent Hood et Perlmutter [41], trois points sont essen- tiels dans la découverte de nouvelles molécules efficaces. Le premier est l’identification de cibles thérapeutiques pertinentes. Le second est la découverte d’un médicament qui va pouvoir perturber de façon appropriée la cible. Le troisième est l’évaluation la meilleure possible des effets secondaires et des propriétés pharmacologiques du médicament avant le lancement des essais cliniques. L’approche basée sur les systèmes biologiques est for- tement susceptible d’améliorer le premier et le dernier point de ce processus en terme de succès clinique.

Cependant, une fois la cible thérapeutique validée, tant dans le principe mis en œuvre que dans les effets secondaires pouvant survenir, trouver des molécules candidates- médicaments qui viendront moduler son activité, ce qui correspond au second point selon Hood et Perlmutter, devient la priorité. La suite de ce manuscrit s’attache à présenter les techniques majeures de ce domaine.