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5. RMN et conception de médicaments par fragment

5.3 La RMN : un outil de criblage

5.3.3 Détection par l’observation du ligand

Les méthodes de criblage basées sur l’observation du ligand reposent sur la grande sensibilité de ses paramètres RMN aux différences entre état lié et état libre. Ces composés, d’un poids moléculaire inférieur à 500 Da, présentent des temps de re- laxation longitudinaux et transversaux longs, des corrélations NOE d’intensité faible et de signe opposé à celui des pics diagonaux et des coefficients de diffusion translation- nelle importants. Les protéines, en revanche, ont un temps de relaxation transversale court, des corrélations NOEs intenses et de même signe que les pics diagonaux, une diffusion de spin rapide et des temps de diffusion moléculaire longs. Quand un ligand se lie à un récepteur de taille importante, il adopte ses caractéristiques RMN. Ainsi, le contrôle des changements dans les paramètres RMN du ligand permet de détecter la liaison au récepteur. En effet, l’état transitoire de liaison accompagné de la mobilité translationnelle et rotationnelle réduite du récepteur se manifestera par des coefficients de diffusion et des paramètres de relaxation modifiés du ligand.

La liste des méthodes de criblage basées sur l’observation du ligand qui suit n’est pas exhaustive, par exemple les expériences basées sur la relaxation paramagnétique ou sur la relaxation du19F ne sont pas présentées.

Les temps de relaxation : La comparaison du temps de relaxation transversale T2

d’un ligand en l’absence et en présence du récepteur est le test le plus classique de détection d’une interaction par RMN. En effet, le taux de relaxation transversale R2

= 1/T2 est fortement dépendant du temps de corrélation rotationnelle τc. Lorsque le

ligand se lie au récepteur, il adapte a fortiori le temps de corrélation rotationnelle du récepteur et τc,boundligand ≈ τc,recepteur. Nous nous trouvons donc dans les conditions

favorables décrites précédemment où τc,boundligand τc,f reeligand⇔ R2B R2F.

Les étapes principales sont les suivantes. Tout d’abord, des mesures de R2 sont

réalisées sur les composés à cribler seuls avec un délai de relaxation Trlx fixé. Les inten-

sités des pics sont proportionnels à exp(−R2FTrlx). Une autre mesure de R2en présence

du récepteur donne des pics d’une intensité proportionnelle à exp(−R2,obsTrlx). Comme

R2,obs > R2F, les pics des molécules liées seront sélectivement atténués et la soustraction

des deux spectres révelera seulement les ligands effectifs.

Des variations du temps de relaxation du récepteur peuvent gêner l’interpréta- tion des données. Le spectre de mesure du R2du récepteur peut également être soustrait.

Un autre point important pour l’interprétation des données est de choisir un mélange de ligands tel que le recouvrement spectral soit minimal, afin que chaque ligand puisse être identifié sans ambiguité.

Le taux de relaxation longitudinal R1 est beaucoup moins utilisé dans la me-

sure où des protons de chaque ligand du mélange doivent être sélectivement inversés, ce qui limite le débit du criblage. En revanche, des expériences de compétition avec un ligand connu éliminent cette étape de recalibration des impulsions sélectives des ligands testées, puisque seul le ligand rapporteur est observé.

Le transfert de saturation : La différence de transfert de saturation (STD, Satu- ration Transfer Difference) est une méthode aujourd’hui largement utilisée pour le cri- blage de ligands. Le spectre STD résulte, comme son nom l’indique, de la soustraction de deux spectres, dits "on-resonance" et "off-resonance". L’expérience "on-resonance" consiste en une saturation sélective de la magnétisation d’un proton du récepteur par un train d’impulsions radiofréquence. Généralement, des groupements méthyls de la protéine fortement blindés et souvent hors de la fenêtre spectrale des petites molécules organiques sont utilisés. La saturation sélective se propage grâce à la relaxation croisée aux autres protons de la protéine. La diffusion de spin est d’autant plus efficace que la taille du récepteur est grande. Lorsqu’une molécule se lie au récepteur, la relaxation croisée proton-proton intermoléculaire a lieu à l’interface récepteur-ligand et permet aux protons du ligand situés à cette interface de recevoir une partie de la saturation du récepteur (cf Fig. n◦22 l’illustration du principe). Cette saturation persiste une fois

le ligand dissocié du récepteur en raison du temps de relaxation longitudinale long des petites molécules. Le site de liaison du récepteur est alors libre pour que d’autres ligands puissent également recevoir une partie de la saturation. La population de ligands libres saturés augmente à la vitesse d’échange du ligand, conduisant à une amplification de la quantité de ligands saturés, et donc de QB. Ainsi, une faible concentration de récepteur

permet la saturation d’une population importante de ligands, pourvu que le KD soit

adapté. L’expérience "off-résonance" sert de référence. La saturation sélective est telle qu’aucun signal RMN n’est perturbé.

La soustraction des deux spectres ne contient que les signaux qui ont été saturés. Comme le récepteur est présent en faible quantité, ses signaux ne sont pas visibles et si ce n’est pas le cas, un filtre T1ρ ou T2 en amont de la détection permet d’éliminer les

Fig. 22 –Principe de la différence de transfert de saturation. Voir texte pour plus d’explications [245].

Pour quantifier l’amplification des résonances, le facteur d’amplification du STD, AST D a été introduit [246]. Comme la réponse STD est proportionnelle à la concentra-

tion du complexe [EL], l’intensité des pics IST D (qui correspond au paramètre observé

Qobs, QF = 0) peut être définie comme IST D = CαST D[EL], où C est une constante

appropriée à la conversion des unités, et αST D est un facteur sans dimension qui re-

présente le maximum d’amplification STD. L’intensité I0 est mesurée sur l’expérience

"off-resonance" et est simplement proportionnelle à la concentration en ligand LT, d’où

I0 = CLT. Nous avons donc :

ηST D = IST D I0 = αST D [EL] LT = αST DfBL fBL =  × fBE avec  = LT ET

De ces deux équations, nous pouvons définir AST D :

AST D = ηST D = 

IST D

I0

= αST D[L]

[L] + KD (12)

A l’équation 12 correspond une courbe hyperbolique dose-réponse du même type que l’équation 11, et est analogue à la célèbre équation de Michaelis-Menten (cf équa-

tion 7). AST D augmente donc jusqu’au maximum d’amplification possible αST D atteint

quand le récepteur est complètement saturé, c’est-à-dire quand LT  KD. L’approxi-

mation de l’échange rapide et le fait que   1 permet d’approximer [L] par LT. Une

titration par le ligand permet donc d’estimer le KD.

La gamme d’affinité détectée par le STD, sous l’hypothèse de la vitesse d’asso- ciation limitée par la diffusion, est estimée à une gamme allant de 100 nM à 10 mM. En effet, si KD > LT, tous les récepteurs ne seront pas saturés, la population de ligands sa-

turés sera faible et le signal STD ne sera pas détecté. Pour des affinités trop fortes, kof f

sera long et le taux d’échange sera trop faible. Si la durée de vie du complexe dépasse le temps de relaxation R1 du ligand, le ligand libre "oubliera" sa visite du récepteur

saturé, puisqu’il relaxera plus vite que le récepteur ne sature de nouveaux ligands, et le signal STD disparaîtra également [247].

Un des avantages majeurs du STD est que la taille du récepteur n’est pas une limite, au contraire plus la taille du récepteur est importante, plus efficace sera la dif- fusion de spin (temps de corrélation rotationnelle important), et plus efficace sera le transfert de saturation de la protéine au ligand. La limite se situe plutôt au niveau des récepteurs de petite taille, typiquement inférieure à 10 kDa, ce qui est rare pour des cibles pharmacologiques. De plus, les concentrations en protéine requises sont faibles, de l’ordre du micromolaire, et la protéine n’a besoin d’aucun marquage. Plusieurs li- gands peuvent être testés en même temps sous la réserve que leurs spectres proton ne se recouvrent pas. Les ligands doivent être solubles dans un tampon où la protéine est soluble et dans la conformation voulue, à des concentrations qui peuvent être de l’ordre de la centaine de micromolaire, dans la mesure où c’est l’excès de ligand par rapport à la protéine qui intervient. D’ailleurs, dans les mesures de KD, la concentration en protéine

n’intervenant pas, la comparaison des expériences est possible même si les quantités de récepteurs ne sont pas les mêmes. De plus, le STD est une méthode rapide puisque les spectres sont des spectres proton 1D.

Cette technique a par exemple été utilisée pour l’identification de ligands de HRV2 (human rhinovirus serotype 2), un complexe macromoléculaire de 8500 kDa. Des interactions peptide-ligand ont pu également être caractérisées par STD pour leur liai- son à la région extracellulaire de l’integrine αIIbβ3 reconstituée en liposomes [248]. Des

expériences sur des plaquettes sanguines ont permis d’affiner ces résultats en révélant une réponse STD 5 fois plus forte que sur les liposomes [249]. De plus, le STD a pu être utilisé pour révéler l’épitope de liaison du ligand. En effet, les protons à l’interface ligand-récepteur reçoivent une saturation plus forte, permettant de répérer les protons les plus impliqués dans la liaison et de déterminer l’orientation du ligand par rapport au récepteur. La cartographie d’épitope a été réalisée sur le β-D-galactoside en interaction avec la lectine RCA120 (Ricinus communis agglutinin I de 120 kDa) et a confirmé les

données issues des tests de liaisons de différents dérivés du galactose [246].

Le STD est donc une technique de choix pour le criblage de ligand, et sa capacité à définir l’épitope de liaison peut contribuer au succès du "SAR by NMR", dans la me- sure où l’orientation du ligand est nécessaire à l’étape de liaison des deux fragments. Les protons qui ne sont pas impliqués dans un signal STD seront utilisés pour la liaison au second fragment alors que les protons saturés devront être conservés pour l’interaction au récepteur.

L’effet NOE transféré : La relaxation croisée σIS entre les protons I et S dépend

de la distance entre les deux protons, mais également de leur temps de corrélation rotationnelle τc. Plus une molécule présente un poids moléculaire grand, plus son temps

de corrélation rotationnelle est élevée et plus l’effet NOE est intense. De plus, pour une molécule de faible poids moléculaire, l’intensité est positive, alors qu’elle est négative pour des molécules de haut poids moléculaire (cf Fig. n◦23) [250].

Les effets NOE intramoléculaires d’un ligand sont observés sur un spectre 2D- NOESY en l’absence et en présence du récepteur. Si une liaison au récepteur a lieu, le ligand adopte transitoirement le temps de corrélation rotationnelle du récepteur. Dans l’approximation de l’échange rapide, la relaxation croisée σIS observée correspond alors

à la somme sur les états libre et lié de la relaxation croisée, pondérée par la proportion de chaque population :

σIS = fFσFIS+ fBσBIS

Etant donné que dans l’état lié la relaxation croisée est plus intense et négative, on a fBσISB  fFσFIS et donc une résultante négative, alors que σIS du ligand seul est

positive. On peut alors observer sur le spectre NOESY une inversion du signe des pics de corrélation du ligand. Le spectre des molécules qui ne se sont pas liées demeure inchangé.

Fig. 23 – L’effet NOE dépend fortement du temps de corrélation rotationnelle, et donc de la masse moléculaire. Un objet de petite taille diffuse plus rapidement et présente des NOEs d’intensité positive et faible, alors qu’un récepteur ou un ligand lié à un récepteur ont un poids moléculaire plus important et présentent des NOEs négatifs et plus intenses. La courbe représentée correspond à l’équation de Solomon exprimant l’intensité relative au maximum de l’intensité NOE pour un système homonucléaire à deux spins en fonction de ω0τc : ηN OE =

5+(ω0τc)2−4(ω0τc)4

10+23(ω0τc)2+(ω0τc)4, où ω0est la fréquence de Larmor du spin étudié, et τcle temps de corrélation rotationnelle de la molécule à laquelle appartient le spin [250].

Cette technique, comme le STD, nécessite peu de protéines non marquées, puisque les ligands gardent la mémoire de l’effet NOE des protéines une fois libres si le taux d’échange est suffisamment rapide pour que le changement de signe soit dé- tecté, ce qui est généralement le cas pour des valeurs de KD comprises entre 10 µM et 1

mM environ. Bien que l’analyse soit rapide, et que plusieurs ligands puissent être testés en même temps, le temps d’acquisition d’une expérience 2D-NOESY est plus important que celui d’un spectre STD. Des expériences 1D peuvent être conçues mais présente l’inconvénient déjà mentionné de la nécessité d’inverser sélectivement des protons de chaque ligand. Ce facteur a permis au STD de supplanter la méthode des NOEs trans- férés, mais cette technique reste appropriée pour le criblage de ligands.

Le transfert de NOE permet toutefois de déterminer la conformation bioac- tive du ligand, une information encore une fois utile à la mise en place du "SAR by NMR" [251, 252]. Le "SAR by ILOE" (Inter-Ligand Overhauser Effect) repose sur le principe des NOE transférés et se révèle être un outil puissant pour l’application du "SAR by NMR". Le principe est illustré sur la figure n◦24.

Fig. 24 –Principe du "SAR by ILOE" [253].

Dans cette approche, un effet NOE est détecté entre les deux fragments com- plémentaires lors de leur rapprochement grâce à leur liaison à la protéine. Ce NOE, appelé ILOE, va permettre de connaitre l’orientation relative des deux molécules dans leur conformation bioactive et guidera l’étape de liaison de ces deux molécules pour obtenir un inhibiteur de haute affinité.

Cette stratégie a été appliquée à la recherche d’inhibiteurs de la kinase p38, responsable de la biosynthèse de cytokines inflammatoires et de TNF et impliquée dans des maladies inflammatoires. Elle a conduit à la synthèse d’un composé actif avec une IC50de 0.71 µM [253].