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Qu’en est-il des céramiques et des dessins préservés au musée d’Orsay ?

A. Les références médiévales européennes

5. Qu’en est-il des céramiques et des dessins préservés au musée d’Orsay ?

Trois céramiques, conservées au musée d’Orsay, retiennent l’attention de cette thématique.

- Les deux premiers vases forment une paire133, en faïence blanche avec décor poly-chrome de petit feu.

Si on compare avec MOD 470, l’analyse révèle une grande si-militude entre les deux motifs. On retrouve les mêmes élé-ments décoratifs principaux : le lion héraldique couronné, les poignards et les fleurs de lys. La couronne reprend les mêmes couleurs et les mêmes bijoux dessinés, même si sa structure diffère sur son contour supérieur. L’ombrage des deux lions est très similaire sur les deux œuvres, tandis que le corps est orienté vers la gauche sur le dessin, dans le sens de la tête, et vers la droite, opposée à la tête. Le lion se trouve armé d’un sabre sur le vase, et là où les poignards décoraient le dessin, des fleurs de lys les remplacent sur la faïence.

(Fig. 37 : GALLÉ Émile, Vase d’une paire, faïence, Paris, musée d’Orsay, Photo (C) Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais.)

Le choix de changer la posture du lion – sur ses quatre pattes pour le dessin et redressé sur deux pour le vase – s’explique peut-être par la différence de silhouette de l’objet à orner. Sur le dessin, un objet très bombé et pansu semble esquissé. Allonger le lion permet d’occuper plus d’espace et de jongler entre figure héraldique centrale et ornements individuels (poignards, fleurs de lys). Le même procédé de rythme et de positionnement se retrouve sur le vase vertical, avec l’animal redressé.

132 Marcel Schwob (1867-1905), écrivain français, à fois conteur, poète, érudit, traducteur.

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- Le dernier exemple est une saucière du service Chasseurs et Chasseresses. Le musée de l’École de Nancy conserve de

nombreux éléments tirés de ce service134, com-plété par cet exemplaire du musée parisien. En parallèle de l’étude précédente, du modèle MOD 470 toujours, on retrouve une application du modèle de rinceaux qui est abondamment re-pris par Gallé dans ce service, afin d’accompa-gner les scènes animées. Les rinceaux sont au-tant imporau-tants que les figures ; ils rythment et habillent l’action, pour donner toujours la sen-sation d’isolement des personnages dans une nature chatoyante et vibrante.

(Fig. 38 : GALLÉ Émile, Saucière et sa soucoupe du service Chasseurs et Chasseresses, faïence, Paris, musée d’Orsay, Photo (C) Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais.)

B. Les œuvres dessinées.

Quelques dessins du musée d’Orsay permettent de faire des liens entre la production d’inspiration médiévale dessinée de Gallé et des œuvres de terre.

- Pour poursuivre dans la définition du registre héraldique dans une temporalité médié-vale, une planche réunit des rinceaux de plantes et de fleurs dans les tons or, rouge, bleu et vert, destinés à orner des porte-couteaux et salières :

(Fig. 39 : Atelier Gallé, Décor pour porte-couteaux et salières : légumes et fleurs héraldiques, aquarelle et crayon, Paris, musée d’Orsay, Photo (C) Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais.)

Même si le décor du service Chasseurs et Chasseresses ne reprend pas un décor de fruits et de légumes, la stylisation des couleurs et du trait est comparable aux motifs héraldiques des Ate-liers Gallé.

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- Cette illustration en couleurs d’un homme en costume de seigneur, cerclé d’un cadre végétal, participe de la définition du costume médiéval, maîtrisé par les ateliers Gallé.

L’inspiration médiévale se retrouve par le couvre-chef, modèle historiquement apparu au XIVème siècle. Le lévrier est égale-ment un animal emblématique de cette période historique ; il était employé par les nobles pour la chasse. Le dessin est référencé comme un modèle pour le service Cluny135.

(Fig. 40 : Atelier Gallé, Seigneur en costume du XVème siècle et son lévrier, aqua-relle, mine de plomb, rehauts de blanc, rehauts d'or, Paris, musée d’Orsay, Photo (C)

Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais.)

- En plus des modèles du MEN, le musée d’Orsay en conserve deux exemples de béni-tiers, très proches de l’autre – puisqu’ils seraient une reproduction identique du motif, en variant l’application de la couleur- qui s’axe autour du symbole du pélican. Il est moins associé à une plante particulière qu’un registre floral de rinceaux et d’inscriptions religieuses chrétiennes (la main de dieu tournée vers le médaillon centrale) : ARO1986-704 dessine un projet entier, dont la couleur de fond principale est le rouge ; ARO1986-705 détaille plutôt la finesse des motifs, leur agencement dans un ton bleu. On retrouve la forme de croix de Lorraine pour le bénitier, couvert de palmettes et de plantes abondantes. Le pélican reste le symbole central du registre décoratif.

Le dessin Six pièces de forme décorées présente un autre exemplaire de bénitier en forme de croix de Lorraine, mais on ne peut cependant distinguer autre chose que la couleur du modèle, bleu, rouge et blanc.

135 Le MEN en conserve un exemplaire : une assiette en faïence stannifère blanche avec camaïeu bleu et jaune de grand feu, présentant une scène galante.

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- L’emploi de la cive comme élément d’encadrement ré-apparaît pour le Modèle de jardinière en faïence composée de

trois rangées de quatre cercles, à décor aquatique136, cette fois-ci pour faire voir un décor aquatique. Un poisson saute hors d’une vague, accompagné de trois alevins sur sa gauche. Les poissons mis en scène dans l’art de Gallé le sont souvent pour eux-mêmes : ils honorent le monde aquatique sans ornements très fournis. Ils rappellent le registre japonisant que l’on sait très apprécié et maîtrisé par Émile Gallé – l’écume d’ailleurs est tirée des estampes japonaises : La Grande vague de Kanagawa (Annexe 25).

L’élément médiéval principal est la superposition des cives sur le sujet animal, pour donner au spectateur une vue à la dérobée. Ce motif plaît par le cadrage inattendu qu’il reproduit, comme pour la scène médiévale du dessin MOD 613. L’alignement et le nombre de cives est identique.

- Enfin, une variante de la procession de Jeanne d’Arc fait partie de cette liste137.

La représentation de la procession est identique à celle du dessin du musée de l’École de Nancy, à l’exception de son cadrage et de sa direction ; le dessin est orienté vers le bord gauche de la feuille. Le panel de couleurs est bien plus nuancé que le modèle conservé au MEN. L’applica-tion des couleurs est intéressante à remarquer parce que l’apposiL’applica-tion de tant de détails et de nuances se rapporte, au premier coup d’œil, à une œuvre en verre (par la transparence et les possibilités de glaçures). Mais, visiblement, les inscriptions manuscrites au crayon précisent que ce décor doit finir sur une faïence – alors que la technique est celle de l’aquarelle (plus translucide).

La découpe du modèle entre cadrages, géométriques colorés, profondeurs des champs et zooms dans les cadrages, lui donne une intensité qui aide à comprendre le sujet. Les hérauts sur la

136 GALLÉ Émile, Étude, musée d’Orsay, aquarelle et crayon sur papier, Paris, musée d’Orsay, Photo (C) Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais.

137 GALLÉ Émile, Modèle de décor pour un vase en faïence : cortège du sacre de Charles VII, aquarelle, dessin au crayon, rehauts d'or, sépia, Paris, musée d’Orsay, Photo (C) Musée d'Orsay, Dist. RMN-Grand Palais.

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gauche annoncent le début de la procession pour le couronnement de Charles VII, qui, s’avance dans le premier cadre géométrique –sous le dais et accompagné des attributs royaux (l’hermine, la couronne, le spectre) – séparé des autres éléments par le cadre (à sa gauche) et le lâcher de colombes (à sa droite, mais aussi au premier plan du dessin, à partir du page agenouillé ouvrant la cage placée à ses pieds). À l’extrémité droite du cadre où est figuré Charles VII, on distingue un cavalier ; celui-ci est dessiné une seconde fois, plus proche du regard par un zoom dans son encadrement bleu-vert. Il s’agirait de Jeanne d’Arc en armure portant une bannière ornée de fleurs de lys et de trois saints – Sainte Catherine, Sainte Marguerite et l’archange Saint Michel, dont elle aurait entendu les voix.

Le parallèle fait avec le dessin du musée de l’École de Nancy permet d’éclairer l’erreur qui avait été soulevée lors de la description du dessin sur sa fiche d’inventaire. En effet, la diffé-rence sur les détails des deux dessins rend difficilement identifiable la présence de Jeanne d’Arc dans la procession, parce que rien ne peut la distinguer des autres soldats, tandis que la figure royale ne peut pas laisser de doute. La lecture de la procession est beaucoup plus aisée sur le modèle du musée d’Orsay, et garde le même message de souhait de libération de l’Alsace-Moselle de la présence allemande.