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Animaux et insectes sacrés, symboles des dieux

B. Égypte

3. Animaux et insectes sacrés, symboles des dieux

Animaux et insectes sont l’ornementation principale du corpus égyptisant. On retrouve (Annexe 31)

- le motif d’Horus faucon, deux fois ;

- un rapace traité de façon réaliste (peut-être un troisième ornement d’Horus) ; - quatre scarabées égyptiens ;

- deux sauterelles, faisant décor de médaillons ;

- d’autres insectes dessinés très sommairement, servant d’ornements secondaires pour les fonds de jardinières ou vide-poches ;

- enfin, dans le même dessin, d’autres animaux sacrés : deux taureaux dont un ailé, et un ibis.

A. Les scarabées, différence de traitement des autres insectes.

Trois des quatre scarabées dessinés prennent place dans des médaillons centraux. Quant au quatrième, il vole ailes déployées sur une aile d’Horus comme sujet princi-pal, au milieu de lotus en bouton et fleuris.

Ces ornements sont très soignés ; des antennes en passant par le rendu métallique de la couleur, le spectateur comprend quel insecte est figuré. Les quatre scarabées sont animés, soit volant, soit légèrement décalés par rapport au cadre. Pour deux d’entre eux, ils sont identiques, avec une variation dans la vivacité des coloris seulement, et l’action se caractérise par la position des pattes.

De tous les insectes représentés, ce sont ceux qui ont une signification sacrée. Khépri (le Soleil

en devenir) représente le soleil, comme une renaissance, et la transformation. Sa forme humaine

est un corps humain surmonté d’un scarabée à la place de la tête. Il pousse un disque solaire devant lui, et devient Rê quand le soleil est au zénith, Atoum au soleil couchant.

Ils permettent à l’artiste industriel de placer la nature en sujet principal pour les œuvres égypti-santes. Les scarabées des dessins MOD 12 et MOD 14 sont peints de façon très réaliste, avec de nombreux détails pour différencier les parties du corps de l’insecte. Les couleurs sont éga-lement très fidèles. On retrouve ici l’esprit du botaniste et du scientifique, tenant à représenter la nature avec grande véracité. Ce travail contraste avec la forme du support et l’emploi de couleurs assez sombres mais fantaisistes (surtout pour le rose foncé). L’attention se concentre encore plus sur les insectes.

Sur MOD 133 et 407, les scarabées sont identiques donc, dans un traitement moins réaliste. L’artiste joue sur la couleur de l’ensemble de la composition pour créer une carapace dorée aux motifs symétriques de son fait. Ces médaillons sont prétextes à une pure ornementation. Il ne s’agit plus d’être proche de la réalité, mais d’exploiter les connaissances entomologiques pour donner à voir une créature vraisemblable.

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Cette dernière idée s’applique pour, justement, les représentations d’insectes qui ne sont pas des scarabées.

Que ce soit les sauterelles (MOD 136, MOD 407), les papillons (MOD 136 et MOD 137) et les insectes très sommaires des dessins MOD 133 et MOD 407, tous sont traités avec une certaine stylisation, et sans doute une grande part d’invention de la part du dessinateur. Les insectes sont issus d’un travail créatif à part entière, qui accompagne ou qui détermine la tonalité de la com-position, entre sujet et ornementation.

Dans d’autres corpus de l’artiste, on retrouve la même technique de représentation des insectes (Annexe 32). Gallé s’inspire du travail de J.-J. Grandville, à partir des caricatures de ce dernier. Il ajoute une certaine transparence dans ses coloris, et parfois les traits paraissent discontinus, pour créer la stylisation. Tout paraît léger et translucide, même en utilisant de la gouache, par ce procédé.

Fig. 111 : GRANDVILLE Jean-Jacques, Les Métamorphoses du jour, lithographie, 1828-1829.

B. Horus faucon : forme et ornementation.

Il n’y a que trois dessins qui reprennent le symbole d’Horus, pour la forme de trois modèles, et aussi son ornementation.

Fig. 112 : Atelier Gallé, Étude pour une

jar-dinière, crayon et gouache sur papier fort.

Fig. 113 : Atelier Gallé, Étude pour une

jar-dinière, crayon, gouache et encore sur

pa-pier.

Fig. 114 : Atelier Gallé, Étude de décor

égyptien, crayon et gouache sur papier

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C’est sans conteste le motif qui est le plus abouti de ce corpus. Gallé se sert à la fois du faucon pour déterminer la forme des jardinières et des vide-poches, avec l’idée du corps d’un côté, la tête ne regardant pas forcément dans la direction du corps, et les ailes déployées de l’autre côté qui forment le récipient, se rejoignant à leurs extrémités.

Ces dessins exploitent le motif en lui donnant une matérialisation en trois dimensions, par con-traste pour le troisième dessin d’une ornementation plus réaliste. Les plumes des ailes autorisent une harmonie des coloris en apposant un grand nombre de nuances, qui se dégradent pour cer-taines. Tandis que le rapace dans le médaillon est traité comme un modèle naturaliste.

L’objectif n’est pas de reproduire une œuvre issue de l’Égypte antique, mais de s’inspirer de modèles flagrants pour renouveler le registre décoratif de l’artiste, et ainsi des Établissements Gallé. Le motif est valorisé dans ses courbes, ses ombres et sa forme, plus fantaisiste que pra-tique.

« En imitant ces types, les Égyptiens suivaient de si près la forme naturelle, qu’ils ne pouvaient guère manquer d’observer les mêmes lois que les œuvres de la nature déploient sans relâche : c’est pourquoi nous trouvons, que l’ornement égyptien, tout en étant traité d’une manière conventionnelle, n’en est pas moins toujours vrai. Nous n’y voyons jamais un principe naturel appliqué mal à propos ou violé. D’un autre côté les Égyptiens ne se lissaient jamais porter à détruire la convenance et l’accord de la représentation par une imitation du type par trop servile. Un lotus taillé en pierre, formant le couronnement gracieux du haut d’une colonne, ou peint sur les murs comme une offrande présentée aux dieux, n’était jamais un lotus tel qu’on pourrait le cueillir, mais une représentation architecturale de cette plante, représentation on ne peut mieux adaptée, dans un cas comme dans l’autre, au but qu’on avait en vue, car elle ressemblait suffisamment au type pour réveiller dans ceux qui la contemplaient l’idée poétique qu’elle devait inspirer, mais sans blesser le sentiment de la convenance. 214»

Gallé va au-delà de la représentation architecturale, c’est-à-dire généraliste et géométrique, pour apporter son style propre à ces représentations. Il n’est pas dans une conception visuelle antique, à savoir représenter les choses dans leur essence spirituelle, mais bien dans une vue d’arts décoratifs : créer de la nouveauté en interprétant des influences, selon le goût du XIXème siècle.

C. La représentation d’autres animaux.

L’ibis et les taureaux sont des occurrences à la mythologie égyptienne. Ils sont présentés sur le même modèle, MOD 137. Le taureau non ailé est dans un cercle, sur la partie supérieur du dessin. L’ibis est tracé au milieu de la composition, au-dessus du taureau ailé.

L’ibis est une représentation de Thot, dieu lunaire du savoir, parce que l’ibis est capable de différencier une eau potable d’une eau non potable, ce qui lui octroie un caractère sage. Il

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est vu comme un passeur de savoir, passeur notamment parce qu’il connait de nombreuses choses qu’il transmet à l’écrit. Le langage égyptien est inventé par lui, selon son mythe. Thot est aussi un dieu « de la nuit » parce qu’il est juge des âmes dans le tribunal d’Osiris.

Reconnaître à quels dieux les deux taureaux sont inspirés est plus difficile, car il existe plusieurs dieux à forme de taureau. Sa forme ailée est très rare ; ce motif est sans doute repris par Gallé pour apporter une touche spirituelle et sacrée à ces créatures.

Selon la signification du dieu, sa représentation est liée à un moment du jour : au matin, Apis est associé à la vie, avec le dieu Rê, accompagné du disque solaire entre ses cornes. Ce n’est pas le cas ici ; le taureau est en revanche dessiné dans un cercle doré à fond bleu clair. Au soir, Apis relève d’Osiris, et s’apparente au culte funéraire, autour de la mort, qui est toujours renou-velé par le lever du soleil.

Ce dieu renvoie au cycle continu de la vie, qui semble mourir quand la nuit pointe et revivre lorsque le soleil apparaît à l’horizon.

La composition de ce dessin sera étudiée un peu plus loin215 ; les quelques animaux représentés puisent leur origine dans la mythologie. Gallé n’a pas choisi des animaux au hasard. Il se sert de symboles spirituels égyptiens pour décorer ses modèles. Les couleurs ne sont pas fidèles aux représentations antiques, elles sont choisies pour permettre d’identifier et de distin-guer les créatures vivantes entre elles, et surtout à travers la composition complexe qui les ras-semble. Leur représentation est à mi-chemin entre un naturalisme caractéristique (par la cou-leur) et une représentation symbolique.