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Publicités de promotion des traitements : pistes et controverses

Tandis que cette étude visait également à documenter les opinions à propos des publicités sur le traitement du jeu, celles-ci ont été nommées d’emblée comme étant un moyen susceptible de déclencher la demande d’aide, en faisant connaître les traitements, mais également en agissant sur les perceptions du joueur, entre autres face à son problème de jeu et son besoin d’aide. Il est exprimé qu’il serait souhaitable d’augmenter la diffusion des publicités de traitement et pour ce faire, une variété de canaux de communication est envisagée. Toutefois, entre les groupes et à l’intérieur même des groupes, les avis sont très partagés quant au contenu que devrait avoir une bonne publicité de traitement. Les divergences observées seront donc discutées.

D’abord, certains thèmes ressortant de la présente étude rejoignent des arguments au sujet des publicités de traitement existantes mis de l’avant dans l’étude menée par Simoneau et ses collaborateurs (2012), c’est-à-dire qu’il est souhaitable de parler des conséquences du jeu pathologique ainsi que de favoriser l’identification à la publicité, notamment en ce qui concerne le type de JHA. Alors que l’analyse de publicités existantes ne constituait pas un objectif de recherche spécifique de ces chercheurs, la présente étude permet d’approfondir et de nuancer ces thèmes, en plus d’évoquer d’autres questionnements liés au contenu des publicités.

L’effet des stimuli liés au jeu. L’utilisation de stimuli liés au jeu dans les publicités

groupe. Tandis qu’il a été nommé au sein des deux groupes que ceux-ci sont attrayants et utiles pour rejoindre les joueurs, l’idée qu’ils pourraient avoir un effet iatrogène en suscitant le désir de jouer plutôt que de favoriser une demande de consultation a été soulevée et ce, seulement chez les joueurs n’ayant jamais consulté. Ceci fait écho aux effets indésirables documentés à l’égard de certaines publicités visant à encourager la consultation pour la dépression, qui pouvaient entre autres avoir pour impact d’amplifier la croyance normative reliant la dépression au suicide plutôt que d’augmenter les intentions de consulter (Klimes-Dougan & Lee, 2010).

Par ailleurs, l’effet potentiellement négatif des stimuli liés au jeu dans les publicités de traitement semble plausible, considérant les principes du conditionnement classique qui peuvent survenir dans le cas d’une dépendance au jeu, certains stimuli et états internes associés aux activités de jeu ayant le potentiel de devenir conditionnés et de susciter à eux seul une activation et par le fait même, le désir de jouer (Giroux et al., 2013; Sharpe, 2002; Wulfert, Maxson, & Jardin, 2009). Certains travaux menés auprès de joueurs problématiques suggèrent d’ailleurs que les publicités de promotion du jeu puissent avoir l’effet d’inciter à jouer (Papineau, Boisvert, Chebat, & Suissa, 2012). Ce même effet pourrait-il se produire dans le cas de publicités de traitement du jeu? La recherche disponible actuellement n’offre pas de réponse claire à cette question. Toutefois, les données d’un sondage Léger Marketing commandé par l’Institut National de Santé Publique du Québec (INSP) apportent un éclairage à ce niveau. Ce sondage effectué en février 2011 visait à évaluer la compréhension et la notoriété de la campagne de prévention Mise sur toi, découlant de Loto-Québec. Parmi les 1000 Québécois sondés, 80% auraient vu au moins l’un des messages de la campagne et 45% d’entre eux estiment que les messages n’informent pas bien des risques et dangers associés aux JHA (Papineau et al., 2012). De plus, 20% des sondés pensaient que les messages visaient à encourager la pratique du jeu. Les chercheurs proposent quelques hypothèses explicatives, notamment le fait que le jeu au poker est illustré de façon anodine, sans présenter les risques associés à cette pratique, ce qui aurait pu avoir un effet banalisant et susciter la confusion chez le téléspectateur. Dans le même ordre d’idées, une étude menée par Lemarié et Chebat (2015) auprès de 190 joueurs suggère que les messages de sensibilisation financés par l’industrie des JHA puissent avoir pour effet d’améliorer les attitudes envers cette industrie ainsi que

d’augmenter les intentions de jouer, et ce seulement dans une condition où ces messages sont présentés seuls. Pour expliquer ce résultat, les auteurs font appel à la théorie du «two- sided communication», proposant qu’une information négative véhiculée au sujet d’une marque ou d’un produit n’est pas nécessairement nuisible, surtout lorsque le message est transmis par le biais de cette même marque (Crowley & Hoyer, 1994). Notons qu’encore une fois, ce sont les messages préventifs de Mise sur toi qui ont été utilisés lors de cette expérimentation. Considérant que la campagne Mise sur toi incluait des références visuelles aux JHA très claires dans ses messages préventifs, il est également possible de penser qu’une association ait eu lieu par le biais de ces stimuli, qui peuvent être présentés de façon similaire dans une publicité de promotion des JHA. Il serait pertinent d’investiguer si un effet semblable est susceptible de se produire avec une publicité visant à promouvoir les traitements du jeu, ainsi que d’évaluer si l’utilisation des stimuli liés au jeu dans ce genre de publicité pourrait contribuer spécifiquement à cet effet favorable envers les JHA.

Notons par ailleurs que l’idée que les stimuli liés au jeu puissent susciter le désir de jouer est ressortie seulement chez les joueurs n’ayant jamais consulté. Ceci pourrait possiblement être lié au fait que les joueurs ayant récemment complété une thérapie sont davantage désensibilisés face à de tels stimuli, ayant tous pris part à un traitement de plusieurs semaines dans lequel différents aspects liés au jeu ont été discutés et travaillés, ce qui pourrait avoir eu pour impact de désamorcer le conditionnement dont il a été question précédemment. D’autres études seraient toutefois nécessaires afin de vérifier cette hypothèse, puisque ce thème pourrait être signifiant malgré qu’il n’ait pas été nommé au cours de l’entretien de groupe. Ainsi, il serait pertinent d’en savoir plus sur l’effet des stimuli liés au jeu utilisés dans les publicités, et ce en fonction des caractéristiques des individus (p. ex. les croyances à l’égard des JHA, le type de joueur, le niveau de reconnaissance du problème de jeu).

Favoriser des prises de conscience ou user de séduction? Lors des deux entretiens

de groupe, l’idée de mettre en scène les conséquences négatives associées au jeu pathologique dans les publicités afin d’heurter émotionnellement les joueurs et de susciter un processus de réflexion menant vers la demande d’aide a été énoncée sous différentes formes (p. ex. par le biais de témoignages, d’une gradation des conséquences des problèmes

de jeu). Dans le même ordre d’idées, il est suggéré au sein du groupe de joueurs ayant récemment complété une thérapie de choquer les joueurs, mais plutôt par le biais d’informations sur le fonctionnement des JHA, notamment en ce qui concerne les cognitions erronées liées au jeu (p. ex. expliquer les probabilités de gain de façon objective). Ces participants semblent donc considérer que le fait d’avoir accès à ces apprentissages qu’ils considèrent marquants au cours de la thérapie pourrait aider les joueurs à cheminer vers l’entrée en traitement, notamment par la prise de conscience qu’ils ont été bernés par les fausses croyances quant aux JHA.

Toutefois, au sein des deux groupes, il a également été soulevé que le fait de miser constamment sur les conséquences associées aux problèmes de jeu pourrait avoir un effet négatif important, notamment en suscitant un sentiment de culpabilité chez le joueur, ce qui pourrait l’amener à décrocher de la publicité, par exemple en décidant volontairement de tourner la page du journal. Ceci nous laisse croire que le fait de toucher à la corde sensible de la culpabilité pourrait rebuter certains joueurs qui pourraient potentiellement bénéficier des services d’aide, mais qui préfèreraient ne pas être confrontés à ce pénible sentiment. D’ailleurs, au sein du groupe de joueurs n’ayant jamais consulté, il est verbalisé qu’il serait souhaitable de s’éloigner des publicités axées sur les conséquences et la souffrance afin de miser sur des éléments plus positifs tels que les gains concrets associés à l’arrêt du jeu et à l’admission en thérapie. De plus, le fait d’inclure des solutions concrètes en lien avec le changement des habitudes de jeu dans les publicités, afin d’accrocher le joueur et de lui offrir des outils rapidement, produirait une publicité de traitement axée sur les solutions et l’espoir.

Ainsi, deux perceptions assez distinctes de ce qui pourrait constituer une publicité de traitement efficace pour inciter les joueurs à consulter semblent se dégager : l’une axée sur les conséquences du jeu pathologique et les fausses croyances contribuant au problème, et l’autre misant sur les gains associés à l’arrêt du jeu et offrant des solutions rapides et concrètes. Le contenu des entretiens de groupe laisse croire que ces deux types de publicités pourraient avoir des objectifs différents, la première visant à faire évoluer la personne au niveau des stades de changement, notamment en favorisant la prise de conscience du problème de jeu et de ses conséquences, et la deuxième visant plutôt à

susciter un attrait pour la thérapie en charmant le joueur et en suscitant l’espoir. L’importance accordée au niveau de prise de conscience du problème de jeu et de ses conséquences rejoint la proposition de Calderwood et Wellington (2015), comme quoi les effets des publicités chez les joueurs seraient grandement tributaires de leur disposition individuelle à prendre action pour consulter. Tandis que l’approche axée sur les conséquences négatives du jeu a été au cœur de plusieurs publicités diffusées au Québec dans les dernières années (MSSS, 2015), il serait pertinent de tester empiriquement les effets de ces deux types de publicités visant la promotion des traitements du jeu.

Dans l’attente de données quantitatives à ce sujet, des liens peuvent établis entre ces deux conceptions des publicités de traitement du jeu et les résultats d’une étude publiée très récemment (Orazi, Lei, & Bove, 2015). Ces chercheurs se sont penchés sur l’impact de la nature des conséquences (matérielles c. sociales) et de l’orientation (axé sur les gains liés au fait de ne pas jouer c. les pertes liées au fait de jouer), dans des publicités présentant les conséquences du jeu excessif afin de promouvoir le jeu responsable. Les résultats de cette étude mettent en lumière des distinctions entre les joueurs récréatifs et problématiques quant aux effets des publicités. Chez les joueurs problématiques, les publicités axées sur les conséquences sociales seraient plus efficaces pour réduire les croyances positives à l’égard du jeu et les intentions de jouer, surtout lorsque la publicité est orientée sur les pertes (p. ex. «En jouant, tu vas être exclu socialement et perdre le contrôle de ta vie»). Les auteurs expliquent ce résultat par le fait que les joueurs problématiques seraient davantage désensibilisés face aux pertes monétaires, étant plus souvent exposés aux événements de gains et de pertes typiquement associés au jeu, rendant le message axé sur les pertes sociales liées au jeu excessif plus persuasif. Tandis que des opinions défavorables envers les publicités contenant des références aux conséquences sociales du jeu ont été exprimées au cours de la présente étude, d’autres travaux devraient s’attarder à l’impact de tels éléments de contenu, mais plus précisément dans le contexte de la promotion des traitements du jeu.

Par ailleurs, les résultats du présent mémoire soulèvent certains questionnements quant à l’évolution d’une personne qui serait incitée à aller en traitement par le biais d’une publicité axée exclusivement sur les bienfaits de la démarche et visant davantage la

séduction. En effet, selon le modèle transthéorique du changement (Prochaska & DiClemente, 1983; Prochaska & Norcross, 2001), une bonne prise de conscience des conséquences liées au comportement à modifier doit précéder le passage à l’action, c’est-à- dire le changement des habitudes de jeu dans le cas présent. Ces joueurs seraient-ils réellement prêts à changer leurs habitudes de jeu? Auraient-ils la même persistance en traitement? Pourraient-ils être plus facilement rebutés par les difficultés qui peuvent être associées au processus thérapeutique, incluant la gestion des envies de jouer et les potentielles rechutes? Ces questions demeurent. Toutefois, l’objectif de faciliter l’entrée en traitement serait rempli et ces joueurs auraient l’avantage d’être déjà suivis par des intervenants afin de traverser les différentes étapes de leur cheminement face au jeu, ce qui est non-négligeable.