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3.1 La campagne fédérale de 2004

3.1.2 Les publicités négatives

Dans les semaines qui ont précédé le déclenchement de la campagne électorale, le PLC a diffusé cinq publicités négatives télévisées pour s’attaquer à la crédibilité de Stephen Harper en invitant les téléspectateurs à se rendre sur le site Web d’attaque « stephenharpersaid.ca » pour en apprendre davantage sur les déclarations controversées du nouveau chef conservateur42 : « The ads, featuring white text on a

black screen, cited contentious quotations made by Harper on issues ranging from immigration to Iraq » 43. Le PCC a répliqué, dans les heures qui ont suivi, avec la

mise en ligne d’un site Internet semblable, le « teammartinsaid.ca », qui présentait

40 André Turcotte. « Canadians Speak Out », dans The Canadian General Election of 2004, op. cit.,

323.

41Harold D. Clarke, Allan Kornberg et Thomas J. Scotto. op. cit., 80.

42 Charles-Antoine Millette. « La publicité politique négative sur Internet au Canada : Quand les

conservateurs ont ouvert le feu sur les chefs libéraux », op. cit., 153-154; Tamara A. Small. « E-ttack Politics : Negativity, the Internet, and Canadian Political Parties », dans How Canadians Communicate IV : Media and Politics, op. cit., 175.

43 Tamara A. Small. « parties@canada : The Internet and the 2004 Cyber-Campaign », dans The

des déclarations scandaleuses ou contradictoires du premier ministre Paul Martin et des membres de son cabinet44.

À mi-chemin dans la campagne, alors que les intentions de vote pour le NPD stagnaient et que le PLC et le PCC étaient nez à nez dans les sondages45, à un point

tel que certains analystes évoquaient déjà la possibilité que Stephen Harper puisse former un gouvernement minoritaire46, les trois principaux partis se sont tournés vers

la publicité négative. Les Néo-démocrates ont lancé les hostilités en diffusant une publicité négative de type « contraste » qui s’attaque aux Libéraux et aux Conservateurs en jouant la carte de l’antiaméricanisme : « [The NDP was] indirectly attacking U.S. president George W. Bush as a way of demonstrating that both the Liberals and the Conservatives could not be trusted to defend Canadian interests »47.

Les Conservateurs ont pour leur part diffusé des publicités négatives sur le thème de la corruption, en faisant référence au scandale des commandites et en accusant le gouvernement de Paul Martin de mal gérer et gaspiller l’argent des contribuables48 :

The ads focused on the general theme of anonymous people – presumably meant to be Ottawa mandarins – casually crumpling large sums of money which they threw into trash cans which were subsequently emptied by shrugging cleaning ladies and carried off by garbage trucks. In the words of one ad : ‘When does the government decide it’s time to become

44 Tamara A. Small, David Taras et Dave Danchuk. « Party Websites and Online Campaigning During

the 2004 and 2006 Federal Elections », dans Making a Difference : A Comparative View of the Role of the Internet in Election Politics, sous la dir. de Stephen Ward, Diana Owen, Richard Davis et David Taras. (Lanham : Lexington Books, 2008), 117-118.

45 Paul Attallah. « Television and the Canadian Federal Election of 2004 », dans The Canadian

General Election of 2004, op. cit., 269.

46Harold D. Clarke, Allan Kornberg, John MacLeod et Thomas Scotto. « Too Close to Call : Political

Choice in Canada, 2004 », PS : Political Science & Politics, 38, no 2 (2005) : 248.

47Brooke Jeffrey. op. cit., 515.

48 Ibid. Voir également Lawrence LeDuc. « The federal election in Canada, June 2004 », Electoral

accountable ? After ten years ? After they’ve proven just how reckless they can be with our money ?’49.

De leur côté, les Libéraux ont appris, grâce à des sondages, que les publicités positives qu’ils diffusaient depuis le début de la campagne étaient plutôt inefficaces, tandis que les publicités du PCC étaient assez efficaces50. Les publicités libérales

« Choose your Canada », qui sont axées sur la personnalité du chef Paul Martin et qui portent sur les enjeux électoraux et la protection des valeurs canadiennes, visaient à établir un lien de confiance entre les Canadiens et le premier ministre :

these [ads] were accompanied by strong resonant music, deeply confident, and solid. Martin’s body language was relaxed, and he was tie- less, but his demeanor and voice were serious. In some shots the viewer saw a bowl of apples on a table, and the room seemed suffused with a soft golden light. There were several of these ads, all of which revisited the empathy theme. But this time it was Martin inviting voters to empathize with him and ‘the Canada we choose’51.

Considérant l’inefficacité de ces publicités, les Libéraux ont décidé d’adopter une stratégie plus agressive pour discréditer les Conservateurs en diffusant trois publicités négatives de type « attaque », qui cherchaient explicitement à apeurer et à faire douter les électeurs en évoquant les intentions cachées de Stephen Harper et de son parti52.

49Paul Attallah. op. cit., 272. 50Brooke Jeffrey. op. cit., 515.

51 Selon Stephen Brooks, ces publicités cherchaient implicitement à discréditer Stephen Harper :

« There was an implicit text and subtext to these ads. The text was, ‘I can be trusted. I believe in the things that you believe in’. The subtext was, ‘My opponent can’t be trusted’. Without naming Stephen Harper or the Conservatives, the ad suggested that Martin was a leader who could be trusted to protect ‘the Canada we choose’ from some other sort of Canada, perhaps a Canada ‘like the US’ as he warns in one ad ». Stephen Brooks. « Television Advertising by Political Parties : Can Democracies Survive It ? », op. cit., 365.

Les Conservateurs et le démantèlement du Canada

Diffusée le 9 juin en soirée, durant l’émission de télé-réalité Canadian Idol, la publicité négative « Harper and the Conservatives » se compose d'images désolantes, voire perturbantes ou même violentes de ce à quoi pourrait ressembler le Canada advenant la victoire des Conservateurs53. Il est donc possible de voir des scènes de

combat (soldats, chars d’assaut et porte-avion), un fusil pointé vers la caméra, de la fumée qui s’échappe des cheminées d’une usine, un hôpital, des femmes qui patientent dans une salle d’attente, une photo de Gilles Duceppe et, finalement, un drapeau canadien qui se brouille alors qu’il flotte dans les airs. Au même moment, la narratrice énumère les différentes mesures que Stephen Harper souhaiterait mettre en place une fois au pouvoir : augmenter les dépenses militaires, affaiblir les lois sur les armes à feu, retirer le Canada de l’Accord de Kyoto54, mettre en péril le système de

santé canadien au profit de mesures similaires à celles qui existent aux États-Unis, ne pas protéger le droit à l’avortement et travailler avec le Bloc québécois. La publicité se termine lorsque la narratrice affirme : « Stephen Harper says when he’s through with Canada, we won’t recognize it. You know what ? He’s right »55. Les Libéraux

53Stephen Brooks. « Television Advertising by Political Parties : Can Democracies Survive It ? », op.

cit., 365.

54 Cette prédiction s’est avérée juste, car le gouvernement conservateur de Stephen Harper a annoncé,

en décembre 2011, que le Canada deviendrait le premier pays à se retirer officiellement du Protocole de Kyoto. Voir Elyse Amend et Darin Barney. « Getting It Right : Canadian Conservatives and the ‘War on Science’ », Canadian Journal of Communication, 41, no 1 (2016) : 15; Annie Chaloux. « Promesses enterrées : l’évolution de la politique climatique du Canada à l’ère des Conservateurs », Canadian Foreign Policy Journal, 20, no 1 (2014) : 96-106; Kim Richard Nossal, Stéphane Roussel et Stéphane Paquin. The Politics of Canadian Foreign Policy, 4e édition. (Montréal & Kingston : McGill-

Queen’s University Press, 2015), 164.

55 Il n’en demeure pas moins que selon Frédéric Boily, « à son arrivée en politique, Stephen Harper

avait pour ambition d’être un premier ministre qui bouleverserait l’état de la politique canadienne en étant un premier ministre de transformation », puisqu’il avait l’intention de laisser, « après son passage, […] une scène politique radicalement différente ». Frédéric Boily. Stephen Harper. La fracture idéologique d’une vision du Canada. (Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2016), 140- 141. Voir également Manuel Dorion-Soulié, Justin Massie et Valérie Vézina. « Histoire militaire et politique étrangère : les fondements de la reconstruction néoconservatrice du nationalisme canadien »,

attaquent également le chef conservateur à propos de l’Irak, car lorsqu’il occupait le poste de chef de l’opposition officielle et de chef de l’AC, « il avait condamné la position du gouvernement de Jean Chrétien lors de la crise de 2002-2003 »56. Cette

publicité négative s’attaque donc à l’intégrité et aux promesses de Stephen Harper en utilisant deux stratégies, c’est-à-dire l’appel à la peur et la culpabilité par association, et en l’associant à des images négatives. La musique, qui est à la fois militaire et sinistre, contribue également à discréditer le chef du PCC en cherchant à créer un sentiment d’insécurité chez les téléspectateurs.

Figure 3.1

Capture d’écran de la publicité négative « Harper and the Conservatives »

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Politique et Sociétés, 37, no 3 (2018) : 51-75; Christopher J. Kukucha. « Dismembreing Canada ? Stephen Harper and the Foreign Relations of Canadian Provinces », Review of Constitutional Studies/Revue d’études constitutionnelles, 14, no 1 (2009) : 21-52.

56Manuel Dorion-Soulié et Stéphane Roussel. « ‘Oui’ à l’Irak ? Le baptême de feu de Stephen Harper

et l’émergence du néocontinentalisme (2002-2003) », Canadian Foreign Policy Journal, 20, no 1 (2014) : 9. Durant la campagne électorale de 2006, Stephen Harper changera toutefois d’avis à propos de l’envoi de troupes canadiennes en Irak, comme en témoigne ce passage tiré de la lettre qu’il a publiée dans le Washington Post, en décembre 2005 : « while I support the removal of Saddam Hussein and applaud the efforts to establish democracy and freedom in Iraq, I would not commit Canadian troops to that country ». Ibid.

Les intentions cachées de Stephen Harper

Dans la publicité négative « Hidden Harper », les Libéraux suggèrent que Stephen Harper possède deux visages et qu’il cache par conséquent ses réelles intentions à la population canadienne. Pour ce faire, la narratrice brosse un portrait assez sombre du Stephen Harper que l’on connaît jusqu’à présent : il ne s’est pas engagé à protéger le droit à l’avortement, il croit à l’existence de failles dans la Charte canadienne des droits et libertés, il aurait voulu envoyer des troupes canadiennes en Irak, il a affirmé que Paul Martin était en faveur de la pornographie juvénile et il ne croit pas qu’il revient au premier ministre canadien de réparer le système de santé. La narratrice termine sur ces mots : « The question is how much more don’t we know ». En évoquant les intentions cachées du chef du PCC, le PLC s’attaque à son intégrité et à ses promesses. La musique militaire et dramatique qui accompagne la voix de la narratrice et les cinq photos de Stephen Harper qui défilent à l’écran alors qu’elles passent de la couleur au noir et blanc, visent à créer un sentiment de peur chez les téléspectateurs.

Figure 3.2

Les déficits de Mulroney, Harris et… Harper

La publicité négative « Conservative Deficits » s’attaque, quant à elle, aux conséquences désastreuses que pourrait avoir le plan économique proposé par Stephen Harper, qui consiste à augmenter les dépenses du gouvernement fédéral et à diminuer les impôts, et qui s’inspire des politiques économiques de l’ancien premier ministre du Canada Brian Mulroney et de l’ancien premier ministre de l’Ontario Mike Harris. On présente alors les photos de ces deux hommes politiques conservateurs, qui passent de la couleur au noir et blanc, et apparaissent ensuite les déficits que leurs gouvernements respectifs ont engendrés en suivant ce plan économique : 42 milliards de dollars par année pour Brian Mulroney et 6 milliards de dollars sur sept ans pour Mike Harris. De cette manière, le PLC s’attaque à la compétence et aux promesses du chef du PCC en voulant créer un sentiment de peur chez l’électorat et, grâce à la culpabilité par association, au bilan de deux anciens premiers ministres conservateurs. Sur le plan audiovisuel, la photo de Stephen Harper demeure en couleur, contrairement à celles de Brian Mulroney et de Mike Harris. La voix dramatique de la narratrice et la musique sinistre que l’on retrouve dans cette publicité négative sont identiques à celles que l’on retrouve dans les deux publicités précédentes.

Figure 3.3

Capture d’écran de la publicité négative « Conservative Deficits »

Quelques jours après le début de la diffusion de ces trois publicités négatives, les Conservateurs ont fait preuve de maladresse en accusant, entre autres, le premier ministre Paul Martin de ne pas être assez rigide en matière de pornographie juvénile57. Une telle fausse manœuvre a donné raison aux Libéraux, qui accusaient les

Conservateurs de cacher leurs réelles intentions, et a eu pour effet de consolider le message qui est véhiculé dans leurs publicités négatives :

57« As the campaign entered its final phase, the Conservatives obliged their rivals by committing two

acts of of abject political stupidity. First, they accused Prime Minister Martin of being soft on child pornography. The result was an immediate public backlash, and Harper and his advisors were heavily criticized for engaging in ‘gutter politics’. Then, Ralph Klein, Progressive Conservative premier of Alberta, told reporters that his government was considering a two-tier health care scheme that involved significant privatization. Health care was already a major issue in the campaign, and the Liberals quickly charged that Klein’s statements proved that the Conservatives were indeed ‘right-wing nuts’ who would destroy Canada’s cherished system of universal equal-access medical care ». Harold D. Clarke, Allan Kornberg et Thomas J. Scotto. op. cit., 75.

In the 2004 federal election campaign, the Liberals under Paul Martin effectively raised doubts in many voters’ minds about the possibility of a hidden agenda of the newly reunited Conservatives under Stephen Harper. [...] this was fuelled in part by comments by a number of Conservatives candidates. One questioned official bilingualism, another likened abortion to beheading, and an old video of another showed him heaping scorn on how the courts interpreted gay rights. This was great fodder for news reporters – just the kind of stuff that had been landing candidates from the old Reform and Alliance parties in hot water for years. It was enough to allow Martin to reverse Harper’s gain in the polls and win a minority government58.

Le contexte à l’intérieur duquel ces publicités négatives ont été diffusées a donc largement contribué à leur efficacité, dans la mesure où le doute qui avait été semé dans l’esprit des électeurs à propos des Conservateurs a été rapidement confirmé par leurs déclarations59. Le PCC n’a pas été en mesure de contrattaquer, puisqu’il ne

disposait pas du budget nécessaire pour le faire, d’autant plus que son offensive publicitaire ne se résumait qu’aux publicités « Carousel »60 et « Commitment », dans

laquelle on présente le dévouement de Stephen Harper envers son travail, son pays et sa famille61.

58 Bob Cox. « Covering Political Campaigns : A Practitioner's View », dans Mediating Canadian

Politics, op. cit., 98.

59Jonathan Rose. « Television Attack Ads : Planting the Seeds of Doubt », op. cit., 95-96.

60« Relying on carnival music that was dissonant with the visuals, ‘Carousel’ showed stacks of money

being thrown out, with the tag line, ‘Can you really afford another four years of Liberal waste ?’ Its humour was timid, its critiques repetitive and, most importantly, there were no clear attribution of responsability to the governement ». Ibid., 95.

61 Tom Flanagan. Harper’s Team : Behind the Scenes in the Conservative Rise to Power, 2e édition.

(Montréal et Kingston : McGill-Queen’s University Press, 2009), 171. Voir également Faron Ellis et Peter Woolstencroft. « New Conservatives, Old Realities : The 2004 Election Campaign », dans The Canadian General Election of 2004, op. cit., 87.