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2.2 Les effets de la publicité électorale négative télévisée aux États-Unis

2.2.1 La dimension normative : quels impacts sur la démocratie ?

L’impact de la publicité négative sur le taux de participation représente l’un des plus importants débats de la science politique américaine des dernières décennies, car les études sur le sujet ont produit des résultats contradictoires : « Some scholars show that negativity is demobilizing. Others show that negativity is mobilizing. Still others show that negativity has no effect on turnout »135. Dans le cadre d’une étude

expérimentale, Stephen Ansolabehere, Shanto Iyengar, Adam Simon et Nicholas Valentino ont mesuré l’effet démobilisateur de la publicité négative, qui se traduit par une diminution des intentions de vote de 5 %136. Grâce à son analyse des campagnes

présidentielles qui se sont déroulées entre 1976 et 2004, Yanna Krupnikov a pour sa part démontré que la publicité négative peut démobiliser les électeurs, mais uniquement quand deux conditions bien précises sont réunies : « (1) a person is exposed to negativity after selecting a preferred candidate and (2) the negativity is about this selected candidate »137.

Certains auteurs, comme Joshua D. Clinton et John S. Lapinski et Steven E. Finkel et John G. Geer, sont plutôt d’avis que la publicité négative n’a pas d’influence sur le

134Ibid., 117.

135 Yanna Krupnikov. « When Does Negativity Demobilize ? Tracing the Conditional Effect of

Negative Campaigning on Voter Turnout », American Journal of Political Science, 55, no 4 (2011) : 797.

136Stephen Ansolabehere, Shanto Iyengar, Adam Simon et Nicholas Valentino. op. cit., 829. 137Yanna Krupnikov. op. cit., 797.

taux de participation138. Similairement, Jonathan S. Krasno et Donald P. Green ont

observé que les publicités électorales diffusées dans les dernières semaines de l’élection présidentielle de 2000 ont eu un effet négligeable sur le taux de participation et, plus spécifiquement, que les publicités purement négatives n’ont pas eu pour effet d’augmenter ou de diminuer la participation électorale139.

Il a également été démontré que la publicité négative peut, au contraire, avoir pour effet de stimuler la participation, ce qui signifie, corollairement, qu’il est très peu probable qu’elle contribue à démobiliser les électeurs140. D’après Franz, Freedman,

Goldstein et Ridout, la publicité négative s’avère plus efficace que la publicité positive pour influencer les attitudes et les comportements des électeurs, ce qui mène, en définitive, à l’augmentation du taux de participation :

negative ads – because they draw people’s attention, are easier to remember, and raise the stakes – have a greater impact on citizen’s attitudes and behaviors than positive ads. Specifically, we expect that exposure to negative advertising leads to greater gains in information, increased interest in the campaign, and, ultimately, a greater likelihood of turnout to vote141.

138 Joshua D. Clinton et John S. Lapinski. « ‘Targeted’ Advertising and Voter Turnout : An

Experimental Study of the 2000 Presidential Election », The Journal of Politics, 66, no 1 (2004) : 69- 96; Steven E. Finkel et John G. Geer. « A Spot Check : Casting Doubt on the Demobilizing Effect of Attack Advertising », American Journal of Political Science, 42, no 2 (1998) : 573-595.

139Jonathan S. Krasno et Donald P. Green. « Do Televised Presidential Ads Increase Voter Turnout ?

Evidence from a Natural Experiment », The Journal of Politics, 70, no 1 (2008) : 245-261.

140Michael M. Franz, Paul Freedman, Ken Goldstein et Travis N. Ridout. « Understanding the Effects

of Political Advertising on Voter Turnout : A Response to Krasno and Green », The Journal of Politics, 70, no 1 (2008) : 267; Paul Freedman et Ken Goldstein. « Measuring Media Exposure and the Effects of Negative Campaign Ads », American Journal of Political Science, 43, no 4 (1999) : 1189- 1208; Ken Goldstein et Paul Freedman. « Campaign Advertising and Voter Turnout : New Evidence for a Stimulation Effect », The Journal of Politics, 64, no 3 (2002) : 721-740; Martin P. Wattenberg et Craig Leonard Brians. « Negative Campaign Advertising : Demobilizer or Mobilizer ? », The American Political Science Review, 93, no 4 (1999) : 891-899.

141 Michael M. Franz, Paul B. Freedman, Kenneth M. Goldstein et Travis N. Ridout. Campaign

Ces mêmes auteurs ont également démontré que les publicités négatives de type « attaque » qui contiennent des attaques personnelles peuvent avoir l’effet contraire sur la participation électorale : « negative ads containing policy content inform, raise campaign interest, and boost turnout rates. It is only those ads containing purely

personal negative appeals that demobilize or confuse the electorate »142. Le

« mudslinging » peut donc inciter les électeurs qui se sentent dégoûtés par le ton de la campagne électorale à ne pas exercer leur droit de vote en demeurant à la maison le jour du scrutin143.

Selon Franz, Freedman, Goldstein et Ridout, les publicités négatives sont plus informatives, plus remarquables et plus mémorables que les publicités positives, ce qui a pour effet d’attirer l’attention et de stimuler l’intérêt des citoyens : « negative ads are […] more likely to convey a sense of urgency, activating […] the ‘surveillance system‘ »144. Les publicités négatives, qui contiennent plus

d’informations à propos de la position des candidats sur les différents enjeux de la campagne que les publicités positives145, s’avèrent donc particulièrement utiles pour

les électeurs, dans la mesure où ces derniers veulent avant tout éviter de prendre une mauvaise décision le jour du scrutin, c’est-à-dire de voter pour un mauvais candidat :

142Ibid., 24.

143Kim Fridkin Khan et Patrick J. Kenney. « Do Negative Campaigns Mobilize or Suppress Turnout ?

Clarifying the Relationship Between Negativity and Participation », American Political Science Review, 93, no 4, (1999) : 887. Voir également Kim L. Fridkin et Patrick J. Kenney. « The Dimensions of Negative Messages », American Politics Research, 36, no 5 (2008) : 694-723; Kim L. Fridkin et Patrick J. Kenney. « The Impact of Negative Campaigning on Citizens’ Actions and Attitudes », The SAGE Handbook of Political Communication. (Thousand Oaks : SAGE Publications, 2012), 173-185.

144 Michael M. Franz, Paul B. Freedman, Kenneth M. Goldstein et Travis N. Ridout. Campaign

Advertising and American Democracy, op. cit., 19-20. Voir également Richard R. Lau et David P. Redlawsk. « The Effects of Advertising Tone on Information Processing and Vote Choice », dans New Perspectives on Negative Campaigning : Why Attack Politics Matters, op. cit., 266.

« Citizens are motivated to avoid a corrupt, incompetent, or immoral politician more than they seek to elect a virtuous one »146.

Pour Freedman, Franz et Goldstein, plutôt que de constituer une menace pour la démocratie, les publicités électorales, incluant celles qui sont purement négatives, agissent sur les citoyens à la manière de multivitamines qui leur procurent des suppléments d’information : « there is good reason to expect ad exposure to produce citizens who are both more informed about the candidates, more interested in the race, and in general more engaged by the campaign »147. Geer est du même avis

lorsqu’il affirme que la publicité négative aide les électeurs à faire des choix éclairés, puisqu’elle présente les faiblesses du candidat adverse et, comparativement à la publicité positive, se concentre davantage sur les enjeux de l’heure et contient plus de faits vérifiables148.

Inversement, Ansolabehere, Iyengar, Simon et Valentino ont remarqué que l’effet démobilisateur de la publicité négative s’accompagne d’autres effets nocifs sur l’électorat américain : « Voters who watch negative advertisements become more cynical about the responsiveness of public officials and the electoral process »149.

Selon Ansolabehere et Iyengar, la publicité négative a non seulement engendré la disparition des électeurs non partisans et contribué à la polarisation des élections, mais a également transformé les campagnes électorales américaines en véritables

146 Michael M. Franz, Paul B. Freedman, Kenneth M. Goldstein et Travis N. Ridout. Campaign

Advertising and American Democracy, op. cit., 20.

147 Paul Freedman, Michael Franz et Kenneth Goldstein. « Campaign Advertising and Democratic

Citizenship », American Journal of Political Science, 48, no 4 (2004) : 725.

148 John G. Geer. « Negative Campaign Ads Play an Important Role in Political Campaigns », dans

Political Campaigns, op. cit., 100. Voir également John G. Geer. In Defense of Negativity : Attack Ads in Presidential Campaigns, op. cit., 10; John G. Geer (12 octobre 2008). Those Negative Ads are A Positive Thing. The Washington Post. Récupéré de http://www.washingtonpost.com/wp- dyn/content/article/2008/10/10/AR2008101002449.html

spectacles : « Negative campaigning transforms elections into an entertaining spectator sport. A healthy democracy, though, requires more than citizen spectators. We need citizen participants »150.

D’après Richard R. Lau, Lee Sigelman et Ivy Brown Rovner, il ne fait aucun doute que la publicité négative a le potentiel d’endommager le système politique américain : « it tends to reduce feelings of political efficacy, trust in government, and perhaps even satisfaction with government itself »151. Pour West, les publicités

négatives trompeuses, c’est-à-dire celles qui mettent de l’avant des énoncés trompeurs ou manipulatoires pour attaquer personnellement l’adversaire, fragilisent le processus électoral, alors que celles portant sur les enjeux sont justes et nécessaires152. Selon Rose, les publicités négatives peuvent s’avérer bénéfiques pour

la démocratie si elles respectent les quatre critères suivants : « if they are about issues, if they provide evidence, if they delineate differences in candidates’ positions, and if their focus is relevant to governing »153. L. Sandy Maisel estime pour sa part

que les publicités négatives de type « contraste » sont appropriées, voire essentielles dans le cadre des élections américaines, alors que celles de type « attaque » s’avèrent contraires à l’éthique154.

150 Stephen Ansolabehere et Shanto Iyengar. Going Negative : How Political Advertisements Shrink

and Polarize the Electorate, (New York : Free Press, 1995), 145.

151 Richard R. Lau, Lee Sigelman et Ivy Brown Rovner. « The Effects of Negative Political

Campaigns : A Meta-Analytical Reassessment », The Journal of Politics, 69, no 4 (2007) : 1184.

152Darrell M. West. « Attack Ads That Go Beyong the Issues Undermine Fair Political Campaigns »,

dans Political Campaigns, op. cit., 95.

153 Jonathan Rose. « Are Negative Ads Positive ? Political Advertising and the Permanent Campaign

», op. cit., 163.

154 L. Sandy Maisel. « Promises and Persuasion », dans Shades of Gray : Perspectives on Campaign

Ethics, sous la dir. de Candice J. Nelson, David A. Dulio et Stephen K. Medvic. (Washington, D.C. : Brookings Institution Press, 2002), 49.