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En terminant, cette recherche vise tout d’abord à déterminer si nous assistons à l’américanisation de la publicité électorale négative télévisée au Canada entre 2004 et 2015. Pour faire cela, nous analyserons, de manière systématique et en fonction d’indicateurs précis, le contenu des 63 publicités négatives diffusées entre 2004 et 2015 qui composent notre corpus, ce qui nous permettra de définir les caractéristiques

156Selon Monière, en raison de la « dualité culturelle et linguistique » qui existe au Canada, les partis

politiques fédéraux élaborent deux campagnes publicitaires distinctes, c'est-à-dire une en anglais et une en français. Les Libéraux élaborent deux campagnes publicitaires différentes depuis l'élection fédérale de 1968, alors que les Conservateurs ont recours à cette pratique depuis 1984. Michel de Repentigny a d’ailleurs démontré que les publicités francophones diffusées au Québec par les principaux partis fédéraux lors de l'élection fédérale de 1993 étaient nettement moins négatives que les publicités anglophones diffusées à l'échelle nationale. Denis Monière. « Pourquoi les partis ont-ils recours à la publicité négative ? », op. cit., 76; Denis Monière. Le discours électoral : les politiciens sont-ils fiables ? (Montréal : Québec/Amérique, 1988), 93; Michel de Repentigny. « Political Ads on Quebec TV during the 1993 Federal Election », dans Television Advertising in Canadian Elections : The Attack Mode, 1993, op. cit., 93-94; Karen Unland. « Quebec TV Ads are Distinct Too », The Globe and Mail (Toronto), 5 mai, 1997. Voir également Estelle Lebel. « The Role of Images in Quebec Political Advertising », dans Television Advertising in Canadian Elections : The Attack Mode, 1993, op. cit., 115-116.

du modèle canadien de publicité négative. Nous voulons ensuite comparer les cultures politiques américaine et canadienne dans le but de déterminer le rôle que joue cette dernière dans la pratique de la publicité négative au Canada, ce qui nous permettra d’identifier, d’expliquer et de comprendre les facteurs qui facilitent ou qui limitent le transfert des caractéristiques qui forment le style américain de publicité négative vers le Canada. Enfin, nous souhaitons étudier le déploiement des campagnes négatives par les partis politiques canadiens pendant et entre les campagnes fédérales entre 2004 et 2015.

Le prochain chapitre se consacre à l’étude approfondie des quatre grandes caractéristiques du style américain de publicité négative que nous avons identifiées précédemment. En nous basant sur les publicités électorales diffusées lors des campagnes présidentielles américaines qui se sont déroulées entre 1952 et 2016, nous examinons plus précisément les attaques sur les enjeux électoraux, les attaques sur les caractéristiques personnelles, les stratégies et les techniques de production audiovisuelles qui sont mises en œuvre par les candidats afin de dénigrer leur adversaire. Cette étude diachronique des publicités négatives américaines a aussi pour objectif de déterminer si les publicités canadiennes du même type possèdent généralement les mêmes caractéristiques. Le deuxième chapitre présente également les effets de la publicité négative aux États-Unis, pour se conclure par une réflexion sur les phénomènes de la concentration et de la personnalisation du pouvoir au Canada.

LA PUBLICITÉ ÉLECTORALE NÉGATIVE TÉLÉVISÉE AUX ÉTATS-UNIS (1952-2016) ET AU CANADA (1979-2015)

Negative attacks are as American as apple pie. Darrell M. West

La publicité électorale a fait son apparition à la télévision aux États-Unis lors des élections de mi-mandat de 1950 avec la diffusion d’une publicité mettant en scène le sénateur démocrate du Connecticut, William Benton, et sa famille1. La publicité

électorale télévisée a ensuite été utilisée pour la première fois dans le cadre d'une élection présidentielle en 1952, lorsque le candidat républicain Dwight D. Eisenhower diffusa, dans quarante États américains, une trentaine de publicités intitulées « Eisenhower Answers America »2. Ces publicités, dans lesquelles

Eisenhower répond à une question posée par un électeur ou une électrice, portent sur trois principaux enjeux, c'est-à-dire la corruption, l’inflation et la guerre de Corée3.

Le candidat démocrate Adlai Stevenson a lui aussi diffusé des publicités électorales télévisées au cours de cette campagne, dont « Platform Double Talk ». Cette publicité

1 William L. Benoit. « Advertising, Political », dans The International Encyclopedia of Political

Communication, op. cit.; William L. Benoit. Communication in Political Campaigns, (New York : Peter Lang, 2007), 65; David Mark. op. cit., 42.

2 Judith S. Trent, Robert V. Friedenberg et Robert E. Denton, Jr. op. cit., 146; Darrell M. West. Air

Wars : Television Advertising and Social Media in Election Campaigns, 1952-2016, 7e édition.

(Thousand Oaks : CQ Press, 2017), 2.

3Stephen C. Wood. « Television's First Political Spot Ad Campaign : Eisenhower Answers America »,

négative, qui s'attaque aux positions contradictoires des Républicains à propos de certains enjeux relevant de la politique étrangère américaine, représente la plus ancienne publicité négative qui a été diffusée à la télévision aux États-Unis4. Lors de

l’élection présidentielle suivante, Adlai Stevenson est revenu à la charge avec la publicité négative « Nervous about Nixon », qui a pour cible le vice-président Richard Nixon5. De cette manière, les Démocrates voulaient faire naître au sein de la

population américaine un sentiment de peur en évoquant la possibilité qu'il puisse remplacer le président Eisenhower, qui avait été victime d'un infarctus l'année précédente6.

Figure 2.1

Capture d’écran de la publicité négative « Platform Double Talk »

Le 7 septembre 1964, le président Lyndon B. Johnson a diffusé, sur les ondes de la chaîne de télévision NBC (National Broadcasting Company), la publicité « Daisy !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

4John G. Geer. op. cit., 118. 5David Mark. op. cit., 43.

6 Christopher J. Dolan. « Two Cheers for Negative Ads », dans Lights, Camera, Campaign! Media,

Girl », qui est également connue sous le nom de « Peace Little Girl ». Cette publicité négative controversée, qui est devenue la publicité électorale la plus marquante de l’histoire des États-Unis, avait pour objectif d'effrayer la population américaine en laissant sous-entendre que le candidat républicain Barry Goldwater n'hésiterait pas à utiliser l'arme atomique une fois élu président7. L'efficacité de la campagne

publicitaire diffusée par les Démocrates durant cette campagne électorale a encouragé les candidats à recourir encore plus massivement à la publicité négative lors de l'élection présidentielle de 19688.

Figure 2.2

Capture d’écran de la publicité négative « Daisy Girl »

Les campagnes présidentielles de 1972 et de 1976 se sont quant à elles avérées moins négatives que les deux précédentes : « Campaigners may have become more reluctant !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

7Mike Chanslor. « Daisy Girl Ad », dans Encyclopedia of Political Communication, op. cit.

8Darrell M. West. Air Wars : Television Advertising and Social Media in Election Campaigns, 1952-

to air negative commercials because of the backlash that followed the highly emotional ads of the 1964 and 1968 races »9. De plus, lors de l'élection de 1976, la

population américaine avait dédain de la publicité négative, parce qu'on l'associait désormais aux mensonges et aux « dirty tricks » (ruses) du président Richard Nixon dans le scandale du Watergate10 : « The public revulsion at the disclosures of

Watergate transformed the ads of 1976. In its wake, no candidate wanted to whisper the possibility that he or she was another Nixon »11.

Au tournant des années 1980, le mépris des Américains pour la publicité négative s'est rapidement dissipé, pour faire place à des campagnes présidentielles extraordinairement négatives : « As the memory of Watergate receded, the outrage associated with it also began to decline. Voters no longer associated attacks on the opposition with unfair dirty tricks »12. L'élection présidentielle de 1988 représente

pour sa part le point culminant de ce recours croissant à la négativité au cours de cette décennie, notamment en raison des publicités très négatives diffusées par le candidat républicain George H. W. Bush contre son adversaire démocrate Michael Dukakis, dont « Boston Harbor », « Willie Horton », « Revolving Door » et « Tank Ride »13.

Au cours des années 1990, la publicité négative a conservé son rôle de premier plan au sein des campagnes publicitaires des candidats présidentiels, sans toutefois égaler le niveau atteint en 198814.

9 Ibid. Voir également L. Patrick Devlin. « Contrasts in Presidential Campaign Commercials of 1972

», Journal of Broadcasting, 18, no 1 (1974) : 17-26; L. Patrick Devlin. « Contrasts in Presidential Commercials of 1976 », Central States Speech Journal, 28, no 4 (1977) : 238-249.

10Ibid., 50.

11Kathleen Hall Jamieson. Dirty Politics : Deception, Distraction, and Democracy, op. cit., 56. 12Darrell M. West. Air Wars : Television Advertising and Social Media in Election Campaigns, 1952-

2016, op. cit., 50.

13 Darrell M. West. « Television Advertising in the Presidential Campaign », The Harvard

International Journal of Press/Politics, 6, no 2 (2001) : 79.

14Darrell M. West. Air Wars : Television Advertising and Social Media in Election Campaigns, 1952-

Selon Lynda Lee Kaid, Mitchell S. McKinney et John C. Tedesco, les publicités électorales diffusées à la télévision dans le cadre des campagnes présidentielles américaines contemporaines sont de plus en plus négatives15. D'après Stephen J.

Wayne, le recours aux publicités purement négatives, c'est-à-dire celles qui sont de type « attaque », ne cesse de croître depuis le début du 21e siècle16. Ainsi, l'analyse

effectuée par le Wesleyan Media Project des publicités électorales diffusées à la télévision lors des cinq dernières campagnes présidentielles (voir figure 2.3) montre que 21 % des publicités diffusées en 2000 étaient de ce type, en comparaison à 46 % en 2004, 51 % en 2008, 64 % en 2012 et 52 % en 201617. On remarque ainsi que

l'élection présidentielle de 2016 s'est avérée plus positive que la précédente, tout en étant plus négative que les campagnes de 2000, 2004 et 200818.

Figure 2.3

Augmentation de la publicité électorale négative télévisée de type « attaque » lors des élections présidentielles américaines entre 2000 et 2016

15 Lynda Lee Kaid, Mitchell S. McKinney et John C. Tedesco. « Applied Political Communication

Research », dans Routledge Handbook of Applied Communication Research, sous la dir. de Lawrence R. Frey et Kenneth N. Cissna. (New York : Routledge, 2009), 460.

16Stephen J. Wayne. op. cit., 228.

17 Wesleyan Media Project (3 novembre 2016). Clinton Crushes Trump 3:1 in Air War. Wesleyan

Media Project. Récupéré de http://mediaproject.wesleyan.edu/releases/nov-2016/#tablea2

18Erika Franklin Fowler, Travis N. Ridout et Michael M. Franz. « Political Advertising in 2016 : The

Presidential Election as Outlier ? », The Forum, 2, no 4 (2016) : 457. Selon le codirecteur du Wesleyan Media Project, Travis N. Ridout, la diminution de la publicité négative en 2016 pourrait s’expliquer de la manière suivante : « […] the bruising nature of the news and the high unfavorable ratings for both candidate [Hillary Clinton et Donald Trump] have led the campaigns to pursue slightly more positive tactics in advertising than they otherwise might have done ». Wesleyan Media Project. op. cit.

0 20 40 60 80 100 2000 2004 2008 2012 2016

Les publicités électorales négatives télévisées aux États-Unis possèdent quatre grandes caractéristiques, qui composent le style américain de publicité négative que nous avons défini brièvement au premier chapitre de cette recherche19. L’objectif

principal de ce chapitre est donc d'étudier de manière détaillée ces quatre caractéristiques en posant un regard sur les publicités électorales négatives télévisées de type « attaque » qui ont été diffusées dans le cadre des campagnes présidentielles américaines entre 1952 et 2016. Cette analyse diachronique nous permet également de comparer les publicités négatives américaines aux publicités négatives

19 Malgré le fait qu'elle soit surtout visible dans le cadre des élections présidentielles, la publicité

négative fait également partie intégrante des campagnes publicitaires des candidats qui se présentent, entre autres, à l'investiture démocrate ou républicaine (primaires), pour un poste de gouverneur, aux élections au Congrès et aux élections municipales. À propos de l'utilisation de la publicité négative dans le cadre des primaires, voir William L. Benoit et Jordan L. Compton. « A Functionnal Analysis of 2012 Presidential Primary TV Spots », American Behavioral Scientist, 58, no 4 (2014) : 497-509; L. Patrick Devlin. « Analysis of Presidential Primary Campaign Commercials of 2004 », Communication Quarterly, 53, no 4 (2005) : 451-471; Audrey A. Haynes et Staci L. Rhine. « Attack Politics in Presidential Nomination Campaigns : An Examination of the Frequency and Determinants of Intermediated Negative Messages Against Opponents », Political Research Quarterly, 51, no 3 (1998) : 691-721. En ce qui concerne le recours à la publicité négative lors de l'élection des gouverneurs, voir David Airne et William L. Benoit. « Political Television Advertising in Campaign 2000 », Communication Quarterly, 53, no 4 (2005) : 473-492; Thomas M. Carsey, Robert A. Jackson, Melissa Stewart et James P. Nelson. « Strategic Candidates, Campaign Dynamics, and Campaign Advertising in Gubernatorial Races », State Politics & Policy Quarterly, 11, no 3 (2011) : 269-298; Christopher A. Cooper et H. Gibbs Knotts. « Packaging the Governor : Television Advertising in the 2000 Elections », dans Lights, Camera, Campaign! Media, Politics, and Political Advertising, op. cit., 101-120. Pour mieux comprendre le rôle de la publicité négative dans le cadre des élections au Congrès, voir LeAnn M. Brazeal et William L. Benoit. « A Functional Analysis of Congressional Television Spots, 1986- 2000 », Communication Quarterly, 49, no 4 (2001) : 436-454; Jon F. Hale, Jeffery C. Fox et Rick Farmer. op. cit., 329-343; Hans J. G. Hassell et Kelly R. Oeltjenbruns. « When to Attack : The Trajectory of Congressional Campaign Negativity », American Politics Research, 44, no 2 (2016) : 222-246; Robert A. Jefferson et Thomas M. Carsey. « US Senate campaigns, negative advertising, and voter mobilization in the 1998 midterm election », Electoral Studies, 26 (2007) : 180-195; Kim Fridkin Khan et Patrick J. Kenney. op. cit., 75-98; Kim Fridkin Khan et Patrick J. Kenney. « How Negative Campaigning Enhances Knowledge of Senate Elections », dans Crowded Airwaves : Campaign Advertising in Elections, op. cit., 65-95; Richard R. Lau et Gerald M. Pomper. Negative Campaigning : An Analysis of U.S. Senate Elections. (Lanham : Rowman & Littlefield, 2004); Charles-Antoine Millette et Karine Prémont. « Un exercice démocratique négligé », Le Devoir, 29 octobre 2014, A9; John C. Tedesco. « Televised Political Advertising Effects : Evaluating Responses during the 2000 Robb-Allen Senatorial Election », Journal of Advertising, 31, no 1 (2002) : 37-48; Darrell M. West. Air Wars : Television Advertising and Social Media in Election Campaigns, 1952-2012, op. cit., 133- 146. Au sujet de l'emploi de la publicité négative lors des élections municipales, voir Charles-Antoine Millette. « Course à la mairie de New York – La publicité négative, bouée de sauvetage de Joe Lhota ? », Le Devoir, 25 octobre 2013, A9.

canadiennes du même type dans le but de vérifier si ces dernières possèdent généralement les grandes caractéristiques du style américain de publicité négative20.

Un tel exercice se veut complémentaire à l’analyse de contenu qualitative que nous réaliserons au chapitre suivant, qui vise à déterminer si nous assistons à l'américanisation de la publicité électorale négative télévisée au Canada entre les élections fédérales de 2004 et 2015.

Ce chapitre a également pour objectif de présenter les effets de la publicité négative, tels qu'ils ont été observés dans la littérature spécialisée aux États-Unis. De cette manière, cette deuxième partie du chapitre vient bonifier notre étude approfondie du contenu des publicités négatives américaines et des pratiques professionnelles qui assurent leur mise en œuvre que nous présentons dans la première partie. Malgré le fait qu'il ne s'agit pas de l'objet de recherche principal de cette thèse, nous tenons à présenter les effets de la publicité négative dans le but de rendre notre analyse des caractéristiques du style américain de publicité négative la plus exhaustive possible.