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2.2 Les effets de la publicité électorale négative télévisée aux États-Unis

2.2.2 La dimension instrumentale : efficacité et persuasion

Il a été démontré que la publicité électorale peut avoir un effet persuasif sur les électeurs155, mais d’après l’étude de la littérature menée par Richard R. Lau, Lee

Sigelman, Caroline Heldman et Paul Babbitt, la publicité négative ne serait pas plus efficace que la publicité positive pour gagner des votes156. La publicité purement

négative est pourtant largement utilisée parce que la grande majorité des candidats et des consultants croient qu’elle fonctionne, dans la mesure où elle permettrait de convaincre les électeurs de ne pas voter pour l’adversaire de l’émetteur. Selon Kaid, McKinney et Tedesco, il ne s’agit pas d’une simple croyance, car ce type de publicité peut effectivement amener les électeurs à évaluer négativement l’image de l’adversaire du candidat émetteur157.

Ces auteurs remarquent aussi que les publicités négatives qui attaquent les positions de l’adversaire sont souvent plus efficaces que celles qui ciblent ses caractéristiques personnelles158. Judith S. Trent, Robert V. Friedenberg et Robert E. Denton, Jr.

concluent pour leur part que la publicité négative ne cesse d’augmenter d’une élection présidentielle à l’autre pour la simple et bonne raison qu’elle est plus bénéfique que dommageable pour les candidats qui l’emploient, ce qui signifie qu’elle fonctionne :

155 Michael M. Franz et Travis N. Ridout. « Does Political Advertising Persuade ? », Political

Behavior, 29, no 4 (2007) : 465-491; Michael M. Franz et Travis N. Ridout. « Political Advertising and Persuasion in the 2004 and 2008 Presidential Elections », American Politics Research, 38, no 2 (2010) : 303-329; Gregory A. Huber et Kevin Arceneaux. « Identifying the Persusive Effects of Presidential Advertising », American Journal of Political Science, 51, no 4 (2007) : 957-977; Lynda Lee Kaid, Juliana Fernandes et David Painter. « Effects of Political Advertising in the 2008 Presidential Campaign », American Behavioral Scientist, 55, no 4 (2011) : 437-456.

156 Richard R. Lau, Lee Sigelman, Caroline Heldman et Paul Babbitt. « The Effects of Negative

Political Advertisements : A Meta-Analytic Assessment », 93, no 4 (1999) : 857.Voir également Richard R. Lau et Lee Sigelman. « Effectiveness of Political Advertising », dans Crowded Airwaves : Campaign Advertising in Elections, op. cit., 29.

157Lynda Lee Kaid, Mitchell S. McKinney et John C. Tedesco. op. cit., 460-461. 158Ibid., 461.

« voters are more influenced by attack ads than by nonattack ads, [they] pay more attention to them, recall them more accurately, and remember them for a longer period of time »159.

Pour être efficace, une publicité négative doit présenter des attaques qui s’appuient sur des preuves, ou encore permettre aux électeurs de confirmer les doutes qu’ils entretiennent déjà à propos de l’adversaire160, comme ce fut le cas pour la publicité

« Daisy Girl » en 1964 : « effective political advertising does not tell the viewer what to think or believe but rather taps into what they already think and believe »161.

Fridkin et Kenney, qui ont, quant à eux, analysé les publicités négatives diffusées dans le cadre d’une centaine d’élections au Sénat, concluent que leur efficacité varie, entre autres, en fonction de leur contenu :

negative messages delivered in a legitimate fashion and focusing on a relevant topic depress evaluations of opponents. In contrast, negative messages containing irrelevant information delivered in an overly strident manner depress evaluations of both candidates involved in the campaign. In addition, the findings indicate that the impact of negative messages varies depending on (a) the status of the candidate delivering the message, (b) the characteristics of the citizens receiving the message, and (c) the style of the candidates’ criticisms (e.g., policy vs. personal attacks)162.

La diffusion de publicités purement négatives comporte également le risque qu’elles se retournent contre leur émetteur, à la manière d’un boomerang ou d’une épée à double tranchant : « Negative ad campaigns can be likened to playing with fire, and a basic rule of advertising is that there is the possibility of a ‘boomerang’ or ‘backlash’

159Judith S. Trent, Robert V. Friedenberg et Robert E. Denton, Jr. op. cit., 174.

160David Mark. op. cit., 169; Leonard Steinhorn. op. cit., 124; Darrell M. West. Air Wars : Television

Advertising and Social Media in Election Campaigns, 1952-2012, op. cit., 12.

161Mike Chanslor. op. cit.

162Kim Leslie Fridkin et Patrick J. Kenney. « Do Negative Messages Work ? The Impact on Citizens’

effect »163. Aux États-Unis, il semble que la défaite de John McCain en 2008 soit en

partie attribuable à un tel effet, dans la mesure où les publicités négatives contenant des attaques personnelles contre Barack Obama se seraient retournées contre leur émetteur164. Afin de gagner en crédibilité et pour éviter qu’un tel effet se produise, les

attaques qui sont mises de l’avant dans une publicité négative doivent nécessairement s’appuyer sur des preuves :

Could Obama attack McCain as unprepared to serve as commander-in- chief ? Not in this lifetime. McCain has the necessary experience, and claiming otherwise would backfire. Similarly, McCain can’t question Obama’s intelligence because the Democrat is clearly smart. When ads lack the evidence to support their claims, they tend to work against the candidate who aired them. Just consider the flak McCain took recently after running his ‘sex education’ ad. It simply wasn’t cedible to claim that Obama supported sex education for 6-year-old kids165.

Au Canada, l’effet boomerang a été observé durant la campagne électorale de 1993, quand les Progressistes-conservateurs ont diffusé des publicités négatives « mettant

163 André Gosselin et Walter C. Soderlund. op. cit., 46. Voir également Stephen C. Craig, Paulina S.

Rippere et Marissa Silber Grayson. « Attack and Response in Political Campaigns : An Experimental Study in Two Parts », Political Communication, 31, no 4 (2014) : 647-674; Kathleen Hall Jamieson. Everything You Think You Know About Politics… And Why You’re Wrong. (New York : Basic Books, 2001), 113; David Mark. op. cit., 165; Denis Monière. « Pourquoi les partis ont-ils recours à la publicité négative ? », op. cit, 76; André Gosselin et Walter C. Soderlund. op. cit., 46; Richard Nadeau et Frédérick C. Bastien. op. cit., 179; Lynda Lee Kaid. « Political Advertising », dans Handbook of Political Communication Research, sous la dir. de Lynda Lee Kaid. (Mahwah : Lawrence Erlbaum Associates, Inc., 2004), 172; Brian L. Roddy et Gina M. Garramone. « Appeals and Strategies of Negative Political Advertising », Journal of Broadcasting & Electronic Media, 32, no 4 (1988) : 415- 427; Arthur Sanders. « Creating Effective Political Ads », dans Lights, Camera, Campaign! Media, Politics, and Political Advertising, op. cit., 9.

164 Eric Marks, Mark Manning et Icek Ajzen. op. cit., 1281. Pour d’autres exemples d’effet

boomerang dans le cadre d’élections américaines, voir David Mark. op. cit., 165-184.

165John G. Geer. « Negative Campaign Ads Play an Important Role in Political Campaigns », op. cit.,

l'accent sur les défauts physiques de Jean Chrétien »166. Dans les jours qui ont suivi,

c’est-à-dire entre le 15 et le 18 octobre, l’appui au PC s’est effondré partout à travers le pays : au Québec, par exemple, les « intentions de vote conservatrices et les évaluations favorables de Kim Campbell ont accusé des baisses respectives de 11 et 7 points »167. Les électeurs ont donc fort probablement « réagi à la publicité négative

sur Jean Chrétien de façon contraire aux attentes conservatrices »168. La dégringolade

du PC aurait en apparence profité au PLC et au BQ, puisque Jean Chrétien « voyait sa cote augmenter et que la popularité [du chef bloquiste Lucien] Bouchard demeurait stable »169. Ces publicités ont, en fin de compte, causé « un tort irréparable au Parti

conservateur, en plus de susciter un courant de sympathie pour la victime » et l’indignation des électeurs à l’égard de l’émetteur170.

2.3 Conclusion

Dans le cadre de ce chapitre, nous avons procédé à l’examen détaillé des quatre grandes caractéristiques du style américain de publicité négative que nous avons identifié en nous basant sur la littérature spécialisée. Grâce à l’analyse diachronique et comparative que nous avons réalisée, nous constatons que les publicités négatives canadiennes possèdent, en général, les mêmes caractéristiques que les publicités américaines du même type. Plus spécifiquement, elles servent à attaquer les partis adverses sur le plan des enjeux électoraux (promesses ou bilan), elles cherchent aussi

166 André Blais, Neil Nevitte, Elisabeth Gidengil, Henry Brady et Richard Johnston. « L'élection

fédérale de 1993 : le comportement électoral des Québécois », Revue québécoise de science politique, 27 (1995) : 23.

167Ibid., 23-25. 168Ibid., 25. 169Ibid.

à attaquer les caractéristiques personnelles des chefs de partis adverses et elles ont recours aux stratégies qui sont couramment utilisées aux États-Unis.

En ce qui concerne les techniques de production audiovisuelles, nous avons remarqué que la majorité des publicités négatives canadiennes mettent en œuvre plusieurs techniques américaines, comme l’infographie, la présentation d’images de l’adversaire et le recours à des couleurs sombres ou au noir et blanc. Nous avons également constaté que certaines techniques de production, comme l’utilisation de la voix dramatique d’un narrateur ou d’une narratrice, l’association de l’adversaire à des images négatives et un montage rapide, sont rarement déployées dans les publicités négatives canadiennes. De plus, certaines publicités canadiennes, comme celles diffusées par le PCC contre Justin Trudeau en 2015, sont également complètement exemptes des techniques qui sont traditionnellement déployées aux États-Unis. L’analyse de contenu qui est réalisée au prochain chapitre nous permettra maintenant de déterminer avec une plus grande précision dans quelle mesure les caractéristiques du style américain de publicité négative se retrouvent spécifiquement dans les publicités qui composent notre corpus.

L'étude détaillée que nous avons produite dans ce chapitre nous incite, en conclusion, à noter une observation complémentaire qui s’avère essentielle à la compréhension du prochain chapitre, qui a pour objectif principal de présenter l'analyse de contenu qualitative que nous avons réalisée sur notre corpus de publicités électorales négatives télévisées diffusées dans le cadre des élections fédérales canadiennes entre 2004 et 2015. Nous constatons donc que les chefs de partis sont la principale cible des publicités négatives au Canada, ce qui nous amène à poser un regard sur les phénomènes de la concentration et de la personnalisation du pouvoir.