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2.1 Le style américain de publicité négative

2.1.4 Les techniques de production audiovisuelles

Qu’elles soient positives ou purement négatives, les publicités électorales télévisées exploitent les émotions des électeurs : « attack ads [prey] on fear, positive ads on hope »109. Ainsi, selon Leonard Steinhorn, les techniques de production

audiovisuelles qui sont employées dans les publicités électorales positives ont pour objectif de faire naître chez les électeurs des sentiments favorables à l'égard du candidat émetteur, comme de l’optimisme, de la proximité, de la confiance ou encore

109 James A. Thurber. « Understanding the Dynamics and the Transformation of American

Government », dans Campaigns and Elections American Style : Transforming American Politics, 4e

de l’autorité : « Every detail from the color of the candidate's clothes to the crowd shots to inspiring music to the filter used on the lens is calculated to produce a positive effect »110. Le candidat émetteur sera alors montré alors qu’il parle à des

travailleurs sur un chantier de construction ou dans une usine, lorsqu’il serre la main de personnes aînées ou quand il est entouré d’enfants111. À l'inverse, la publicité

négative sert à créer un sentiment d'anxiété chez les électeurs par rapport à l’adversaire112 :

The sounds and images used in attack ads are designed to provoke anxiety among voters, to make voters associate the attacked politician with something sinister, untruthful, haunting, and dishonest. Consultants use the most ominous voice-overs in these ads and have been known to fill the background with jarring music borrowed from horror films. A typical visual technique is to show the attacked politician in grainy black-and- white film, looking a bit shady and uncomfortable, moving in slow motion, with shadows around his bobbing head, the entire visual conveying a hint of impropriety or wrongdoing – all to ressemble the surveillance video we see on the news or in the movies113.

De plus, la durée des publicités électorales télévisées américaines a évolué depuis leur apparition au début des années 1950114. Ainsi, de 1952 à 1968, les publicités de 20 ou

60 secondes étaient privilégiées par les candidats, alors qu’en 1972 et 1976, ces derniers se sont tournés vers des publicités qui duraient majoritairement 4 minutes 20 secondes. Les publicités de 30 secondes sont quant à elles devenues prédominantes à partir des élections présidentielles de 1980 et 1984.

110Leonard Steinhorn. op. cit., 125. 111Ibid.

112 Alessandro Nai et Annemarie S. Walter. « How Negative Campaigning Impinges the Political

Game : A Literature Overview », dans New Perspectives on Negative Campaigning : Why Attack Politics Matters, op. cit., 240.

113Leonard Steinhorn. op. cit., 125.

114 L. Patrick Devlin. « An Analysis of Presidential Television Commercials, 1952-1984 », dans New

Perspectives on Political Advertising, sous la dir. de Lynda Lee Kaid, Dan Nimmo et Keith R. Sanders. (Carbondale : Southern Illinois University Press, 1986), 32.

Selon West, six techniques de production audiovisuelles sont habituellement mises en oeuvre dans les publicités négatives américaines115. Depuis les années 1950, ces

techniques se sont transformées grâce aux innovations technologiques qui sont venues révolutionner les domaines de la télévision et l’informatique116.

Premièrement, les publicités négatives américaines se composent d’images pour attirer l’attention des électeurs et pour leur transmettre un message117. Pour ce faire,

les candidats vont donc associer l'adversaire à des images négatives dans le but de ternir son image :

In spite of relatively minimal production techniques, by the time of the 1960 campaign, it was clear that, with the technology of television editing, ads could provide addtional arguments for or against a candidate simply by juxtaposing a still photograph of the candidate, a name, or even part of a speech with specific visuals to create a whole range of image messages. Some of the images were positive (American flags, the Liberty Bell, waving fields of grain), others were negative (deserted factories, foreign demonstrators throwing rocks at cars, farmers standing in front of empty grain bins), but all were examples of arguments by visual association118.

Cette technique d'association visuelle a tout d’abord été utilisée pour associer l’adversaire à des images négatives lors des élections présidentielles de 1964 et 1968, comme en témoignent les publicités négatives « Daisy Girl » et « Convention »119. La

campagne électorale de 1968 marque d’ailleurs la première utilisation d’images en couleur dans les publicités électorales120. Dans la foulée du scandale du Watergate, la

115 Darrell M. West. Air Wars : Television Advertising and Social Media in Election Campaigns,

1952-2012, op. cit., 16-20.

116Ibid., 16. 117Ibid.

118Judith S. Trent, Robert V. Friedenberg et Robert E. Denton, Jr. op. cit., 147.

119 Kathleen Hall Jamieson. « The Evolution of Political Advertising in America », dans New

Perspectives on Political Advertising, op. cit., 16.

technique de l'association visuelle a plutôt servi à associer les candidats à des images positives, mais depuis l’élection présidentielle de 1984, les publicités négatives servent à nouveau à associer l’opposant à des images péjoratives121.

Deuxièmement, les publicités négatives américaines présentent des déclarations de l’adversaire, des extraits d’articles de journaux ou des mots-clés sous forme de texte qui sont superposés aux images, ce qui a pour effet d’attirer encore plus l’attention des téléspectateurs122. Troisièmement, on remarque généralement la présence d’une

musique sinistre ou de sons lugubres pour discréditer l’opposant, comme ce fut le cas avec « Revolving Door » en 1988, dans laquelle on peut entendre le bruit d’un tambour, les pas d’un gardien de prison et des voix menaçantes pour convaincre les électeurs de ne pas voter pour Michael Dukakis123. La publicité négative « Firms »,

qui a été diffusée par Barack Obama en 2012, utilise plutôt la chanson patriotique « America the Beautiful » pour démontrer l'hypocrisie du candidat républicain Mitt Romney : « visual text reminded viewers that the GOP nominee had shipped jobs to China and Mexico, had a Swiss bank account and stored money in Cayman Islands financial institutions »124.

Quatrièmement, les couleurs vives servent principalement à créer une image positive d'un candidat, alors que le noir et blanc, le gris et les couleurs sombres ou foncées s'avèrent particulièrement utiles pour rendre l’adversaire moins attrayant aux yeux des électeurs125 : « These often feature grainy black-and-white photos of the

opposition, looking as if he or she just rolled out of bed in the morning, tasted a sour

121Kathleen Hall Jamieson. « The Evolution of Political Advertising in America », op. cit., 17-20. 122 Darrell M. West. Air Wars : Television Advertising and Social Media in Election Campaigns,

1952-2012, op. cit., 18.

123Ibid., 19. 124Ibid. 125Ibid.

pickle, or had a root canal about an hour before »126. Cinquièmement, les publicités

négatives américaines font appel à différentes techniques de montage, comme l'arrêt sur image, l'accélération ou le ralentissement, de même qu'à des méthodes pour altérer les images ou les séquences en les agrandissant ou en les rendant floues, par exemple127. De telles manipulations techniques sont utilisées dans le but de déformer

l’image de l’adversaire, ce qui contribue à la création de fausses impressions dans l’esprit des électeurs à propos du candidat qui est ciblé par la publicité négative128.

Finalement, les candidats évitent consciencieusement d'attaquer eux-mêmes l'adversaire, ce qui nécessite le recours à la voix d’un narrateur ou d’une narratrice anonyme pour attaquer leur adversaire, qui vient lier les différentes images qui composent une publicité négative129.

126David Mark. op. cit., 4.

127 Lynda Lee Kaid et Anne Johnston. Videostyle in Presidential Campaigns : Style and Content of

Televised Political Advertising, op. cit., 132.

128Lynda Lee Kaid. « Effects of the Television Spots on Images of Dole and Clinton », The American

Behavioral Scientist, 40, no 8 (1997) : 1085-1094; Lynda Lee Kaid. « Videostyle and Political Advertising Effects in the 2000 Presidential Campaign », dans The 2000 Presidential Campaign : A Communication Perspective, sous la dir. de Robert E. Denton, Jr. (Westport : Praeger, 2002), 192. L’une des manipulations les plus célèbres apparaît d’ailleurs dans la publicité négative de type « contraste » qui s’intitule « Priority ». Diffusée en 2000 par le Republican National Committee (RNC) en appui à George W. Bush, cette publicité contient un message subliminal associant le candidat démocrate Al Gore au mot « RATS » : « Known as the ‘RATS’ ad, the spot flashed at high speed the letters r, a, t, ans s from the word bureaucrats in an ad accusing opponent Al Gore of allowing bureaucrats to lessen the effectiveness of health care plans. When played at normal speed, the letters were barely visible to the eye, but they became much more obvious when the ad was slowed down and analyzed on a frame-by-frame basis ». Lynda Lee Kaid. « TechnoDistortions and Effects of the 2000 Political Advertising », The American Behavioral Scientist, 44, no 12 (2001) : 2371. Voir également L. Patrick Devlin. « Contrasts in Presidential Campaign Commercials of 2000 », The American Behavioral Scientist, 44, no 12 (2001) : 2349.

129 Darrell M. West. Air Wars : Television Advertising and Social Media in Election Campaigns,

Les techniques de production audiovisuelles au Canada

Les publicités négatives diffusées au Canada sont, à de rares exceptions près, d’une durée de 30 secondes, comme celles que l’on retrouve majoritairement aux États-Unis depuis le début des années 1980. De plus, les publicités négatives canadiennes mettent généralement en œuvre des techniques de production audiovisuelles qui sont déployées aux États-Unis, les plus communes étant l’infographie, la présentation d’images de l’adversaire (photos ou vidéos) et l’utilisation de couleurs sombres ou du noir et blanc. Dans certains cas, les publicités négatives peuvent aussi présenter des images altérées ou floues du candidat adverse et faire appel à une musique funeste. Plus rarement, on se servira de la voix dramatique d’un narrateur ou d’une narratrice et d’un montage rapide pour attaquer l’adversaire, que l’on associera parfois à des images négatives.

Nous avons également remarqué que certaines publicités négatives canadiennes ne font pas usage de ces techniques de production audiovisuelles dans le but d’attaquer l’adversaire. Ces publicités négatives se composent donc d’images aux couleurs vives, ne contiennent pas de musique sinistre et n’ont pas recours à la voix dramatique d’un narrateur ou d’une narratrice, comme en témoignent les publicités diffusées par le PCC contre Justin Trudeau en 2015, qui sont complètement dépourvues des techniques qui sont traditionnellement utilisées aux États-Unis130.

130 « Visually, an attack ad tends to show the target leader with their brand colour darkened or

removed and an unflattering likeness, often rendered in murky grey-tones; yet, the Conservative ad features a full-colour, flattering picture of Trudeau. This picture contradicts the text of the commercial. Indeed, if you turn the sound off this ad can almost be read as a pro-Trudeau ad ». Jeff MacLeod. « The Party Leader’s Image and Brand Management : Party Branding and Negative Ads in the 2015 Canadian Federal Election », dans Canadian Election Analysis 2015 : Communication, Strategy, and Democracy, sous la dir. de Alex Marland et Thierry Giasson. (Vancouver : UBC Press, 2015), 78-79.