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Proximité et relations sociales

Dans le document Science, industrie et territoire (Page 158-160)

Relations individuelles et réseau

A) Proximité et relations sociales

Les relations sociales sont vécues par les acteurs individuels comme un fruit du hasard ou de la volonté, mais il est évident qu'il existe des éléments structurels qui contribuent fortement à moduler les possibilités de construction des liens. On peut rassembler ces éléments sous la forme de trois types de proximité : la proximité sociale ; la proximité relationnelle et la proximité spatio-temporelle99. Le premier type de proximité renvoie à

une sociologie classique des espaces sociaux construits sur la base des caractéristiques socio-démographiques des acteurs sociaux : on est d'autant plus proche qu'on est de la même génération, du même milieu social, du même univers professionnel, etc. Il est aisé

99 On pourrait définir aussi une proximité émotionnelle : se sentir proche de quelqu'un, même si on

de montrer que la probabilité de nouer une relation avec quelqu'un augmente avec la proximité sociale. Le second type de proximité dépend de l'insertion des réseaux sociaux dans lesquels sont insérés les partenaires éventuels de la relation. Plus ces réseaux sont sécants (amis communs par exemple), plus la probabilité est grande qu'une rencontre se produise et débouche sur une fréquentation régulière. Ce type de proximité dessine un espace social différent du premier, bien que pas totalement indépendant. Il y a enfin le dernier type de proximité, le plus simple et le plus banal, mais souvent oublié dans les analyses sociologiques. Pour entrer en relation, il est nécessaire de coexister dans un même espace en même temps. Le temps est une condition évidente : difficile de construire une relation sociale au sens ordinaire avec des personnages d'une autre époque. La proximité spatiale est plus complexe et ne peut se réduire à la distance physique : elle est modulée par tous les moyens de communication existants, leur coût, leur facilité d'accès, etc.

La ville est une entité qui existe dans ces différents espaces, avec plus ou moins de force. Elle est d'abord une entité qui relève du troisième type d'espace et influe à ce titre sur les relations sociales sous deux aspects : en concentrant les lieux d'activités, elle est le cadre principal de formation des liens ; en tant que simple espace de proximité, elle autorise les rencontres fréquentes, ce qui favorise donc le renforcement des liens.

S'interrogeant sur la genèse des relations sociales, E. Goffman signale que « La plupart des relations ancrées naissent, semble-t-il, pour des raisons qui leur sont extérieures et sont le résultat direct et immédiat de dispositions institutionnelles. (On peut citer en exemple les frères et sœurs, les clients, les collègues de travail, les voisins). » (1977, t.II, p.196). Les clients, collègues de travail et voisins sont des personnes rencontrées dans ce que l'on peut appeler des situations routinières d'interaction produites dans des lieux précis (lieux de travail ou de loisirs, établissements scolaires, locaux associatifs, quartier) le plus souvent dans le cadre d'organisations (entreprise, école, association, club sportif). Ces interactions, en partie régulées par les normes internes des organisations qui en forment le cadre (hiérarchie, partage des tâches, etc.), forment le contexte principal de formation des relations sociales100. Les lieux de ces différentes

activités peuvent se trouver relativement dispersés dans la ville ou l'aire de résidence mais cette dispersion ne peut dépasser un certain seuil sans engendrer des problèmes de déplacement insurmontables. Vivre et travailler quelque part conduit donc nécessairement à nouer un certain nombre de contacts avec d'autres individus partageant au moins l'une des activités routinières. En ce sens, la ville ou le territoire engendre pour ceux qui y vivent des relations locales plus ou moins disjointes ou surdéterminées (i.e. recouvrant des contenus différents : collègue de travail habitant le même quartier par exemple). De fait les études quantitatives de sociabilité montrent que les relations locales tendent à être les plus fréquentes dans les réseaux individuels (Fisher, 1982, Degenne et Forsé, 1994).

Si l'inscription dans un ensemble urbain est un élément déterminant de la construction des relations sociales, la proximité géographique a des effets directs sur l'évolution de ces relations : en permettant la récurrence des rencontres, elle favorise leur renforcement et leur complexification. La force d'un lien social que M. Granovetter définit comme

100 Ne sont pas traitées ici les situations organisées de mise en relation (bals, colloques, etc.) pour

lesquelles on pourrait discuter de l'effet territorial, certain pour les activités hors travail, moins pour les activités professionnelles où l'existence récurrente dans une aire donnée de colloques ou rencontres de travail dépend du degré de structuration des systèmes d'action locaux.

« une combinaison (probablement linéaire) de la quantité de temps, de l'intensité émotionnelle, de l'intimité (confiance mutuelle) et des services réciproques qui caractérisent un lien » (Granovetter, 1973, p. 1361) est en partie liée, au moins pour les relations construites par les acteurs indépendamment de l'insertion dans des communautés à fort contenu identitaire, à la possibilité de multiplier les situations de co-présence dans lesquelles la dimension affective et émotionnelle est beaucoup plus importante que dans les autres formes de communication (courrier, téléphone, etc.). C'est ainsi que d'une simple connaissance, on peut passer à des relations à implication plus forte au fil des rencontres et des échanges, ce qui est plus difficile à réaliser à distance, même si cela arrive fréquemment dans les professions où l'on est amené à travailler fréquemment avec des partenaires extérieurs. Le renforcement d'une relation est simplement plus probable dans un cadre local.

Tout en se renforçant, la relation peut se complexifier au fil des rencontres pour s'élargir à des domaines différents de celui dans lequel elle s'est construite : une relation professionnelle peut ainsi évoluer pour recouvrir les dimensions associative, politique, culturelle, s'élergir aux conjoints et aux enfants. Une telle diversification des contenus relationnels (ce qu'on appelle en général surdétermination ou multiplexage dans le vocabulaire de l'analyse de réseaux) est favorisée lorsque les activités des deux partenaires de la relation se situent dans une même aire, à cause de la possibilité de rencontres récurrentes aussi bien dans le monde du travail que dans celui des loisirs. Force des liens et complexité sont à la fois corrélés et distincts : une relation peut devenir forte au sens défini plus haut sans pour autant sortir d'un contexte relationnel précis (cas d'une relation adultère par exemple), alors qu'elle peut se diversifier sans se renforcer (cas où des collègues de travail sont amenés à connaître les familles et lieux de vie des uns et des autres sans pour autant que la relation soit forte). Souvent, les deux aspects de l'évolution d'une relation vont de pair.

Dans le document Science, industrie et territoire (Page 158-160)