29 Sauf le cas de la documentation d’origine papale, abondante: A. Paravicini-Bagliani, Cardinali... op. cit., a principalement tiré parti des mentions de recommandations qui s’y rencontrent pour reconstituer les groupes de familiers qui entouraient les cardinaux, par exemple ceux d’Eudes de Châteauroux, p. 210-212.
30 Cf. G. Devailly, Le Berry... op. cit., p. 481 note 2, sur le peu de valeur historique de cet obituaire; son éditeur, Eug. Hubert, Obituaire du couvent des Cordeliers de Châteauroux (1213-1782), Paris, 1885, indique que les circonstances de la fondation du couvent castelroussin des Frères mineurs sont très mal connues: le premier document fournissant une date sûre, conservé aux Archives départementales de l’Indre (H 276), est de 1250 environ. D’autre part, Eug. Hubert démontre p. 63 qu’il ne faut pas confondre Eudes de Châteauroux avec un presqu’homonyme, le franciscain Gérard Eudes de Châteauroux (de son véritable nom Guiral Ot, qui a vécu au siècle suivant [† 1349] et était originaire visiblement du midi, cf. la notice du DS, t. XI (1982), col. 1057; je remercie le Père L.-J. Bataillon pour cette identification).
ce qui était relativement logique pour des gens venus du nord. Dans ce but, ils ont, à partir du
second XII
esiècle, noué des relations étroites avec la seigneurie de Sully, située immédiatement
au nord de la petite portion de domaine royal, incluant Bourges, dont Philippe I
erétait devenu
propriétaire dès le XI
esiècle; la dite seigneurie eût pu sans cela constituer un obstacle à
l’extension et la maîtrise du domaine royal, situé depuis l’origine sur l’axe Paris-Orléans, et
prolongé de ce fait sans réelle discontinuité jusqu’à Bourges
31. Cette alliance devint si étroite
qu’on voit des membres de la famille de Sully occuper fréquemment l’archevêché de Bourges,
contrôlé par la royauté, à partir de la fin du XII
esiècle
32. Mieux, avec Eudes de Sully, évêque de
1196 à 1208, la famille s’installe à la même époque sur le siège épiscopal parisien
33. On est tenté
de penser que l’archevêque Simon de Sully, neveu du précédent et titulaire du siège métropolitain
berrichon entre 1218 et 1232, a envoyé à Paris, au moment où l’université parisienne prend son
essor véritable, les meilleurs des clercs de sa cathédrale, ou du moins qu’un réseau s’est établi
entre les deux sièges, permettant aux étudiants désireux de poursuivre leur cursus de circuler
d’un lieu à l’autre
34. Eudes de Sully est l’auteur des statuts synodaux faisant de la formation des
prêtres séculiers l’une des clefs de voute de la réforme de l’Eglise; Eudes de Châteauroux a pu
paraître le prototype de ce genre de pasteur à former. L’hypothèse serait gratuite si quelques faits
ne venaient lui donner du poids. On possède l’exemple d’un autre clerc, ayant certes parcouru le
chemin inverse (Paris-Bourges), mais qui atteste l’existence de liens étroits entre les deux
cathédrales au début du XIII
esiècle, sous le contrôle et la protection de la royauté: il s’agit
d’Etienne de Gallardon, l’un des clercs favoris de Philippe-Auguste
35. Un cartulaire de Bourges
31 Cf. G. Devailly, Le Berry...op. cit., p. 389-401.
32 Idem, Ibidem, tableau généalogique p. 486, et p. 389-390.
33 Cf. B. Plongeron dir., Le diocèse de Paris, t. I, Paris, 1987, p. 102-104 (J. Longère). La famille d’Eudes de Sully ne doit pas être confondue avec celle, du même nom, du précédent évêque parisien Maurice de Sully. Sur Eudes de Sully, voir aussi M. Rousset, Positions des thèses de l’Ecole des Chartes (1910), p. 163-167; J. W. Baldwin, Philippe-Auguste, Paris, 1991, index p. 691, s. v°.
34 Les oeuvres aussi circulaient entre les deux lieux, cf. O. Pontal, Les statuts synodaux du XIIIe siècle, t. I: Les statuts de Paris et le synodal de l’ouest, Paris, 1971, p. lxxvi: Alain de Lille a dédicacé son Pénitentiel, écrit vers 1196, à Henri de Sully, frère d’Eudes et archevêque de Bourges entre 1183 et 1200.
35 Cf. L. Delisle, Etienne de Gallardon, clerc de la chancellerie de Philippe-Auguste, chanoine de Bourges, dans BEC, t. LX (1899), p. 5-44; l’auteur explique par ce transfert de la chancellerie royale au chapitre de Bourges, p. 17, comment l’anecdote du dialogue entre Philippe-Auguste et Pierre le Chantre, à propos de la figure du roi idéal, a pu
semble prouver par ailleurs qu’Eudes de Châteauroux connaissait bien le chapitre cathédral de
cette ville: il y nommait les chanoines, dans une lettre, ses « amis »; de là à penser qu’il fut
membre du chapitre, il y a un pas que rien, sinon une mention douteuse, ne permet de franchir; il
a dû pour le moins faire partie des clercs de la cathédrale
36. Le premier sermon datable qu’il ait
fait entendre, celui contre les hérétiques albigeois, paraît être de 1226. Où fut-il prononcé ? Le
discours est un encouragement explicite à prendre la croix, ce qui incite N. Bériou à le dater
postérieurement à février 1226, date à laquelle le légat pontifical Romain Frangipani
commissionne officiellement les prédicateurs de la croisade
37. Si l’on suit cet avis, le sermon
aurait pu être prononcé dans un cadre longtemps familier, lors du concile tenu à Bourges le 17
figurer dans le cartulaire du chapitre constitué par E. de Gallardon, aujourd’hui conservé à Paris, BNF, nal 1274, f. 299-299v (voir l’édition du texte par L. de Raynal dans BEC, t. II (1841), p. 398-401, corrigée par L. Delisle, art. cit., p. 23-24). A propos du rôle important d’E. De Gallardon à la chancellerie capétienne, voir aussi E.A.R. Brown, La notion de légitimité et la prophétie à la cour de Philippe-Auguste, dans La France de Philippe-Auguste. Le temps des mutations. Actes du Colloque international organisé par le C.N.R.S. (Paris, 29 septembre-4 octobre 1980) , éd. R.-H. Bautier, Paris, 1982, p. 77-110, ici p. 89s.
36 Sur la lettre cf. L. de Raynal, Histoire... op. cit., p. 227 note 2, copié par l’abbé Caillaud, Notice...op. cit., p. 26 note 1; on doit ici faire confiance à Raynal qui cite une lettre de 1237 copiée au f. 148 du « grand cartulaire de Saint-Etienne de Bourges », puisque ce cartulaire a été très abimé dans l’incendie de 1859 (sur cet épisode voir G. Devailly, Le Berry...op. cit., p. 11, et L. Delisle, Etienne de Gallardon... art. cit., p. 9). En se fondant sur l’obituaire de Bourges, G. Thaumas de la Thaumassière, Histoire de Berry..., Paris, 1689, p. 344, fait d’Eudes un chancelier de la cathédrale. P. Guérin, Notice...art. cit. (1920), p. 5, récuse cette assertion en jugeant le texte de La Thaumassière « fort suspect ». Il est possible en effet que les clercs de Bourges aient voulu compter parmi leurs donateurs un berrichon devenu célèbre dans l’Eglise. Cela aurait toutefois difficilement pu être crédible sans que le futur cardinal ait jamais fréquenté l’église métropolitaine; l’un des cartulaires préservés du chapitre de Bourges, aujourd’hui le manuscrit de Paris BNF, nal 1274, contient au folio 55 (document numéroté 31) un acte de 1225 rubriqué en rouge: « De domo Domini Guillelmi Bonis empta ab Odone cantore bituricensi et ab ipso data in proprium cantorie » ; l’archevêque Simon de Sully (1218-1232) y confirme et corrobore la vente par deux clercs berrichons de la maison du clerc défunt Guillaume Bonis; l’acquéreur, nommé Eudes, est le chantre de la cathédrale de Bourges; la maison étant située dans le cloître, Eudes désire qu’elle demeure propriété perpétuelle de la chantrerie, à condition que le titulaire de cet office paie une rente annuelle de cent livres parisis au chapitre de Bourges pour célébrer plus tard l’anniversaire de sa mort. Si un seul parmi les nombreux « Eudes » du cartulaire devait être le futur cardinal, ce serait très probablement celui-ci; s’expliquerait alors sa présence dans l’obituaire de la cathédrale.
37 N. Bériou, La prédication de croisade...art. cit., p. 92; l’auteur le suppose dès 1226 fréquentant les écoles de théologie parisienne, Ibidem.
mai, qui lance la croisade; mais on ne peut écarter, d’après le contenu, l’hypothèse qu’il l’ait été
dès le concile de Paris de fin janvier 1226, où le roi se croise publiquement
38.
Plusieurs autres indices d’une possible présence à Paris d’Eudes de Châteauroux, dès le
milieu des années vingt du siècle, existent. L’un est fourni par la mention du « bon temps du roi
Louis [c’est à dire Louis VIII] et du prévôt Jean des Vignes » dans le sermon de 1229 étudié
ci-dessous; l’expression suggère en effet que le prédicateur séjournait à cette époque dans la
capitale, or Jean des Vignes est connu pour avoir exercé la charge de prévôt entre 1223 et 1227
au plus tard
39. Un document, non daté, du Cartulaire de l’église Notre-Dame de Paris, voit le
concierge renoncer à un tonlieu sur des maisons situées dans sa censive, au profit de l’évêque B.;
on trouve parmi les témoins maître Eudes, chanoine de Paris; si l’évêque B. est Barthélémy,
comme c’est probable, la période concernée est 1223-1227
40; mais rien ne prouve que le
38 N. Bériou, La prédication de croisade...art. cit., p. 92, écarte ces hypothèse de janvier et mai 1226, parce que le sermon est un appel à la croisade: il devrait donc être encadré par la commission officielle du légat (février) et le lancement de l’expédition en concile (mai). Mais il ne paraît pas certain que la doctrine canonique concernant la croisade soit aussi fermement établie à cette époque; on peut donc penser que la prédication de croisade continuait durant et après le déclenchement officiel de l’expédition. D’autre part, un concile précédent, où le roi était absent, s’est tenu à Bourges même le 30 novembre 1225, sous la direction du légat pontifical; Eudes de Châteauroux a pu y donner son sermon. Enfin, sur les cinq sermons que Philippe le Chancelier a donné sur la même affaire (la croisade de 1226), et qu’analyse N. Bériou, art. cit., le second fut prononcé selon toute probabilité lors du concile de Paris de fin janvier 1226, ou très peu après, voir les arguments convaincants de C. Maier, Crisis, Liturgy and the Crusade in the Twelfth and Thirteenth Centuries, dans JEH, t. XLVIII/4 (1997), p. 628-657, ici p. 644; or ce sermon possède une histoire biblique en commun avec celui d’Eudes (cf. bidem p. 647, sermon de Phillippe; et p. 653 avec la note 127, sermon d’Eudes), le récit du siège de Ai par les Israelites (Jos. 8, 26); Eudes bachelier aurait-il repris en écho un passage d’un sermon de maître Philippe ? Sur le détail des événements politico-religieux, cf. Ch. Petit-Dutaillis, Etude sur le la vie et le règne de Louis VIII (1187-1226), Paris, 1894, p. 290s.; G. Sivery, Louis VIII le lion, Paris, 1995, n’ajoute rien sur ce point.
39 Cf. W.C. Jordan, Louis IX and the Challenge of the Crusade. A Study in Rulership, Princeton, 1979, p. 224 (appendix one : liste des titulaires de différentes prévôtés).
40 B. Guérard, Cartulaire... ed. cit., t. I, p. 20 doc. viii; le document d’après l’éditeur appartient au cartulaire de l’évêque, le plus ancien recueil d’actes concernant Notre-Dame (Avertissement, p. I), et figure parmi d’autres rassemblant les fiefs qui meuvent de l’évêque (Ibidem p. I-II); on sait que l’évêque Barthélémy a réglé en 1226 des problèmes mineurs de juridiction avec le chapitre de Saint-Germain-l’Auxerrois, bourg où se trouvaient les droits cédés par le concierge, cf. B. Plongeron (dir.), Le diocèse deParis... op. cit.,t. I, p. 444 (liste des évêques) et p. 134-135 (épiscopat de Barthélémy).
« Eudes » témoin de cet acte soit le futur cardinal. Un troisième élément est plus troublant: dans
le Chartularium universitatis parisiensis
41, on lit au document n° 50 la condamnation par
Honorius III, en date du 23 janvier 1225, du livre de Jean Scot Erigène « »;
l’éditeur précise en note que le cardinal Hostiensis, dans son commentaire aux Décrétales de
Grégoire IX, dit avoir été renseigné sur le contenu de cet ouvrage par Eudes de Châteauroux, qui
« dictum autem librum exposuit, errores singulos condempnando, ... a quo et habuimus hanc
doctrinam »
42. Veut-il dire qu’Eudes de Châteauroux lui a parlé de ce livre alors qu’ils étaient
tous deux cardinaux
43, ou bien que ce même Eudes a participé au concile provincial de Sens
mentionné par le document, qui a condamné l’ouvrage, et qu’il y aurait dénoncé les erreurs dont
il était rempli ? On ne peut répondre. Mais tout indique que le milieu des années vingt du siècle
constitue le moment charnière où Eudes de Châteauroux passe du Berry à Paris.
Avant d’évoquer l’arrivée dans la capitale capétienne, il est possible d’appuyer encore
davantage l’hypothèse d’un passage par Bourges en tirant parti des sermons. Nous sommes en
Italie une quarantaine d’années plus tard, en 1265 exactement, et Eudes de Châteauroux devenu
cardinal-évêque de Tusculum prêche à la Portioncule pour la fête de saint François devant ses fils
spirituels et sans doute la cour romaine. Il commence par un souvenir personnel, évoquant une
verrière de l’église où il contemplait, enfant, la parabole du bon Samaritain, sans donner la
moindre précision sur le bâtiment dont il s’agit
44. Or les dates de la reconstruction de la
41 Ed. H. Denifle et E. Chatelain, t. I, Paris, 1889 (Désormais cité CUP, avec le n° du document et la page; toutes mes références seront au t. I).
42
CUP, n° 50, p. 107 note 1.
43 Ils se sont fréquentés entre 1262 (promotion au cardinalat d’Henri de Suse) et 1273 (mort d’Eudes de Châteauroux); sur un épisode de leurs relations, cf. ci-dessous la transcription et l’étude du SERMO n° 40; sur l’influence plus générale qu’ont pu exercer les idées d’Hostiensis sur Eudes de Châteauroux, voir le chapitre V.
44 Texte cité par J. G. Bougerol, Saint François dans les sermons universitaires, dans Francesco d’Assisi nella storia, t. I, Rome, 1983, p. 173-199, ici p. 175-176; voir sa transcription, SERMO n° 28. N. Bériou, De la lecture aux épousailles. Le rôle des images dans la communication de la Parole de Dieu au XIIIe siècle, dans Cristianesimo nella storia, t. XIV (1993), p. 535-568, reprend cet exemple pour montrer qu’il faut sans doute nuancer la métaphore de Grégoire le Grand, sans cesse réitérée par les auteurs médiévaux, concernant les images comme « Bible des pauvres »; elle suggère, à juste titre à mon avis, le rôle pédagogique de la prédication pour aider à comprendre les images, en particulier lorsque l’exégèse n’en est pas traditionnelle, comme c’est en l’occurrence le cas, cf. p. 538-540.