milieu du XII
esiècle; qu’il préfère recourir, pour structurer son sermon, de préférence à la
méthode victorine de la pluralité des sens de la Bible
106. Cela ne signifie pas qu’il néglige,
comme mode de dilatation proprement dite de ses subdivisions, les distinctions: sous la forme
ancienne des interprétations, il a fréquemment recours à ce procédé, ainsi à propos des villes de
Gabaha
107ou de Hay
108. On sait que les deux modes d’interprétation s’épaulaient et se
contaminaient, puisque les recueils de distinctions fonctionnaient souvent sur le principe des trois
ou quatre sens
109. Mais chez Eudes de Châteauroux, c’est toujours le système inverse qui
fonctionne: l’énoncé des différents sens possibles du thème, qu’il appelle aussi modes,
commande des sous-développements à l’aide de distinctions, et non l’inverse. L’utilisation
préférentielle de la pluralité des sens de l’Ecriture pour établir le plan du discours, la place
majeure donnée à l’allégorie au détriment du sens moral étroitement entendu (comment bien
agir), enfin l’adaptation partielle seulement de cette structure du sermon à une division en
séquences du thème, tout cela demeurera sa marque propre
110.
De même, la virulence du ton adopté dans cette prédication de circonstances porte sa
marque: face à l’hérésie albigeoise, l’orateur n’envisage plus un instant que l’effort de conversion
105 F. 295rb: « Currite ergo, karissimi, et festinetis ut hanc indulgentiam habeatis, signum crucis viuifice assumentes ».
106 Cela alors que s’impose à cette époque la technique de la distinctio, à partir du verset entier, ou d’une partie seulement de celui-ci, voire d’un seul mot, cf. N. Bériou, L’avénement... op. cit., p. 152s.
107F. 295ra: « Hay interpretatur vita vallium ».
108 F. 295ra: « Gabaha interpretatur vallis alta, profunda », cf. G. Dahan, L’exégèse... op. cit., p. 145 sur les interprétations comme sous-groupe des distinctions; p. 314s. sur le genre. Eudes de Châteauroux lui-même a composé des Distinctiones super Psalterium, cf. N. Bériou, L’avénement... op. cit., p. 140 et p. 179.
109 Cf. N. Bériou, Ibidem p. 155.
110 N. Bériou établit toutefois un parallèle avec Philippe le Chancelier, de la même génération qu’ Eudes de Châteauroux, en les oppposant aux autres prédicateurs de la série de 1230-1331, davantage portés sur l’interprétation directement tropologique du thème, cf. Eadem, Ibidem p. 162 à propos de frères mineurs et de Guillaume d’Auvergne (dont le traité de prédication cité supra confirme cette tendance).
soit possible et utile
111; assassins, infidèles, pécheurs relaps
112qu’il n’est plus concevable de voir
se repentir
113, bref malfaisants
114, les hérétiques méritent d’être détruits
115.
On retrouve la même virulence, mais aussi la même rigueur dans la méthode de
structuration et de développement, avec le sermon de 1229
116. A nouveau, le second point, c’est à
dire l’interprétation tropologique, annoncé dans l’introduction, n’est pas traité; mais à la
différence du sermon précédent, ce n’est point par manque de temps et urgence des circonstances
semble-t-il, puisqu’il fait l’objet d’un sermon à part dans les mss, sur le même thème biblique
117.
S’agit-il de la pratique du sermon du matin et de la collation du soir, usage typiquement
universitaire
118? C’est tout à fait possible, et dans ce cas le fait que l’orateur ait réservé
l’interprétation tropologique à un second discours et à un auditoire exclusivement clérical me
111 Cf. N. Bériou, La prédication de croisade... art. cit., p. 99.
112 Eudes de Châteauroux retourne ici habilement le thème classique des malheurs des chrétiens « peccatis exigentibus »: ce sont les Albigeois qui, en vertu de cet adage, doivent être châtiés, cf. N. Bériou, Ibidem p. 98; le texte dit (f. 294va): « Nichil enim adeo sordidat animam ut peccatum hereseos. Hoc autem fuit peccatis eorum exigentibus. Numquam Dominus eos permisisset cadere in peccatum infidelitatis nisi prius per peccata sua Dominum dimisissent ».
113 F. 295ra: « Etiam ideo profunde dicuntur peccare heretici, quia vix possunt euelli a peccato hereseos ».
114 F. 295rb: « ut omnes sicut boni filii communiter insurgant aduersus malignantes, id est hereticos predictos ».
115 F. 295rb: « Et rogemus Dominum Ihesum Christum ut destruat hereses ».
116
RLS n° 192 (mss de Rome, AGOP XIV, 32, f. 111va-112vb; Paris, BNF latin 12423, f. 153va-154rb; Troyes, Bibl. mun. 271, f. 113rb-114ra; Berlin, Staatsbibliothek, Lat. fol. 932, f. 93va-93rb); je citerai d’après le ms. de Rome.
117
RLS n° 193 (mss de Rome, AGOP XIV, 32, f. 112vb-113vb; Paris, BNF latin 12423, f. 152rb-153va; Paris, BNF latin 15959, f. 563ra-564rb; Troyes, Bibl. mun. 271, f. 114ra-114rb; Berlin, Staatsbibliothek, Lat. fol. 932, f. 94rb-94vb); je citerai d’après le ms. de Rome. Ce fait a déjà été remarqué par A. Callebaut, Le sermon historique... art. cit., p. 109 note 2, avec l’édition du sermon RLS n° 192.
118 Sur cet usage, cf. J.-G. Bougerol, introduction à l’édition de Sancti Bonaventurae Sermones Domincales, Grottaferrata, 1977, p. 16-17; Idem, Saint Bonaventure. Sermons de Diuersis, Paris, 1993, t. I, introduction p. 7; Idem, La prédication dans les Studia des Mendiants, dans Convegno di Studi sulla Spiritualità medievale, Todi, 1977, p. 251-280; N. Bériou, L’avénement.. op. cit., p. 109-114, qui précise p. 112 qu’on ne voit pas trace de cet usage dans la série de 1230-1231; le dédoublement en sermon et collation serait pourtant, d’après le témoignage des deux sermons d’Eudes de 1229, antérieur à 1231 (voir N. Bériou, Ibidem, note 138 p. 111: renvois bibliographiques sur les différents sens possibles du mot « collation »).
paraît très significatif
119. Cette mise à l’écart de la troplogie dans le premier texte permet à
l’orateur de se concentrer sur l’allégorie, puisque les mots du thème « conviennent au misérable
état de cette ville »
120. Aucun plan n’est annoncé, mais l’ensemble est en réalité fermement
structuré par une mise en perspective historique de l’interprétation allégorique, qui prend le
thème à rebours. Eudes décrit d’abord la façon dont le Diable a dû quitter Paris, « dont il avait été
ejecté comme de sa propre demeure par la prédication du bienheureux Denis et de ses
compagnons »
121; cette première partie du sermon correspond en fait à la seconde du thème,
« unde exiui ». Il oppose ensuite à cette époque heureuse, dont il place le terme exactement à la
mort du roi Louis VIII et au départ du prévôt Jean des Vignes, la situation catastrophique
actuelle
122. Chacune de ces deux grandes époques est subdivisée non plus historiquement, mais
selon des distinctions qui permettent de marteler des chiffres et de frapper ainsi l’auditoire:
jusqu’en 1226, et malgré le meurtre de saint Denis que le Diable était parvenu à fomenter, les
Parisiens ont pu résister aux quatre cornes qu’il a suscitées depuis son exil pour « disperser
Judas » (Zach. 1, 20)
123, Judas c’est à dire « tout homme »
124; ces quatre cornes sont ses quatre
armées: l’ignorance, l’erreur ou infidélité, le mauvais exemple, l’abondance des péchés. Les
quatre armées sont aussi, nouvelle distinction par concordance, les quatre bêtes de Daniel (Dn. 7,
3): la lionne, correspondant à l’ignorance; l’ours à l’infidélité; le léopard au mauvais exemple; la
quatrième est sans nom, « car qui pourrait nommer tous les péchés ? »
125. Pour contrer ces quatre
119 Les éléments qui semblent prouver qu’on a affaire à un sermon et une collation: l’identité du thème biblique (aussi la rubrique du RLS n° 193: « Sermo de eodem themate », f. 112vb); le fait que le début du sermon RLS n° 193 reprenne exactement le sens moral annoncé dans le sermon précédent (« In hac serie euangelii ostenditur causa recidiuationis, cum dicit: Inuenit eam vacantem et scopis mundatam et ornatam », f. 112vb [Mt. 12, 44]); que ce danger de récidive soit appuyé par une citation de Matthieu: Assumpsit septem spiritus nequiores se (Mt. 12, 45) qu’on trouve déjà dans le premier sermon; une autre citation commune, celle de Mt. 12, 44 qui figure ci-dessus, est appliquée allégoriquement dans le sermon RLS n° 192 aux ordres mendiants, voir ci-dessous.
120 Passage cité supra note 95.
121F. 111va: « ... ciuitate parisiensi, a qua quasi a propria domo eiectus fuit dibaolus per predicationem beati Dyonisii et sociorum eius ».
122 F. 112rb: « Vere vacauerat et quieuerat hec ciuitas a malo, tempore regis Ludouici et Iohannis de Vineis ».
123 F. 111va: « A Parisius enim processerunt quatuor, quasi quatuor acies, que diabolum quasi per totum mundum fugauerunt et molestauerunt, sicut legitur Zachar. i° ».
124 F. 111vb: « Hec quatuor acies omnem Iudam, id est hominem, ventilabant ».