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des cours au studium dominicain de Saint-Jacques, a vu l’évêque Guillaume reconnaître institutionellement cette situation de fait, de sorte que lorsque Jean a transmis son poste à un

frère, Roland de Crémone, en 1229, la première chaire dominicaine était née; la seconde s’ajoute

lorsque Jean lui-même, qui a recommencé son enseignement, prend le 22 septembre 1230 l’habit

des Prêcheurs durant un sermon

160

. Si les Mendiants devaient plus tard rencontrer des adversaires

résolus en la personne de certains maîtres séculiers

161

, on a la preuve que durant la première

décennie au moins correspondant à leur arrivée à Paris, ces ordres ont aussi trouvé chez les clercs

séculiers un excellent accueil

162

.

Significativement, les Séculiers demeurent majoritaires dans ce calendrier de 1230-1231;

on doit bien sûr y lire l’effet des règles de répartition des rôles au sein de cette prédication. Il

n’en reste pas moins que le caractère violent de la querelle entre Séculiers et Mendiants ne doit

pas être anticipé, et à la lumière de ce document, sans doute faut-il clairement le minorer. C’est

plus tard qu’un regard rétrospectif sur ces événements a pu les faire apparaître comme le début de

l’immiscion subreptice des Frères dans un domaine jusque là réservé aux clercs séculiers. La

personnalité d’Eudes de Châteauroux et son rôle dans cette séquence oratoire apparaissent à la

fois comme cause et conséquence de cette bonne entente. Il faut en fait ramener la durée réelle

d’une grève « dure » à l’année universitaire 1229-1230 environ: Eudes de Châteauroux prêche

160 Cf. M.-M. Davy, Ibidem p. 134-135; M.-M. Dufeil, Guillaume de Saint-Amour et la polémique universitaire parisienne, 1250-1259, Paris, 1972, p. 24-25; N. Bériou, L’avénement... op. cit.,p. 114. On a vu le jugement élogieux porté par Eudes de Châteauroux en 1229 sur l’action des Mendiants; il fait allusion dans le même texte au fait que de nombreux étudiants ont pris l’habit des Frères, signe que le climat était meilleur que vingt années plus tard environ, cf. note suivante.

161 C’est le coeur de l’ouvrage de M.-M. Dufeil, Guillaume... op. cit.

162 Cf. R. Lerner, Weltklerus und religiöse Bewegung im 13. Jahrhundert. Das Beispiel Phillips des Kanzlers, dans Archiv für Kulturgeschichte, t. LI (1969), p. 94-108 ; le cas d’Eudes de Châteauroux est typique, voir plus loin l’évocation des nombreux sermons qu’il consacre aux Dominicains et aux Franciscains, dont quelques-uns ont été édités: par A. M. Walz, Odonis de Castro Radulphi S.R.E. Cardinalis Episcopi Tusculani sermones sex de sancto Dominico, dans Analecta sacri ordinis fratrum predicatorum, t. XXXIII (1935), p. 30-79 (174-233); F. Gratien, Sermons franciscains du cardinal Eudes de Châteauroux (mort en 1273), dans Etudes franciscaines, t. XXIX (1913), p. 171-195 et 647-655; t. XXX (1913), p. 291-317 et 415-437. Ces deux auteurs ne fournissent pas la série complète de tous les sermons relatifs aux Mendiants, puisque celui sur saint François évoqué supra, de 1265, ne figure pas dans l’édition de F. Gratien; d’autres seraient sans doute repérables grâce aux rubriques. Certains sont datables et je les ai intégrés dans mon corpus, voir ci-dessous.

dès le huit septembre 1230

163

, entamant ainsi une série de vingt-sept sermons répartis assez

régulièrement d’un bout à l’autre de l’année, jusqu’au 17 août 1231, sauf une parenthèse assez

longue de deux mois environ (entre le 22 janvier 1231 et le 30 mars 1231)

164

; il prend la parole

presque une fois sur trois (vingt-sept sermons sur un total de quatre-vingt quatre) dans ce cadre,

ce qui n’exclut pas d’autres prises de parole ailleurs; il le fait dans des circonstances assez

différentes: deux fois en synode

165

, ce qui tendrait à prouver que le milieu clérical parisien

apprécie ses talents

166

; dans différentes églises, repérables lorsque la rubrique le permet (onze

identifications possibles en tout sur les quatre-vingt quatre sermons), c’est à dire: Saint-Antoine

deux fois (sermons n° 8 et n° 75), Saint-Victor (n° 39), Saint-Jacques (n° 42), Sainte-Geneviève

(n° 80); soit là encore, nonobstant la présence possible d’un public plus large

167

, devant une

grande diversité d’auditoires cléricaux et religieux, attestant sa capacité à toucher toutes sortes de

publics, religieux mendiants mais aussi bénédictins, chanoines victorins, Cisterciennes

168

. Quelle

qu’elle soit, la nature de l’auditoire n’intimidait pas l’orateur, qui paraît profiter de la présence

des intéressés pour se montrer d’autant plus rude dans ses propos, sur tout ce qui touche à la vie

spirituelle et au gouvernement de l’Eglise. Ainsi, à Sainte-Geneviève, il s’en prend violemment

aux supérieurs religieux paresseux, incitant les « claustrales minores » à s’en débarasser si besoin

est

169

; la même opposition entre abbés et simples moines formait déjà l’ossature du sermon n°

163 Cf. N. Bériou, L’avènement... op. cit.,p. 683; c’est le premier sermon de la série; les vacances universitaires sont en fait assez courtes à cette époque, cf. la bulle « Parens scientiarum », éd. cit. p. 138; l’activité de prédication, d’après ce document, ne paraît pas s’interrompre.

164 Cf. N. Bériou, Ibidem p. 684, sermon n° 36 (éd. M.-M. Davy, Les sermons... op. cit., p. 195-201), prêché le 22 janvier; p. 685 sermon n° 54 (éd. M.-M. Davy, Ibidem p. 201-205), marquant la reprise le 30 mars. Pour tous les sermons du ms. de Paris BNF nal 338, j’utilise les numéros de la liste établie par N. Bériou, Ibidem.

165 Cf. N. Bériou, Ibidem, sermon n° 10 p. 683, donné le 16 octobre 1230 (= éd. M.-M. Davy cit., p. 183-189); sermon n° 57 p. 685, donné le 10 avril 1231 (= éd. M.-M. Davy cit., p. 206-213).

166 Sur ce type de sermons cf. N. Bériou, La prédication synodale au XIIIe siècle d’après l’exemple cambrésien, dans Le clerc séculier au Moyen Âge, Paris, 1993, p. 229-247.

167 Cf. N. Bériou, Ibidem p. 116-117 notes 159-161, sur un sermon d’Eudes de Châtearoux de 1237 donné dans l’église Saint-Cosme-et-Damien, où se mêlent visiblement clercs de l’université et paroissiens.

168 Sur les soeurs cisterciennes de Saint-Antoine-des-Champs, cf. N. Bériou, Ibidem p. 118 s.

169 Cf. pour tout ce qui suit, B. Hauréau, Notices et extraits de quelques manuscrits latins de la Bibliothèque nationale, t. VI, Paris, 1893, p. 200-219: l’auteur donne un commentaire suivi des sermons d’Eudes contenus dans le manuscrit de Paris, BNF nal 338, et complète par de nombreux exemples pris dans d’autres sermons; ici, voir p. 219.

74

170

, les seconds étant astreints, injustement selon Eudes de Châteauroux, à une discipline plus

rude que les premiers, là où l’égalité s’impose. Un second angle d’attaque est constitué par la

question de la pluralité des bénéfices

171

, car la possession de plusieurs prébendes, souvent

justifiée par la nécessité de pourvoir à l’entretien des études

172

, entraine en réalité la

non-résidence et la négligence de la cure d’âmes; des attaques violentes sur ce thème sont contenues

dans les sermons n° 36

173

, n° 57 en synode, où Eudes condamne l’absence des clercs à l’office,

car ils courent les rues au lieu de desservir leurs églises

174

; pour ceux d’entre eux qui font l’effort

d’être présents, leur tenue débraillée montre leur mépris pour le culte, quand son impudicité ne

fait pas craindre les pire vices chez ces clercs

175

; les n° 58

176

et 65 relancent encore ces attaques

permanentes contre la non-résidence et la pluralité des bénéfices, intrinsèquement liées. Si

l’étude, but principal de l’étudiant, constitue en soi une tâche admirable

177

, elle est trop souvent

détournée de ses véritables objectifs par des clercs dont la tête enfle

178

, et qui s’avèrent

rapidement plus préoccupés par le trafic des dignités ecclésiastiques

179

conduisant au

népotisme

180

, que par la santé spirituelle de leurs ouailles. Le résultat est logique: toutes les

catégories de la société sont corrompues, puisque ceux qui devraient montrer la voie verbo et

170 Cf. B. Hauréau, Notices... op. cit., t. VI p. 221.

171 Cf. N. Bériou, Ibidem p. 122; je traite ce problème plus en détail au § 3 suivant.

172 Voir, parmi beaucoup d’autres, ce passage tiré d’un sermon sur saint Dominique (RLS n°652, éd. cit. A. M. Walz,p. 201): « Quando enim queritur a theologis: Vos habetis magnos redditus, quid facitis de eis ? non habetis nisi unicum seruientem; vel: Quare tenetis duas prebendas, respondent quod oportet multa expendere in libris ».

173 Cf. B. Hauréau, Notices... op. cit. t. VI, p. 209-211, où l’auteur rapproche ces critiques d’un extrait de sermon de Guillaume de Château-Thierry, un autre maître en théologie parisien, lui aussi d’une extrême virulence contre la pluralité.

174 Voir l’éd. M.-M. Davy cit., p. 210.

175 M.-M. Davy, Ibidem p. 211.

176 Cf. B. Hauréau, Notices... op. cit. , t. VI p. 214.

177 Cf. B. Hauréau, Notices... op. cit., t. VI p. 203, à propos du sermon n° 8, qui explique que les Gallici ont de toute tradition apporté leur soutien à l’Eglise, grâce au rôle tenu par Paris, fontaine de pureté, dans la formation des clercs.

178 Cf. B. Hauréau, Notices... op. cit., t. VI p. 211 à propos du sermon n° 39 sur les théologiens infatués d’eux-mêmes.

179 Cf. B. Hauréau, Notices... op. cit., t. VI p. 203-205, à propos du sermon n° 10 (= éd. M.-M. Davy cit., p. 185, p. 186, p. 187).

exemplo

181

faillissent. C’est le cas des laïcs

182

qui ne respectent pas les fêtes sacrées

183

,

répugnent à une pratique religieuse régulière de peur d’être accusés de papelardise

184

, fréquentent

moins les sermons, alors qu’on peut en écouter à Paris davantage qu’ailleurs

185

, et qu’il convient

d’obéir aux commandements qu’on peut y entendre

186

; cette attitude mène tout droit à la

contestation des vérités de foi

187

, voire à l’hérésie

188

.

Pour reprendre une formule de N. Bériou, nous sommes bien face à des sermons aux clercs

et aux simples gens; peut-on distinguer entre le style de tel ou tel discours, selon qu’il

s’adresserait plutôt à une catégorie qu’à l’autre, et témoignerait ainsi d’un essai d’adaptation aux

auditoires ? Répondons d’emblée que non. Ce qui se révèle, ce sont plutôt des différences dans la

nature des thèmes abordés

189

, ainsi que des méthodes différentes d’exégèse, selon deux axes que

181 Sur ce topos récurrent du prédicateur qui doit se montrer exemplaire, cf. F. Morenzoni, Des écoles... op. cit., p. 42-47; N. Bériou, L’avènement... op. cit., p.39-48.

182 Cf. éd. M.-M. Davy cit., p. 181 à propos du sermon n° 3: les catégories laïques visées englobent la totalité de la société urbaine, les milites , les burgenses et même le populus minutus , qui ne relève donc pas d’une sociologie spécifique des historiographes italiens.

183 Cf. B. Hauréau, Notices... op. cit., t. VI p. 209 à propos du sermon n° 24: les laïcs s’amusent à Noël au lieu de considérer le caractère religieux de la Nativité.

184 Cf. B. Hauréau, Ibidem, p. 214 à propos du sermon n° 58, voir N. Bériou, Robert de Sorbon... art. cit., sur la portée de ces accusations de papelardise et le sens de ce mot, « papelard ».

185 Cf. B. Hauréau, Ibidem p. 215 à propos du sermon n° 59.

186 Cf. éd. M.-M. Davy cit., p. 217.

187 Sur ce problème, cf. R. Lerner, The Uses of Heterodoxy, the French Monarchy and Unbelief in the Thirteenth Century, dans French Historical Studies, t. IV (1965), p. 189-202.

188 Voir le sermon n° 54, éd. M.-M. Davy cit., p. 202-203. Ce sermon est repris dans les collections éditées du cardinal (sous la forme du RLS n° 328a), avec une légère modification, l’ajout d’une note marginale relative à Aristote, qu’on peut lire dans la transcription (d’après le ms. de Rome AGOP XIV, 33, f. 42rb-43vb) de J. B. Pitra, Analecta... op. cit., p. 244; B. Hauréau, dans son c.r. cité du travail de J.-B. Pitra, commente cet ajout (p. 473) en signalant qu’il témoigne d’une médiocre intelligence des catégories de pensée aristotéliciennes.

189 C’est aussi l’avis de N. Bériou, L’avénement op. cit., qui étend cette conclusion à l’essentiel des reportations parisiennes de sermons au XIIIe siècle, voir par exemple les p. 122 s.: les thèmes plus que le style permettent éventuellement de différencier les auditoires, ce qui de toute façon est toujours un exercice délicat en l’absence de rubriques.

je qualifierais, l’un de « biblique moral », dans la lignée de Pierre le Chantre

190

, l’autre de

« victorin », dont Eudes de Châteauroux est plus proche

191

. Il ne convient pas d’exagérer les

différences: le sens tropologique est davantage mobilisé chez ceux que j’apparente à l’école

morale

192

, tandis qu’Eudes de Châteauroux, en privilégiant l’allégorie, en élargissant sa matière

au-delà du thème

193

, et en insérant fréquemment son propos dans une vision historique du

christianisme jouant de la typologie, donc nécessitant un retour préalable au sens

190 Cette catégorisation de l’école biblique parisienne de la fin du XIIe siècle remonte à M. Grabmann, Die Geschichte der scholastischen Methode, t. II: Die scholastische Methode im 12. und beginnenden 13. Jahrhundert, Darmstadt, 1956, p. 476-501; elle est reprise par B. Smalley, The Study... op. cit., p. 196-263, J. W. Baldwin, Peter the Chanter... op. cit., p. 88s. ; et encore par G. Dahan, L’exégèse... op. cit, p. 106-107.

191 Cette affirmation n’est pas contradictoire avec le rattachement d’Eudes de Châteauroux à la lignée pédagogique du chantre parisien: les objectifs pastoraux sont les mêmes, mais les moyens diffèrent, notamment la façon d’aborder l’exégèse; car Eudes paraît toujours opter, entre les deux « formules » des sens de l’Ecriture léguées par Origène à la tradition, pour celle qui place l’allégorie ou typologie avant la tropologie, et que H. de Lubac juge la plus fidèle à l’économie générale du mystère chrétien, dans Exégèse médiévale... op. cit., t. I/1, passim ; Idem, Typologie et allégorisme, dans Recherches de sciences religieuses, t. XXXIV (1947), p. 180-226.

192 Cf. N. Bériou, L’avènement... op. cit., p. 162-163, pour l’exemple de Guillaume d’Auvergne, et p. 165 s. pour d’autres orateurs de la série. Cette différence d’appréciation des moyens par lesquels parvenir aux mêmes fins remonte peut-être à la génération même de Pierre le Chantre: ce dernier, dans son appréhension des méthodes de l’exégèse, conseillait de privilégier les usages tropologiques à des fins pastorales, cf. D. Luscombe, Peter Comestor, dans The Bible in the Medieval World... op. cit., p. 109-129, ici p. 127 et note 52, où Pierre le Chantre critique le goût trop prononcé de Pierre le Mangeur, dans l’Historia scholastica, pour les antiquités palestiniennes (il s’inspire fréquemment de Flavius Josèphe), ainsi que pour la géographie historique de la Bible; selon le Chantre, l’Ecriture doit être étudiée avant tout en vue des enseignements qu’elle procure regardant la foi, la morale et le gouvernement des affaires de l’Eglise; le Mangeur a aussi beaucoup incorporé dans son manuel de matériaux liés à la liturgie, aux images et aux reliques (D. Luscombe, Ibidem p. 115); Eudes de Châteauroux on le verra use fréquemment de ce procédé. L’opposition entre le Mangeur et le Chantre n’est peut-être qu’apparente: Pierre le Mangeur applique le programme victorin d’accès graduel au contenu de l’Ecriture; mais il a aussi commenté, outre les Psaumes et les épîtres de saint Paul, ce qui est tout à fait traditionnel (p. 114), les Evangiles, ce qui à l’époque était plutôt rare, cf. B. Smalley, Peter Comestor on the Gospels and his Sources, dans RTAM t. 46 (1979), p. 84-129; Eadem, The Gospels in the Paris schools in the Late Twelth and Early Thirteenth Centuries... , dans Franciscan Studies t. XXXIX (1979), p. 230-254 et t. XL (1980), p. 298-369 (ces trois articles repris dans Eadem, The Gospels in the Schools, c. 1100-c. 1280, Londres et Ronceverte, 1985, p. 37-83 et p. 99-197).

193 Cf. N. Bériou, L’avènement op. cit.,p. 159 et note 87, à propos du sermon n° 39; note 88 à propos du sermon n° 75.

historique, applique son exégèse de la Bible moins à des comportements individuels qu’à une

vision collective du rôle et du devenir de l’Eglise militante. Il s’en explique dans un long sermon

consacré pour partie à l’exégèse, pour partie à la hiérarchie des différentes sciences et au rôle

réel, mais ancillaire, dans la vieille tradition augustinienne, de la philosophie

194

. Bref, je suis

d’accord avec N. Bériou pour juger qu’on peut, assez précocement, reconnaître la marque

d’Eudes de Châteauroux

195

; je crois que cette tendance s’est accentuée avec le temps, moyennant

des adaptations en fonction notamment des rapports plus ou moins directs que les sermons

entretiennent avec l’actualité

196

.

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