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C. La sphère protégée

4. La protection de la vie privée

La protection de la vie privée ressort des art. 13 al. 1 Cst., 8 CEDH et 17 Pacte II. Elle confère à toute personne le droit de mener sa vie selon son propre choix, de choisir son mode de vie, d’organiser ses loisirs et d’avoir des contacts avec autrui sans intervention des pouvoirs publics. On parle aussi du droit de vivre autant qu’on le désire à l’abri des regards étrangers.

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L’identité, le respect de la sphère intime et secrète, l’honneur et la réputation d’une personne, ses relations avec les autres, ainsi que l’autodétermination en 217

       Nous préciserons cependant que la dignité humaine ou la liberté personnelle n’ont pas été invoquées, et surtout que la personne interrogée a initialement demandé ce mode d’interrogatoire : « l’utilisation de cette méthode spéciale d’interrogatoire ne saurait violer le droit au silence de celui qui s’y soumet volontairement et peut décider à tout moment d’y renoncer ». 

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BÉNÉDICT, Le sort des preuves illégales, pp 107-109; DELESSERT, Les méthodes techniques

de surveillance, pp 189-191.  285 ATF 90 I 29, 39, X., du 25 mars 1964.  286 ATF 115 Ia 277, 287, B., du 3 mai 1989.  287

ATF 109 Ia 146, 150, Comité contre la loi sur la police et DUVANEL, du 6 juillet 1983 et ATF 136 I 87, 101, Demokratische Juristinnen und Juristen Zürich, du 30 septembre 2009. 

matière sexuelle appartiennent au champ de protection de la vie privée. La protection de la vie privée s’applique également aux personnes détenues288. La notion de vie privée englobe également les données sur les activités professionnelles ou commerciales d’un individu289. La Cour européenne des droits de l’Homme a renoncé à une définition et préfère recourir à une approche casuistique. Elle retient toutefois que la vie privée couvre l’intégrité physique et morale d’une personne et que sa protection est principalement destinée à assurer le développement, sans ingérence, de la personnalité de chaque individu dans ses relations avec ses semblables290. En droit interne, l’intégrité physique et l’intégrité morale sont protégées par la liberté personnelle, de même que la protection des données, également rattachée par la Cour à la protection de la sphère privée.

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Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le droit au respect de la vie privée protège l’ensemble des informations relatives à une personne qui ne sont pas accessibles au public, notamment des données d’identification291, des données concernant un traitement médical, l’identité sexuelle292, la participation à une

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288

Pour une définition analogue : AUBERT / MAHON, Petit commentaire, pp 123-135; AUER / MALINVERNI / HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse II, pp 184-189; BAUM, Der

kriminalpräventive Einsatz von Videoüberwachungsanlagen; BIAGGINI, BV Kommentar, pp 312-134; BONDALLAZ, Le droit à une télécommunication protégée, ch. 11-17; BREITENMOSER,

Art. 13 BV, pp 190-197; DRZEMCZEWSKI, Le droit au respect de la vie privée et familiale, du

domicile et de la correspondance, p. 8; HÄFELIN / HALLER / KELLER, Schweizerisches

Bundesstaatsrecht, pp 117-120; KIENER / KÄLIN, Grundrechte, pp 148-149; MOCK, Le droit

au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance, pp 239-240;

RHINOW, Grundzüge, pp 221-223. Sur le droit à la vie privée « numérique », en particulier le droit à une télécommunication protégée et le droit à l’anonymat : BONDALLAZ, La protection

des personnes et de leurs données dans les télécommunications, pp 232-307. Pour une

comparaison avec le droit allemand et américain : BARTSCH, Rechtsvergleichende

Betrachtung präventiv-polizeilicher Videoüberwachungen, pp 51-65. 

289

Arrêt AMANN c. Suisse [GC], no 27798/95, § 65, CEDH 2000-II, résumé in JAAC 64.144. La Cour a d’ailleurs admis que les locaux professionnels peuvent faire partie de la sphère privée, y compris dans le cas d’un employé d’une autorité publique dont le bureau se trouve dans un bâtiment propriété du gouvernement : arrêt PEEV c. Bulgarie, no. 64209/01, § 39, du 26 juillet 2007. 

290

Arrêt BOTTA c. Italie, no 21439/93, § 32, CEDH 1998-I, ainsi que S. et MARPER c. Royaume-Uni, no 30562/04 et 30566/04, § 45, du 4 décembre 2008. 

291

L’obligation faite à un policier de porter un badge d’identification constitue une atteinte : ATF 124 I 85, 87, Polizeibeamtenverband Basel-Stadt, du 23 avril 1998. 

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association ou encore les dossiers de procédures judiciaires293. L'enregistrement d'images de surveillance prises sur des places ou des voies publiques et la conservation de ces enregistrements portent atteinte à la sphère privée, comme la conservation de données signalétiques294. Le Tribunal fédéral a annulé la disposition d’une loi sur la police autorisant la surveillance de lieux publics au moyen d'appareils techniques, car ce règlement ne mentionnait pas le but visé par la surveillance. Le Tribunal a considéré qu’il n’est pas possible dans ces circonstances de contrôler s’il y a un intérêt public suffisant justifiant une atteinte aux libertés individuelles, ni si l’atteinte aux libertés est proportionnée295.

Dans un arrêt surprenant et peu convaincant, le Tribunal fédéral a cependant retenu que la surveillance d’un véhicule à l’aide d’une balise GPS ne constituait pas une atteinte de la même intensité que des écoutes téléphoniques, la surveillance de la correspondance, ou encore une surveillance audio ou vidéo de locaux privés296. La saisie du journal intime d’une prévenue est également protégée par la liberté individuelle297.

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En 1998, la Commission européenne des droits de l'Homme a retenu qu’en l’absence de tout enregistrement, un système de prise de vues installé dans un but de surveillance des lieux publics ne porte pas atteinte à la vie privée : les données visuelles recueillies ne peuvent pas être portées à la connaissance du public et les données qui pourraient être recueillies par une personne se trouvant derrière des écrans de contrôle sont identiques à celles qu'elle aurait pu obtenir 221

      

293

ATF 119 Ia 99, 101, H., du 17 mars 1993. 

294

ATF 136 I 87, 101, Demokratische Juristinnen und Juristen Zürich, du 30 septembre 2009 et ATF 133 I 77, 80, DIGGELMANN, du 14 décembre 2006. Pour une critique de cet arrêt : RUDIN, Videoüberwachung. 

295

ATF 136 I 87, 114-116, Demokratische Juristinnen und Juristen Zürich, du 30 septembre 2009. 

296

ATF 1P.51/2007, X., du 24 septembre 2007, consid. 3.5.4. Le Tribunal fédéral a peut-être été tenté de qualifier l’atteinte de très minime pour pouvoir admettre ensuite la preuve recueillie illégalement et essentielle à la condamnation de l’auteur pour vols en bande et par métier, dommages à la propriété, etc. 

297

ATF 1P.519/2006, X., du 19 décembre 2006, consid. 3.2. Le TF a toutefois considéré que la protection n’était pas absolue et qu’il fallait procéder à une pesée d’intérêts. Le droit de ne pas s’auto-incriminer n’empêche pas la saisie de documents. La décision de l’autorité inférieure est publiée dans la Revue de droit suisse 2008, Vol. 103 (22), pp 558-562. 

par sa présence sur les lieux298. Ce raisonnement n’est certainement plus défendable aujourd’hui où l’informatique permet, sans enregistrement, à une seule personne de surveiller de très nombreux écrans et qu’un programme informatique peut assumer seul la détection de certains événements, certaines personnes ou encore assurer le suivi d’un individu donné au travers de caméras différentes. Dans la mesure où il n’est pas possible de voir la personne qui est derrière un écran, contrairement à un policier qui patrouille dans la rue, certains estiment qu’il y a aussi une atteinte au droit à l’autodétermination informationnelle299. La Cour européenne des droits de l’Homme a pourtant confirmé sa jurisprudence en 2008, estimant que la simple surveillance des activités d’un individu qui se sont déroulées en public, pendant une brève durée de temps et sans que les autorités enregistrent et mémorisent les données visuelles observées, ne saurait constituer en elle-même une forme d'ingérence dans la vie privée300. En 2010, la Cour européenne des droits de l’Homme a pourtant condamné la législation britannique qui permettait à un policier d’interpeller sur rue une personne et de passer ses mains à l’intérieur des poches, du col, des chaussures et des cheveux, et cela en l’absence de tout motif raisonnable de soupçonner une infraction mais dans le but de lutter contre le terrorisme. La Cour a retenu que cette ingérence ne saurait être comparée à une fouille dans un aéroport, car ce passager-là sait qu’il sera fouillé et il peut alors choisir un autre mode de transport301.

Le Tribunal fédéral a encore retenu que le fait de conserver des données anthropométriques, en l’espèce une photographie, pouvait porter atteinte à la présomption d’innocence et à la protection de la sphère privée, par exemple si l’autorité exprime par là le sentiment que la personne concernée est coupable bien qu’elle ait été acquittée ou que la procédure ait été suspendue302. Le

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298

Herbecq c. Belgique, décision de la Commission du 14 janvier 1998, Décisions et rapport 92-A, p. 92. La Cour a confirmé cet avis dans l’Arrêt P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, N° 44787/98, § 57, CEDH 2001-IX. 

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Pour un avis similaire : RUEGG / FLÜCKIGER / NOVEMBER, et al., Vidéosurveillance et risques dans l'espace à usage public, pp 53-55. 

300

Arrêt CALMANOVICI c. Roumanie, no 42250/02, § 132, du 1er juillet 2008. 

301

Arrêt GILLAN and QUINTON c. Royaume-Uni, n°4158/05, §§ 61-65, du 12 janvier 2010. La comparaison avec l’aéroport ne nous convainc pas tellement, car de fait la possibilité de choisir un autre mode de transport est limitée. 

302

Tribunal fédéral estime qu’une personne ne peut être identifiée de façon sûre par ce moyen et que la conservation de ce matériel exposerait la personne à être mise en cause dans d’autres procédures à cause d’une simple ressemblance. Il en irait différemment d’un prélèvement d’ADN qui permet une identification certaine. Le Tribunal estime cependant que le risque de soupçonner une personne innocente augmente si les données sont conservées longtemps et que les échantillons, comme le résultat de l’analyse, doivent être détruits si la culpabilité de l’intéressé peut être définitivement exclue303. Le Tribunal fédéral a précisé ultérieurement que la destruction précitée était justifiée parce que la personne n’avait été suspectée qu’en raison de sa ressemblance avec un portrait- robot. Il en va différemment si la personne a des antécédents et qu’il existe un risque de récidive304.

Dans un arrêt récent, la Cour européenne des droits de l’Homme s’est dite particulièrement préoccupée par le risque de stigmatisation découlant du fait que des personnes qui n'ont été reconnues coupables d'aucune infraction et sont en droit de bénéficier de la présomption d'innocence sont traitées de la même manière que des condamnés, et cela même si la conservation de profils d’ADN n'équivaut pas à l'expression de soupçons. Elle a jugé que le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, des échantillons biologiques et des profils d’ADN des personnes soupçonnées d'avoir commis des infractions mais non condamnées ne traduit pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu, et que cette conservation s'analyse en une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique305. 223