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Propriétés optiques d’hétérostructures de nitrures

1 Boîtes quantiques de semi-conducteurs nitrures

1.4 Champ électrique interne dans les hétérostructures de nitrures

1.4.3 Propriétés optiques d’hétérostructures de nitrures

Dans cette partie, nous avons détaillé l’essentiel des paramètres clefs qui gouvernent l’émission de lumière dans les hétérostructures de nitrures, à savoir la qualité structurale de ces matériaux, les propriétés de confinement des hétérostructures, et le champ électrique interne. Pour replacer l’étude de nos BQs plan a dans leur contexte, nous allons rappeler quelques résultats essentiels obtenus sur les hétérostructures polaires. Nous détaillerons essentiellement les travaux réalisés sur des puits et des boîtes quantiques de GaN plan c, car c’est le système le plus proche du nôtre, ce qui nous permettra au prochain chapitre de comparer les propriétés optiques des deux orientations, et notamment l’influence du champ électrique interne. Une autre problématique à laquelle nous serons confrontés concerne les effets de localisation. Pour cette raison, et aussi parce qu’il s’agit du système nitrure le plus étudié, nous commencerons par rappeler quelques résultats sur les puits et les boîtes d’InGaN (parfois encore controversés).

Puits et boîtes quantiques de InGaN

Tous les dispositifs optoélectroniques actuels qui fonctionnent à base de nitrures, comme les diodes électroluminescentes (DEL) vertes et bleues de haute brillance, ou les diodes laser à 400 nm, sont faits à partir de puits quantiques d’InGaN dans GaN. Malgré l’utilisation massive de ces émetteurs de lumière depuis plus de dix ans, les phénomènes physiques mis en jeu dans la couche active sont toujours discutés. Le désaccord de maille entre InN et GaN étant de 11%, les puits quantiques d’InGaN et leurs barrières de GaN présentent des polarisations piézoélectriques différentes (mais comme l’a montré Bernardini [Ber97] des polarisations spontanées assez voisines). L’hétérostructure est donc le siège d’un champ électrique interne dans la direction de croissance ce qui va diminuer les énergies de transition et augmenter les temps de déclin. Expérimentalement, ces champs ont pu être mis en évidence [Tak97][Chi96][Chi98][Dam00]. L’évolution de l’énergie de luminescence et des temps de déclin pour différentes épaisseurs de puits a permis de déterminer des valeurs de champs électriques de l’ordre du MV/cm, mais avec une dispersion des résultats d’une équipe à l’autre car ces valeurs dépendent des conditions de croissance et du pourcentage d’indium [Lef01][Tak97b]. Le succès des hétérostructures à base de puits quantique d’InGaN repose principalement sur deux propriétés : premièrement, cet alliage ternaire permet une émission de lumière sur tout le visible et le proche UV, et deuxièmement les DELs à base d’InGaN présentent un rendement quantique externe supérieur à 20% ce qui n’est obtenu que dans les meilleures DELs à base d’arséniures [Gra01]. Ce deuxième point est particulièrement surprenant quand on sait que, du fait de l’absence de substrats adaptés en paramètre de maille, la densité de dislocations traversantes dans les nitrures est très importante (108 à 1010 cm-2 contre 102 cm-2 dans les arséniures). Si l’on ajoute à cela l’effet du champ électrique qui diminue la probabilité de recombinaison radiative, il est difficile de justifier un si bon rendement pour un PQ. Par la suite, il a été clairement montré que l’exciton, au niveau du puits, est en fait localisé dans les trois directions de l’espace, ce qui l’empêche de se déplacer dans le puits et d’aller se recombiner sur des défauts non radiatifs (comme les dislocations) [Gra03], [Kre02], [Mus02]. Si cette explication n’est pas mise en doute, l’origine de cette localisation, par contre, fait encore débat. De simples fluctuations d’épaisseur dans les puits d’InGaN pourraient être à l’origine de la localisation des porteurs dans ces hétérostructures, mais selon certains groupes elles ne seraient pas assez profondes pour expliquer le Stokes shift observé [Chi02]. Il pourrait s’agir aussi d’une ségrégation de phase de l’alliage ternaire InGaN, qui créerait des

clusters plus riches en InN, susceptibles de piéger efficacement les porteurs [Tak97b][Tak97]. La vérification de cette hypothèse n’est toujours pas clairement établie, pour plusieurs raisons : l’observation de clusters dans les PQs d’InGaN en microscopie électronique à transmission (MET) [Mus02], argument de poids en faveur d’une démixtion de l’InGaN, a été remise en cause quand on s’est aperçu que le faisceau d’électrons induisait lui-même des fluctuations de contraintes qui ont le même aspect que des clusters sur les clichés de MET [Sme03]. Par ailleurs, jusqu’à récemment, le gap de InN était mal connu, puisqu’il était estimé aux alentours de 1.9 eV alors qu’il semble établi aujourd’hui qu’il est plus proche de 0.7 eV [Mat02]. D’une manière plus générale, la dispersion des paramètres physiques des nitrures ajoutée aux effets de champ électrique dans un système complexe d’excitons localisés ont notablement compliqué l’interprétation des résultats optiques. Pour décorréler les effets de localisation des effets de champ électrique interne, des puits ont été fabriqués en phase cubique. Les déclins non- exponentiels observés sont cette fois uniquement imputables à une distribution d’excitons localisés [Chi01], ce qui est confirmé par les cartographies de cathodoluminescence [Chi00]. Nous reviendrons plus en détails au chapitre 2 sur la signature optique de ces effets de localisation.

Puits et boîtes quantiques de GaN

Pour bien comprendre l’intérêt et les spécificités des BQs de GaN/AlN plan a, que nous étudierons au chapitre suivant, nous allons décrire les principales propriétés optiques des hétérostructures plan c. Nous détaillerons notamment l’influence sur la luminescence du champ électrique interne, qui est plus simple à étudier dans un système binaire comme GaN que dans InGaN, car il n’y a pas de problèmes de fluctuation de composition. Comme nous l’avons vu au paragraphe précédent, la polarisation totale dans un matériau de structure wurtzite est la somme des polarisations spontanées et piézoélectriques. Dans les nitrures à polarité gallium, la polarisation spontanée est orientée selon (0001), de même que la polarisation piézoélectrique si le puits est en compression (pour une couche en tension, la polarisation piézoélectrique est orientée dans l’autre sens). De manière générale, pour les PQs de GaN/AlGaN comme pour les BQs de GaN/AlN, le GaN est toujours en compression, donc les polarisations piézoélectriques et spontanées s’ajoutent. Comme la différence de polarisation spontanée entre GaN et AlN est grande [Ber97] et que les coefficients piézoélectriques sont presque dix fois plus importants dans les nitrures que dans les autres semi-conducteurs, ces hétérostructures vont présenter un fort champ électrique interne.

En 1998, la première mise en évidence et estimation du champ électrique interne est réalisée par Im et al. dans la référence [Im98] sur des PQs de GaN/AlGaN et par Widmann et al. dans la référence [Wid98] sur des BQs de GaN/AlN. L’année suivante, Lefebvre ([Lef99]), Grandjean ([Gra99]) et leurs collaborateurs ont réalisé des études très détaillées des différents paramètres qui contrôlent le champ électrique dans des puits de GaN/AlGaN. Pour une même composition de barrière, l’énergie de luminescence d’un PQ de GaN diminue lorsque sa largeur augmente à cause de l’effet Stark. Pour des puits très fins, les effets de confinement sont supérieurs à ceux du champ électrique F, et donc la transition est proche en énergie de celle d’un puits sans champ. En revanche, comme nous l’avons vu à la Figure 1.13, lorsque le puits est suffisamment large, le confinement des porteurs ne change plus et l’énergie de la transition diminue linéairement avec l’épaisseur du PQ en –eFLz. En travaillant à suffisamment basse puissance d’excitation pour ne

à la valeur du champ électrique interne. Comme nous allons le détailler dans le cas des BQs, l’évolution du temps de déclin en fonction de Lz donne aussi accès au champ électrique interne.

Dans le cas des BQs, comme le confinement est essentiellement vertical, on peut généralement décrire, en première approximation, le système comme un PQ (pour les effets de champ électrique interne, tout du moins). Pour mettre en évidence l’effet du champ électrique dans les BQs de GaN/AlN, Simon et al. ([Sim03]) ont comparé les propriétés de luminescence des boîtes plan c à celles des boîtes cubiques dans lesquelles il n’y a normalement ni polarisation spontanée ni polarisation piézoélectrique (à condition de négliger les contraintes selon [111]). La Figure 1.14(a), représente l’énergie de transition en fonction de la hauteur Lz des BQs pour les

deux systèmes. Comme attendu, l’énergie de luminescence des boîtes cubiques tend vers celle du matériau massif à mesure que le confinement diminue. Pour les BQs hexagonales (0001), au contraire, l’énergie de transition décroît linéairement quand Lz augmente, pour atteindre des

énergies inférieures de plus d’un eV au gap de GaN. En comparant les points expérimentaux aux énergies de transition calculées dans le formalisme de la fonction enveloppe pour différentes valeurs du champ électrique, les auteurs trouvent une valeur pour F de 7MV/cm. Parallèlement, par des expériences de photoluminescence intégrée et résolue en temps, ils parviennent à extraire les temps de vie radiatifs des transitions pour différentes tailles de boîtes dans les systèmes cubique et hexagonal (0001). A la Figure 1.14(b), on voit que les points expérimentaux sont bien superposés aux courbes théoriques F=0 MV/cm pour les boîtes cubiques et F=7MV/cm pour les BQs plan c. La présence d’un champ électrique dans une hétérostructure sépare d’autant plus les fonctions d’onde d’électron et de trou, que le confinement est faible dans la direction du champ. Le temps de vie radiatif augmente donc fortement avec Lz pour des boîtes (0001), alors qu’il ne

varie quasiment pas dans le cas des boîtes cubiques.

Figure 1.14 – (a) Décalage par rapport au gap de GaN de l’énergie de transition de BQs wurtzite

(WZ) et zinc blende (ZB) en fonction de leur hauteur. (b) Comparaison du temps de vie radiatif des boîtes cubiques et hexagonales en fonction de leur hauteur. Dans les deux figures, la comparaison avec les courbes théoriques permet d’estimer une valeur du champ de F=0 MV/cm dans les boîtes ZB et F=7 MV/cm dans les BQs WZ. Figures issues de la référence [Sim03]

En travaillant dans des conditions de fortes excitations, Bretagnon et al. ([Bre03]) ont étudié, par des mesures de photoluminescence résolue en temps (TRPL : Time Resolved Photo- Luminescence), les effets d’écrantage du champ électrique interne dans les BQs de GaN/AlN par les porteurs photocréés. En suivant la position en énergie et l’intensité de luminescence des boîtes jusqu’à plusieurs centaines de µs après l’excitation par l’impulsion laser, les auteurs ont pu observer un décalage de l’énergie de transition de plus d’un eV vers les basses énergies, et une diminution d’intensité progressive sur sept ordres de grandeurs. L’effet Stark rendant les temps de déclin extrêmement longs, il est nécessaire de travailler dans des conditions d’excitation très faibles, sans quoi le champ électrique interne sera toujours partiellement écranté. Par la suite, ils ont justement montré dans la référence [Bre06] que pour déterminer une valeur du champ électrique fiable, il fallait s’assurer d’avoir moins d’une paire électron-trou par boîte. Dans la Figure 1.15(a), on voit en effet qu’à partir de 10 µs, l’énergie de la transition cesse de décroître, ce qui est le signe d’un régime sans écrantage. Parallèlement, le temps de déclin devient monoexponentiel comme on peut le voir à la Figure 1.15(b). Moyennant ces précautions, ils obtiennent un champ électrique interne dans les BQs de GaN/AlN de 9.0 MV/cm.

On a vu à l’équation ( 1.41 ) que l’expression du champ électrique dans un puits (ou une boîte) quantique dépendait, en toute rigueur, des épaisseurs totales de barrière LB et de puits LPQ

ainsi que des sauts de potentiel entre le niveau de Fermi et les interfaces de l’hétérostructure, Vsf

et Vsb. En faisant l’approximation Vsf= Vsb, et LB>>LPQ pour un puits unique nous avions trouvé

une expression simple pour le champ électrique interne résumée à l’équation ( 1.42). Dans le cas d’un super-réseau, la largeur totale de puits devient comparable à la largeur totale de barrière, et l’expression approchée du champ dans les PQs s’écrit :

        + = PQ B B r 0 PQ L L L P F

ε

ε∆

r r (1.44)

où LB et LPQ peuvent aussi bien représenter les largeurs totales de barrière et de puits, que la

largeur d’une barrière et d’un puits unique. La Figure 1.16(a) obtenue par Grandjean et al. représente l’évolution du champ électrique dans des super-réseaux de PQs de GaN/AlGaN en fonction de l’épaisseur d’une barrière inter-puits LB [Gra99]. Comme prévu par la formule

précédente, le champ électrique à l’intérieur des puits diminue fortement lorsque la barrière s’affine.

Figure 1.15 – (a) Energie de PL de BQs de GaN/AlN en fonction du temps écoulé après

l’excitation. Vers 10 µs, l’énergie cesse de décroître ce qui indique qu’il reste moins d’un exciton par boîte. (b) Intensité de luminescence résolue en temps. Dans le régime sans écrantage, le déclin est monoexponentiel. Figures issues de la référence [Bre06].

Figure 1.16 – (a) Evolution du champ électrique interne dans un super-réseau de PQs de

GaN/AlGaN en fonction de l’épaisseur de barrières entre les puits. (b) Spectres de PL d’un ensemble de puits quantiques de GaN/AlGaN de 1, 2, 3 et 4 nm présentant chacun un pourcentage différent d’aluminium dans les barrières.

In te n s it y ( lo g . u n it s ) E n e rg y ( e V ) T=8 K (a) (b) GaN/AlN - QDs (b) (a)

Un des derniers facteurs qui peut changer l’amplitude du champ électrique interne dans des PQs de GaN/AlGaN est la proportion d’aluminium dans la composition de la barrière. Comme on peut le voir à la Figure 1.16(b), les pics de PL des quatre puits d’épaisseurs 1, 2, 3 et 4 nm s’écartent les uns des autres à mesure que la barrière s’enrichit en aluminium. Pour les puits les plus fins, qui se décalent vers les hautes énergies, une augmentation du pourcentage d’aluminium entraîne un accroissement du gap de la barrière, et donc un confinement plus grand pour les porteurs. Pour les puits les plus larges, en revanche, le confinement joue moins, mais ce changement de composition augmente le champ électrique interne, et décale les transitions vers les basses énergies. En effet, plus la barrière contient d’aluminium, plus les différences de polarisations spontanée et piézoélectrique sont grandes aux interfaces GaN/AlGaN. Cette propriété a été utilisée par Simon et al. pour estimer l’importance de la polarisation spontanée dans ces hétérostructures [Sim00]. Contrairement à une polarisation piézoélectrique pour laquelle une variation de contrainte entraîne une variation de tension aux extrémités de l’échantillon, la polarisation spontanée est très difficile à mesurer directement, car le plan de charge qu’elle engendre en surface est fixe, et généralement compensé. En réalisant des expériences comparables à celles de la Figure 1.16(b), les auteurs ont pu déterminer la valeur du champ électrique interne pour chaque composition de barrière. Ensuite, en prenant les coefficients piézoélectriques les plus élevés de la littérature, ils ont montré que la polarisation piézoélectrique seule ne pouvait pas expliquer des valeurs de champ électrique mesurées aussi élevées. Il a été estimé que dans les BQs de GaN/AlN, la polarisation spontanée était responsable du champ électrique interne au moins pour moitié.

Chapitre 2