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3.4. Modèle collocationnel de Hausmann (1989)

5. MÉTHODOLOGIE ET CORPUS

5.1. Projet Emolex

Coordonné par Iva Novakova de l'Université Stendhal Grenoble Alpes (LIDILEM) en collaboration avec Peter Blumenthal de l'Université de Cologne, le projet Emolex (ANR-09-FASHS-017) a pour objectif l’étude du lexique des émotions dans cinq langues européennes (allemand, anglais, espagnol, français et russe) dans ses aspects sémantique, syntaxique et discursif. Constitué dans le cadre de ce projet, le corpus Emolex consiste en un ensemble de larges corpus comportant plusieurs centaines de millions de mots dans ces cinq langues et il sert de base à de nombreux travaux en linguistique et en didactique. L'objectif de ce projet est le suivant:

Analyser, dans une perspective formulée par Sinclair (2004) ou encore Hoey (2005) et d'un point de vue contrastif, les valeurs sémantiques et les rôles discursifs à partir de la combinatoire du lexique des émotions, afin d'élaborer une cartographie permettant de mieux structurer ce champ lexical, avec des applications en lexicographie mais aussi en didactique des langues et traductologie. (Kraif & Diwersy 2012: 402).

Dédié à l'étude contrastive et aux analyses interlangues, ce corpus s’avère aussi pertinent pour les analyses au sein d’une même langue, ce qui est le cas de notre étude. Le projet Emolex donne également accès à d'autres types de ressources telles qu'EmoConc et

EmoLing qui permettent l'interrogation de nombreux sous-corpus écrits (destinées

principalement aux linguistes) et EmoProf qui met en ligne des propositions des séquences pédagogiques (destinées principalement aux enseignants de FLE).

Dans la section suivante, nous présenterons les critères de choix des champs sémantiques.

5.1.1. Les critères de choix des champs d'émotions

La sélection des champs sémantiques d'émotion a été opérée selon différents critères quantitatifs et qualitatifs permettant d’obtenir une sélection diversifiée et équilibrée et ceci à plusieurs niveaux195:

 Retenir des champs fréquemment et, également, moins fréquemment traités dans les analyses linguistiques (par exemple les champs COLÈRE et JOIE sont très souvent analysés, tandis que ceux MÉPRIS ou ADMIRATION, plus rarement).

 Retenir des champs par rapport à la polarité (négative/positive/neutre); les champs ADMIRATION, JOIE, RESPECT ont une polarité positive, COLÈRE, DÉCEPTION, JALOUSIE, MÉPRIS, TRISTESSE - la polarité négative, tandis que SURPRISE est neutre (Grutschus et al. 2013).

 Sélectionner des champs par rapport au caractère réactif/interpersonnel des affects: les champs comme COLÈRE, DÉCEPTION, JOIE, SURPRISE, TRISTESSE sont réactifs, c’est-à-dire qu'ils ont une cause extérieure, tandis que ADMIRATION, JALOUSIE, RESPECT, MÉPRIS sont interpersonnels, c’est-à-dire qu'ils impliquent prototypiquement un objet humain (patient) (Tutin

et al. 2006).

De nombreuses analyses linguistiques de plusieurs types ont été effectuées dans le cadre du projet Emolex; certaines (comme les analyses sémantiques et syntaxiques) ont été faites sur l'ensemble des champs, d'autres (comme les analyses actancielles et discursives) - sur une partie des champs (Figure 14):

Figure 14: Les niveaux d’analyse et les champs traités (Diwersy et al. 2014: 275)

Dans la section suivante nous allons présenter les neuf champs d'émotions de la classification d'Emolex, ainsi que la méthode de sélection des lexies qui les composent.

5.1.2. Les neuf champs d'émotions et les critères de sélection de leurs lexies

Une fois la sélection des champs sémantiques terminée, l'étape suivante consistait en sélection des lexies pour chaque champ. Étant donné que le projet Emolex embrasse cinq langues, cette étape consistait à évaluer les lexies selon de nombreux critères, dont les plus importants étaient la fréquence et la comparabilité interlinguistique des lexies. Le procédé de sélection consistait en deux étapes principales:

 Identifier des lexies « candidates » pour chaque champ en cinq langues (dont le français était la langue pivot).

 Évaluer et valider (ou pas) leur statut de « membre du champ ».

La première étape consistait à trouver des équivalents, dans d'autres langues, des lexies en français: de nombreux synonymes ont été relevés et comparés dans chacune des langues, dont la polysémie des mots était un obstacle principal (la désambiguïsation des mots polysémiques a été assurée par plusieurs critères et tests).

Ainsi, pour obtenir le statut « candidat », la lexie doit remplir au moins un des critères suivants (cf. Goossens 2011):

 être défini en tant que sentiment, émotion, affect, état affectif (ou autres thymies196

) par les dictionnaires tels que Le Trésor de la Langue Française et/ou Le Petit Robert,

 apparaître en cooccurrence avec les verbes supports, tels que ressentir/éprouver (un sentiment de), etc.,

 avoir une cause et/ou un objet (ce qui n'est pas possible pour les noms de qualité),  répondre positivement à l’un des tests d’intériorité:

 ne pas être compatible avec je trouve que (cf. Ducrot 1975, Anscombre 1995 et Buvet et al. 2005),

 accepter les constructions locatives suivantes (Flaux & Van de Velde 2000):

la construction locative dynamique (l’affect vient de l’extérieur: Il fut envahi par un

désespoir profond).

la construction locative statique (l’affect vient de l’intérieur: être en colère, être dans la

peine, dont cette dernière s'oppose à la construction Il y a chez cette homme/en lui une grande générosité. (cf. Flaux &Van de Velde 2000).

 avoir un rapport spécifique au temps et pouvoir s’associer à l’adverbe constamment (Il est

constamment en colère) (Buvet et al. 2005)197

,

196 PSYCH., PSYCHOL. Humeur; tonalité affective de base oscillant, chez tout individu, entre la position pessimiste (abattement, dépression, tristesse, désespoir) et la position optimiste (enthousiasme, euphorie)

 pouvoir accepter les collocatifs spécifiques aspectuels (et surtout ceux ponctuel) comme élan,

transport, bouffée ou flambée198 .

Ainsi, toutes ces lexies « candidates » ont ensuite subi un tri quantitatif par rapport à leur fréquence absolue; celles ayant une fréquence inférieure à 100 occurrences, n’ont pas été retenues. En ce qui concerne les lexies polysémiques, elles ont été d'abord désambigüisées à l’aide d'un concordancier (EmoConc), dans le but de retirer des structures non pertinentes et, ensuite, leurs fréquences ont été revérifiées avec l’acception « affect ». Si, après extrapolation, le nombre d'occurrences de ces lexies dépassait toujours la barre des 100 occurrences, leur statut de « membre du champ » a été validé. Voici la liste des 46 N_émot qui ont obtenu ce statut (répartis en neuf champs d'émotions de la classification d'Emolex)199

:

Tableau 6: Les neuf champs d'émotions de la classification d'Emolex

Notons que les champs sémantiques ne sont pas équilibrés au niveau du nombre de noms recueillis. Dans certains d'entre eux, il y en a moins (à cause des critères de fréquence et de sélection retenus dans la méthodologie d'Emolex cités supra), dans d'autres, il y en a plus; par exemple, le champ COLÈRE comprend dix N_émot, tandis que celui JALOUSIE n'en a que trois.

Dans la section suivante, nous présenterons deux grilles d’analyse (syntaxique et sémantique) sur lesquelles nous sommes appuyée dans le traitement de données issues de notre corpus.

197 Ceci n’est pas possible dans le cas de qualités (redondance).

198 Pour plus de détails, cf. Diwersy et al. (2014).

199