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Lexique verbal causatif: typologie selon Nazarenko (2000)

2. CAUSALITÉ: CONCEPTS, APPROCHES ET CRITÈRES DÉFINITOIRES

2.3. La causativité dans la prédication verbale

2.3.3. Lexique verbal causatif: typologie selon Nazarenko (2000)

Dans l'approche de Nazarenko (2000), la cause est présentée comme un « enchaînement » complexe des faits reposant sur de nombreuses interactions et relations de dépendance entre les éléments. Par conséquent, il est impossible de « construire l'interprétation causale sur le verbe seul » (ibid.: 137), sans prendre en compte ses arguments. Selon l'auteure, les verbes causatifs « n'expriment pas une notion de cause pleine et entière » (idem). Ainsi, dans son ouvrage, Nazarenko (2000) met en avant trois types de verbes causatifs74, ne s'excluant pas l'un l'autre:

1. Les verbes qui « mettent l’accent sur le processus de causation lui-même »: il s'agit ici de verbes comme causer, inciter, influencer, occasionner, provoquer. Ces verbes (appelés aussi « causes radicales75 »), introduisent des événements déterminant clairement le résultat. Voici deux exemples, issus de notre corpus qui illustrent ce cas:

(8) La mort de sa mère lui cause un gros chagrin (Frédéric Dard 1989).

(9) Son désir de perfection fut si fort qu'il provoqua la colère des fées qui décidèrent de lui jeter un sort. (Ouest-France 2007)

2. Les verbes qui caractérisent « l’effet produit »; il s'agit ici de verbes comme annuler76

, augmenter, créer, renforcer, comme on le voit en (10) et en (11):

(10) L'armée de l'air américaine annule sa décision d'octroyer au groupement Airbus/Northrop Grumman la commande de 179 avions. (Ouest-France 2008)

(11) Il n'y a pas mieux qu'un bon exemple de réussite pour créer l'envie de réussir à son tour. (Le Figaro 2008)

3. Les périphrases verbales du type faire/laisser/rendre/persuader/convaincre77

+ Vinf78 dans lesquelles le sujet du Vinf suit directement le verbe (faire partir qn) ou se présente sous la forme d'un complément en « à », si l'infinitif a un complément d'objet (faire quitter le pays à qn). En effet, en règle générale, la construction V + Vinf introduit un actant supplémentaire dans la valence du verbe. Cet actant correspond au rôle sémantique du causateur. Nous pouvons illustrer ce propos à travers les trois exemples suivants:

74 Nous illustrons le propos de Nazarenko (2000) par des exemples issus de notre corpus.

75 Pour plus de détails sur cette notion, cf. Jackiewicz (1998).

76

Dans notre corpus nous n'avons pas trouvé d'associations lexicales entre ce verbe et les N_émot.

77 Seuls les verbes faire et laisser forment des constructions causatives proprement parlées (Nazarenko 2000).

78 Selon Kordi (1988), cette construction correspond à une « causation permissive résultative » dans laquelle l’agent cause accomplit une action grâce à l’intervention effective du patient: je le laisse partir → il part (cf. aussi Jackiewicz 1998).

(12) Une politique qui fait courir un double risque à la chaîne: d'un côté, l'abondance de séries américaines donne un coup de vieux à ses fictions françaises; de l'autre, la grille des programmes apparaît depuis plusieurs années sans grands changements. (Le Monde 2008)79

(13) Le beau, qui devrait servir à faire communier les hommes dans l'admiration, sert à exclure. (Amélie Nothomb 1997)

(14) Pékin laisse les Chinois exprimer leur indignation. (Ouest-France 2008)

Nazarenko (2000) souligne que ce sont bien les verbes qui véhiculent le plus souvent l'information sur la relation « de cause à effet ». Elle les classe selon quatre critères suivants:

 « L'orientation ou la visé »: les verbes comme entraîner, causer ou provoquer présentant l'effet à partir de la cause et c'est le cas le plus répandu dans le lexique verbal causatif. D'autres verbes, tels que provenir de, avoir pour cause, être du à80, inversement, vont de l'effet à la cause. On peut illustrer ceci par des exemples suivants issus de notre corpus:

(15) L'inscription déployée en tribune par des supporteurs parisiens stigmatisant les habitants du Nord entraîne moult indignations depuis dimanche. (Le Figaro 2008)

(16) Si l'anxiété ne semble pas dépendre d'une situation précise et n'est qu'un malaise vague et indéfini, elle peut provenir d'émotions [...] (E. J. Bourne 2000)

 « Le degré de causalité »: la relation causale est présentée comme « pleine et entière » (causer,

entraîner, conduire à) comme en (17), « partielle » (favoriser, influencer, contribuer à, pousser à) comme en (18) ou « ténue » (être lié à, dépendre de, conditionner, être impliqué dans) comme

en (19):

(17) La mort de sa mère lui cause un gros chagrin. (Frédéric Dard 1989)

(18) La distribution sans fausses notes, le burlesque des situations et la crudité des dialogues [...] ont favorisé en France, après les États-Unis, l'engouement pour " Californication ". (Le Monde 2008)

(19) Pour cette institution, vieille de deux cent trente ans, qui dépend de la Mairie de Paris, il s'agit d'une diversification liée à l'engouement grandissant pour le vin de qualité. (Le Monde 2008)

 « La valeur » positive ou négative de la relation; cette première valeur regroupe des verbes comme générer, encourager, tandis que la seconde - tels qu'empêcher et gêner, comme illustré en (20) et en (21)81:

(20) Cette inégalité extrême a généré de la jalousie entre les gens, ce qui rend la relation interpersonnelle plus difficile. (Le Monde 2008)

79 Nous n'avons pas trouvé dans Emolex beaucoup d'exemples pour illustrer ce second cas. Il semble que, de manière générale, ce type de constructions n'est pas très répandu dans notre corpus.

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Les constructions avoir pour cause, provenir de, être du à ne font pas partie de notre liste des Vcaus.

(21) Mais le film n'évite pas quelques clichés et, abusant à son tour du non-dit, devient parfois difficilement compréhensible, ce qui n'empêche pas une certaine fascination. (Le Monde 2007)

 « Le rapport temporel entre la cause et l'effet »: la cause peut déclencher rapidement l'effet (susciter, faire naître, être à l'origine de) ou être prolongée (aboutir à82). Cette distinction peut être illustrée par des exemples suivants:

(22) Ce commentaire avait suscité l'indignation internationale. (Le Monde 2008)

(23) Elle ne revient pas de ce progrès réalisé au fil des siècles pour aboutir à la furie san-antoiniase. (Frédéric Dard 1988)

Pour ce dernier critère Nazarenko (2000) précise que les verbes qui véhiculent la temporalité prennent source dans de différentes métaphores, comme la métaphore « de la naissance » (il s'agit de verbes comme faire naître, engendrer, générer, être le fruit de, etc.), la métaphore « de l'eau » (les verbes: découler, émerger, prendre sa source dans) et la métaphore de « du cheminement » (conduire à, entraîner, amener à, provenir de). Les verbes causatifs peuvent être caractérisés aussi par rapport à l'effet produit, une situation, un acte ou un événement qui est produit sur une autre situation. Ainsi, Nazarenko distingue:

 Les verbes qui véhiculent « les variations quantitatives »:

 du type « graduées »; il s'agit de verbes comme accroître, renforcer (augmentation) et

réduire, amoindrir (diminution):

(24) L'organisation de plusieurs commémorations un brin grandiloquent accroît l'agacement. (Le Figaro 2007) (25) Les renouvellements récents de l'historiographie de la Grande Guerre ont heureusement déplacé les

angles d'observation, mais n'ont pas, bien au contraire, réduit cette fascination. (Le Monde 2007)

 du type « absolues »; il s'agit de verbes comme créer, engendrer, faire apparaître (apparition) et annuler, supprimer83 (disparition):

(26) Ce vide peut parfois engendrer un désespoir à l'origine d'actions horribles. (Libération 2007) (27) Nördik Impakt annule sa grande soirée. (Ouest-France 2007)

 Les verbes qui véhiculent « les variations qualitatives »: il s'agit de verbes comme améliorer,

arranger (+) et détériorer (-) qui s'opposent, par leur nature, aux verbes « neutres » (qui

82

Ce type de verbes ne fait pas partie de notre liste des Vcaus.

n'apportent aucun changement)84. Ce type de verbes peut se rapporter à une qualité particulière, telle que, par exemple:

 la taille (agrandir, diminuer)85

:

(28) Boire du jus d'orange ou de pamplemousse tout en prenant certains médicaments (anticancéreux, antibiotiques, bêtabloquants, etc.) peut diminuer leurs effets sur l'organisme. (Le Figaro 2008)

l'espace (limiter):

(29) Peer Steinbrück a cependant réussi à limiter les convoitises de ses collègues ministres, mis en appétit par des rentrées fiscales en nette augmentation. (Le Figaro 2007)

l'assurance (confirmer, assurer)86:

(30) Les cadres départementaux de l'UMP confirment l'engouement: Claude Bodin du Val-d'Oise n'a " jamais vu ça " en vingt ans de militantisme. (Libération 2007)

Comme le mentionne Nazarenko (2000), la liste n'est pas exhaustive car « hors contexte la valeur causale de chaque verbe peut être discuté »87

(ibid.: 139). Le fait est que la causalité verbale est très variée et permet de traduire de façon « plus discrète donc plus légère » que les expressions grammaticales (qui sont très explicites), toutes sortes de nuances sémantiques et stylistiques. Observons les phrases suivantes issues de notre corpus:

(31) Les trois réformes fiscales menées depuis un an sont autant de catastrophes politiques, qui ont réussi à provoquer les colères successives du patronat, des financiers de la City, et de ses électeurs les plus pauvres! (Le Figaro 2008)

(32) Aujourd'hui, l'Europe est un continent dont la prospérité et la diversité suscitent l'admiration du monde entier. (Le Figaro 2007)

Essayons maintenant de tourner ces phrases de telle sorte pour qu'il soit possible de remplacer les structures nom-verbe par des marqueurs de la causalité comme car et parce que:

(31A) Il y a des colères successives du patronat [...] parce que les trois réformes fiscales, menées depuis un an, sont de catastrophes politiques.

(32A) L'Europe est admirée, comme continent car elle prospère bien et elle est diversifiée.

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Dans notre classement, il s'agit des verbes comme provoquer, susciter, procurer (cf. section 2.3.7.).

85 Ces verbes, faute de résultats, ont été retirés de notre classement.

86 Ce type de verbes ne fait pas partie de notre liste des Vcaus.

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Selon Nazarenko (2000), hormis le verbe causer qui est dérivé du nom cause, les autres verbes « n'ont pas de valeur spécifiquement causale » (ibid.: 139).

Il semble qu'il est même difficile de transmettre le même contenu sémantique: si, en (31) le verbe réussi à a ajouté l'aspect inchoatif au verbe « neutre » provoquer, en a des vraies difficultés pour introduire cet aspect en (31A). Quant à l'adjectif aspectuel de croissance, qui semble si naturellement compléter le N_colère en (31), en (31A) semble gêner la compréhension de la phrase.

En (32) l'association susciter l'admiration n'a pas de modifieurs, il est alors plus facile de la transformer en phrase avec un marqueur de la causalité car. En (32A) on a utilisé les mêmes mots, mais la phrase semble lourde stylistiquement. Ainsi, les résultats de cette manipulation lexico-syntaxique semble confirmer le propos Nazarenko (2000): dans le cas de notre patron sémantique la causalité verbale offre un éventail de nuances sémantiques et stylistiques plus riche et « plus légère » que les marqueurs de la causalité car et parce que.

Dans la section qui suit nous présenterons le concept de Force dynamics de Talmy (1988a, 2000), dont les critères sémantiques ont également influencé notre classement des verbes de causation.