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3.4. Modèle collocationnel de Hausmann (1989)

3.4.2. Critères syntaxiques

Si, dans l’approche de Hausmann (1989), le sémantisme des constituants mis en jeu dans une collocation ne constitue pas un champ d’investigations très poussé, la syntaxe inversement, fait partie intégrante de sa définition de la collocation. Selon l’auteur, la collocation est définie tout d'abord dans le cadre d'un rapport syntaxique entre ses constituants.

Ces patrons syntaxiques ou schémas productifs, appelés ainsi par Legallois (2012) des « collocations grammaticales » (ibid.: 34)135

, correspondent aux patrons syntaxiques suivants (la « base » est soulignée):

135

Or, Legallois (2012) mentionne: « L'emploi du terme collocation grammaticale pour désigner ces patrons syntaxiques est [...] trompeur ».

1. Nsujet+ V: la colère se lève, la cour rejette (une requête).

2. V + Nobjet: commettre une agression (Dubreil 2008: 12), établir la culpabilité. 3. N + Adjépithète: jalousie maladive, action publique.

4. N + Prép + N: faim de loup, pourvoi en cassation. 5. V + Adv: travailler efficacement.

6. Adj + Adv (ou complément): perpétuellement maladif, classer sans suite (une plainte) Hausmann (1996: 48).

7. V + Prép + N: rougir de honte136.

Cette typologie, établie selon les catégories grammaticales des lexies, n'impose pas une place fixe et définitive aux constituants: ce n’est pas l’ordre des mots qui décide de la répartition des fonctions.

Si, dans faim de loup, la « base » est faim, tandis que le syntagme quantifieur de loup est son « collocatif », pour la collocation une bouffée de chaleur, appartenant au même groupe syntaxique, c’est a contrario: le premier mot (une bouffée) sert de quantificateur (c’est alors un « collocatif »), tandis que le deuxième (chaleur) est la « base ». Ceci est d’ailleurs signalé par Tutin & Grossmann (2002), qui, en prenant appui sur l’exemple vert de peur, précisent que le nom peut remplir la fonction de la « base » sans se situer forcément en tête du syntagme (ibid.: 7). Selon Hausmann, il y a trois fonctionnements possibles de la collocation:

 combiner des groupes syntaxiques (type: Nsujet + V),  être intégrée à un groupe syntaxique (type: N + Prép + N)  constituer, à elle seule, un groupe syntaxique (type V + Nobjet)137

.

Il ressort des travaux récents de Hausmann (2004, 2006) que, dans certains contextes, les rôles de « base » et de « collocatif » peuvent se trouver inversés: dans la collocation Stein

und Bein schwören (jurer ses grands dieux), c’est le verbe qui devient la « base » et vice versa

(ibid.: 315-316).

Notons encore que, dans notre étude, la « base » est toujours le N_émot, tandis que les

Vcaus prennent le rôle des « collocatifs verbaux ».

136 Le septième patron a été ajouté dix ans plus tard, cf. à ce sujet Dubreil (2008).

SYNTHÈSE

Les collocations se situent dans une vaste zone de flou, une « fuzzy area » (Fontenelle 1997: 45) entre les locutions et les combinaisons libres, dont les bornes sont extrêmement souples vs impossibles à fixer (ibid.).

Ainsi, en suivant « le modèle collocationnel » de Hausmann (1989), nous pouvons proposer des critères suivants:

1. La collocation est une combinaison de mots usuelle et préférentielle dans un système linguistique donné.

Certaines unités s’associent préférentiellement avec les uns, mais refusent les autres: le nom bouffée, par exemple, entre souvent en association avec chaleur (bouffée de chaleur) (Hausmann 1996: 48) et plus rarement avec verve (bouffée de verve). Pour qu’une association de mots soit acceptée en tant que collocation, elle doit être usuelle, commune et conforme aux exigences syntaxico-sémantiques de la langue en question. Les fréquences des collocations, leurs constituants et les attirances entre eux varient d’une langue à l’autre.

2. La collocation est une structure bipartite constituée de deux lexies.

Elle est composée d’une « base » et d’un « collocatif » (exemple: susciter DET colère, dont le N_colère est la « base », tandis que le verbe susciter est son « collocatif »). Au niveau lexical, ces deux constituants peuvent être syntaxiquement substituables à des syntagmes remplissant la même fonction (exemple: dans l’expression saoul comme une barrique le « collocatif » n’est pas un adverbe mais un syntagme à fonction adverbiale (Tutin & Grossmann 2002: 7). Il s’agit ici d’une superposition de collocations: être saoul et comme une barrique.

3. Les deux constituants entretiennent une relation hiérarchique.

Autrement dit, leur statut n’est pas égal. La « base », choisie librement par le locuteur est indépendante sémantiquement, tandis que le « collocatif » est sémantiquement dépendant de la « base »: dans créer

DET engouement, par exemple, le « collocatif » verbal créer, hors contexte, n'a pas de sémantisme

clairement marqué138. Tel est également le cas de bouillir de colère (Augustyn 2009: 23) où le nom

colère est la « base » et garde son sémantisme, tandis que le verbe bouillir, le « collocatif », modifie sa

signification habituelle (« s'agiter sous l'effet de la chaleur en dégageant des bulles de vapeur qui montent et crèvent à la surface » (Le Larousse informatisé) pour véhiculer une valeur intensive et ponctuelle de la « base ».

4. La combinatoire lexicale de la collocation est restreinte, mais rarement singulière.

Cela signifie que le « collocatif » est sélectionné « à cause de sa signification extrêmement précise et de façon contrainte » (Dubreil 2008: 9). Exemple: année bissextile (Mel’čuk 2003: 24), où l’adjectif

bissextile, signifiant 366 jours, ne se combine qu’avec le nom année (*an bissextil). Or, comme le

mentionne Hausmann (1996), ce dernier n’est pas obligatoirement unique (exemple: chaleur tropicale/

torride/équatoriale). En effet, la cohésion entre les constituants est forte quand le champ collocationnel

d’un des deux constituants est très restreint (ici, c’est l’adjectif bissextile pour qui l’emploi est très restrictif) et faible quand il y a peu de restrictions d’emploi (le nom chaleur, par exemple, peut attirer plusieurs adjectifs). Pourtant, il serait peu judicieux d’en déduire que son emploi est libre car ce dernier ne peut pas s’associer à n’importe quel adjectif (*chaleur fiévreuse) (Hausmann 1996: 45-46).

5. Le sens de la collocation est compositionnel ou partiellement compositionnel (Hausmann (1989b: 1010).

Cela signifie qu’il est possible de déduire le sens du « tout » à partir de la signification de ses constituants, étant donné qu’au moins un d’eux (dont la « base » impérativement), garde toujours sa capacité référentielle. En effet, au vu de la forte dépendance sémiotaxique du « collocatif », il sera indispensable, dans certains cas, d’avoir recours à la « base » pour pouvoir cerner son sens. Comment expliquer, par exemple, le sémantisme de l’adjectif animale dans la collocation combler une joie

animale139, sans pouvoir analyser la « base » joie? En conséquence, la collocation peut être qualifiée de

« relation orientée » (Hausmann 1996: 40).

6. L’attirance entre les constituants est sémantiquement difficilement explicable

La collocation est un « produit préfabriqué » de la langue, un « Halbfertigprodukte » (Hausmann 1984: 398), reconnu et utilisé comme tel par des membres d’une même population linguistique. La relation entre la « base » et le « collocatif » est gérée par la langue elle-même, en influençant ainsi le choix linguistique du locuteur (dans la mesure où ce dernier, en sélectionnant un mot (la « base »), lui associe automatiquement un « collocatif »).

CONCLUSION

En raison de la multiplicité des classements terminologiques des collocation, pour les besoins de la présente étude, nous considérons la combinaison Vcaus + N_émot de collocation au sens de Hausmann (1984) et de la méthodologie élaborée dans le cadre du projet Emolex (Diwersy et al. 2014), c'est-à-dire comme une association structurée d’éléments (composée d'un N_émot et d'un Vcaus) entretenant des relations sémantiques et syntaxiques spécifiques privilégiées, strictes et flexibles en même temps. Conformément à ce modèle, la « base » (ici: le N_émot) est autonome sémantiquement et peut avoir de nombreux « collocatifs » verbaux:

surprise (réserver, déclencher, ménager...), colère (susciter, déclencher, calmer...), etc. Ces

collocatifs lui imposent des restrictions syntaxiques (Kamber 2011)140 et lui ajoutent une caractérisation (sans pourtant en modifier l’identité). Par conséquent, la « base » peut voir son sens modifié. Les rapports entre ces deux constituants se rapprochent parfois, par leur nature, à la corrélation: dans la collocation éveiller les convoitises, par exemple, le collocatif verbal

éveiller transmet sa valeur « inchoatif » à la « base » (convoitises).

Cette relation peut être parfois très complexe car l'insertion d'éléments linguistiques comme les modifieurs nominaux (adjectifs, structures binominales N1 de N2) et verbaux (adverbes, constructions infinitives V + Vinf) peut orienter le sémantisme de la combinaison

Vcaus + N_émot vers d'autres dimensions qui dépassent largement le sens étant la somme de

ses deux composants. Ces modifieurs peuvent apporter des indications sur l'intensité (forte, faible), la polarité (négative, positive) et l'aspect (ponctuel vs duratif et phasique [inchoatif, terminatif])141: exercer une fascination (V(« neutre ») + N(« positif »)), susciter la très vive colère (V(« neutre ») + Adv + Adj + N(« négatif »)), attiser un peu plus la colère (V(« phasique d'intensité forte ») + Adv + Adj + N), chasser la tristesse (V(« phasique terminatif ») + N), apaiser l'ire (V(« phasique d'intensité faible ») + N(« négatif »)), etc. Ceci va dans le sens des propos de Tutin et al. (2006) qui mentionnent que le sémantisme de la collocation est véhiculé par la combinatoire lexico-syntaxique de ses constituants, c'est-à-dire qu'il est apporté aussi bien par le sémantisme propre de la « base » que par des marques sémantiques de tous ses « collocatifs ». Nous allons revenir sur ces relations dans la partie Méthodologique (Chapitre 5, section 5.6.).

Dans le chapitre suivant nous allons aborder la problématique de l’enseignement/ apprentissage des collocations en FLE.

140 Ainsi l'auteur précise que la maîtrise de ces règles syntaxiques permet, « certes théoriquement », à l’apprenant « de produire des énoncés grammaticalement corrects » (ibid. 202).

CHAPITRE 4