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La ville est la sociolinguistique urbaine sont donc toujours là157. J’ai eu besoin de définir la

sociolinguistique urbaine et j’aime bien encore aujourd’hui ce que j’en ai dit (Moïse 2003d) ; je l’ai fait pour entamer de nouvelles recherches à partir de quartiers multiculturels, projets qui vont me tenir dans l’avenir.

Le croisement transnational, projet pour l’avenir

Le théâtre Jean Vilar158, théâtre municipal de la ville de Montpellier, est implanté dans le

quartier de la Mosson dit de banlieue. Outre sa programmation de grande qualité, il a toujours mis en place des programmes de sensibilisation culturelle auprès des populations du quartier. En ce sens, il a développé des actions pédagogiques et théâtrales dans les collèges. Je connais son directeur, Luc Braemer, depuis les années 90 alors que je travaillais pour la programmation en danse. Je lui proposé au printemps 2008 de monter un projet autour des variations linguistiques, des parlers dits jeunes, en échange avec l’Acadie. Soucieux de prévenir les insécurités langagières et de réfléchir sur les contacts de langue (révélés parfois par de la violence verbale), il a accepté ma proposition.

Mon projet, L’Acadie a dit, se décline sur trois ans. J’avais pensé un premier temps de sensibilisation de l’équipe du théâtre sur la situation acadienne ; il fallait envisager au mieux la possible programmation théâtrale et musicale et la connaissance des minorités francophones

156 Voir le chapitre « L’intervention en avenir ».

157 Voir le chapitre suivant « La ville »

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canadiennes. Nous étions cinq, partis en « gang » en novembre 2008 à la Franco-fête, festival culturel de Moncton. L’effet a été immédiat et le pari réussi. L’équipe du théâtre s’est laissé prendre par la rencontre culturelle, je me suis faite passeur et nous avons envisagé la suite. À partir de janvier 2009, j’ai proposé à l’équipe du théâtre, à des artistes intervenants en milieu scolaire et à des étudiants une série de séminaires mensuels de deux heures pour réfléchir aux questions d’hétérogénéité linguistique. Nous avons abordé à partir de biographies langagières, de corpus audio et vidéo et de textes d’écrivains et dramaturges - Nancy Huston, Magyd Cherfi ou Marc Prescott - les notions de variétés (avec un détour par le chiac), de plurilinguisme, d’insécurité linguistique, d’idéologie et de normes linguistiques, de parler jeunes. Cette expérience a été riche pour moi de ses difficultés. Il m’a fallu tenter, sans brusquer, de déplacer les idées attendues sur l’idéologie des langues homogènes ; nous avons tous ensemble peu à peu déconstruit les représentations et les « mauvaises langues », par de longues marche d’approche, d’affût et de ménagement. Nous sommes désormais prêts pour l’étape ultime. À partir de janvier 2010, un atelier d’écriture sera proposé par les artistes professionnels du séminaire à une classe d’un collège du quartier conjointement à une classe d’une école secondaire de Moncton. Il s’agira d’écrire autour du plurilinguisme pour l’année suivante, en 2010-2011, faire mettre en dramaturgie par un écrivain ses textes qui seront repris en théâtre par d’autres élèves. Des échanges auront lieu entre enseignants, artistes et élèves d’un bord à l’autre de l’Atlantique. L’objectif est d’une part de sensibiliser les élèves à la variété linguistique et au plurilinguisme qu’ils connaissent de manière spécifique d’un bord à l’autre de l’Atlantique et d’autre part de reconnaître leurs compétences langagières particulières. Cette approche permet de mieux comprendre les usages en contexte et d’accéder au français standard, conçu alors comme une variété socialement nécessaire et non plus comme un élément d’opposition ; mais cela ne peut se faire que dans la compréhension et la reconnaissance des usages multiples des élèves.

Ce projet dont je suis responsable est l’aboutissement de bien des expériences autour des langues entre le milieu culturel, les banlieues, le Canada et l’université de Moncton, voire la violence verbale. Il est bien sûr aussi l’occasion d’être en ethnographie qui me permettra d’observer les pratiques linguistiques de ce jeunes urbains. Nous avons lancé ce projet sans financements particuliers et avons été aidés par nos universités respectives. Je viens de déposer une demande de fonds auprès du Ministère de la Culture, de l’Ambassade du Canada et du Conseil Régional pour avancer dans de bonnes conditions.

Le parler jeune, projet pour l’avenir

Sous la responsabilité de Dominique Caubet, nous avons obtenu en juin 2009 les financements de l’Agence Universitaire de la Francophonie pour un projet autour des « parlers jeunes » avec, en France, Médéric Gasquet-Cyrus et moi-même et, entre autres, au Maroc, Catherine Miller (2005, 2007 notamment) dont je suis en train de découvrir plus profondément le travail foisonnant et

riche, entre identité et langue. L’objectif de ce projet159 est triple : 1) interroger la catégorie « parler

jeune » à partir des différents terrains explorés, en regard de pratiques urbaines et populaires ; 2) décrire certains phénomènes précis des parlers jeunes selon leurs dynamiques sociolinguistiques situées ; 3) considérer la circulation de ces parlers et leurs influences réciproques, leur convergence

dans la divergence, à travers les échanges transnationaux et notamment les pratiques musicales160.

159 Je reprends ici le projet tel que nous l’avons soumis et à l’écriture duquel j’ai largement participé.

160 J’avais déposé en juin 2008, comme en préparation à ce projet, une demande de financement non obtenue (j’ai beaucoup évolué au

sein du milieu de l’architecture et je sais que l’on « gagne » un projet sur cinq… est-ce que ce sera aussi le sort des sciences humaines ?) auprès de la région Paca, Entre le Maroc et la France. Mémoires, mobilité, création et langues. À la même période ma collègue Gabrièle Budach avait de son coté fait une demande auprès du British Council, Catalan at the crossroads. Trans-national migration, music and local

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Nous souhaitons161 donc à la fois comparer et saisir l’articulation des parlers jeunes entre les

deux rives de la Méditerranée : au Maroc (Casablanca, Fès, Meknès, Rabat, Tétouan, Marrakech), en Algérie (Oran, Mostaganem, Alger), en Libye (Tripoli), en France (Marseille, Montpellier) et en Espagne (Ceuta). Nos analyses tenteront de mesurer la part de création, mais aussi l’éventuelle appropriation des langues autres dans les parlers jeunes avec des effets de divergence et de convergence (l’arabe maghrébin, le romani, l’occitan en France), des anciens argots de quartier et des parlers secrets (verlan en France ou « ghaws » au Maroc). Nous choisirons des points précis de description linguistique étudiés par ailleurs, comme le développement de la palatalisation dans les quartiers populaires de Marseille et à Casablanca ou la circulation de certains lexèmes très largement diffusés au-delà des pratiques dites «  de banlieue  » ou «  des cités » et dans des milieux sociaux très variés. Nous verrons aussi la part de l’alternance de codes (algérien, marocain – ou darija – /français en Algérie ou au Maroc ; catalan/espagnol/français dans les parlers gitans en France, à Montpellier ; espagnol/darija en Espagne à Ceuta). Selon les langues, les quartiers et les villes, retrouve-t-on les mêmes techniques d’inversion, troncation, métaphores, emphase, les mêmes répétitions, jeux de mots, etc. ? Y a-t-il auprès de populations jeunes un développement de formes non standard similaires qui seraient attestées dans plusieurs centres urbains géographiquement distants ? Les filles et les garçons pratiquent-ils les mêmes registres dans les mêmes lieux (Moïse 2002) ? Dans quelle mesure les jeunes des deux rives de la Méditerranée partagent-ils des modèles communs (par le biais de la musique notamment) et développent-ils des stratégies et des pratiques discursives similaires à partir de leurs langues respectives ? Dans la perspective actuelle de la mondialisation, ces parlers, qui ne sont pas non plus l’apanage de la jeunesse (par exemple dans la pratique du code-switching), laquelle en use cependant avec une certaine vivacité ludique, ne donnent-ils pas une légitimité nouvelle aux langues en présence, longtemps stigmatisées  ? En quoi ces parlers rendent-ils compte d’une certaine valorisation identitaire dans une dimension postmoderne plurielle ? On s’interrogera également sur la diffusion de ces parlers jeunes sur les nouvelles scènes musicales (hip-hop, rock, « fusion » et slam, au Maroc et en Algérie, reggae en Libye, chanson contemporaine en France, occitane et catalane) et au cinéma. Ici, la comparaison avec la rive nord de la Méditerranée (et Marseille en particulier) peut certainement s’avérer instructive.

Entre un questionnement autour de la catégorie « parlers jeunes »162 de part et d’autre de la

Méditerranée (que met le chercheur derrière les « parlers jeunes » ?), un suivi des langues à partir des déplacements et des pratiques artistiques et des études à partir de sites ethnographiques, nous tenterons de répondre à plusieurs questions : quels sont les jeunes qui sont à l'initiative des changements linguistiques et culturels au Maghreb et en France ? Qu’est ce qui linguistiquement semble le plus marquant dans ces variétés jeunes  ? Quels en sont les substrats (argots de quartier, de métier, autre chose  ?) Quelles sont les formes d’alternance  ? Ces parlers sont-ils encore pratiqués par les aînés et donc présents dans le quartier étudié ? Quels sont les usages contextualisés et interactionnels dans des formes de valorisation identitaire ? Quel(s) genre(s) artistique(s) semble(nt) le plus reproduire ces formes de parler ? Quel rôle, s’il en est, jouent les médias actuellement dans la diffusion de ces formes de parlers ?

161 Je reprends ici le texte du projet que nous avons co-écrit.

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Pour ma part, j’ai choisi d’approfondir le travail amorcé sur le quartier où j’habite, le quartier

Figuerolles163 entrepris avec des collègues géographe et ethnologue et dont j’ai parlé plus haut164.

Je me pencherai sur les pratiques linguistiques dans une association de réinsertion pour jeunes

femmes gitanes et marocaines165.