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À partir des projets de recherche menés au Canada, j’ai été conduite peu à peu à concevoir le discours comme pratique et action sociales (Fairclough 1992) et donc à l’analyser comme tel. Les discours, production langagière quelle qu’elle soit (discours politique, interactions, récit, entretien, etc.), sont à comprendre comme constitutifs d’un certain espace social, pris dans leur historicité et définis par des rapports de pouvoir entre les acteurs sociaux (Blommaert 2005), des discours hégémoniques et des idéologies en circulation (Blommaert et Verschueren 1998), des contraintes sociales et identitaires.

Parmi le grand champ de l’analyse de discours largement décrit dans le domaine anglo-saxon (Schiffrin 1994  ; Blommert 2005) mais aussi français ces dernières années (Charaudeau et Maingueneau 2002, Détrie, Siblot et Verine 2001) ou, comme le signale Jacques Guilhaumou (2005 : 95), allemand, il s’agit à chacun de trouver sa place en fonction de ses propres intentions scientifiques, ses histoires conceptuelles et ses liens de recherche. Les analyses de discours ne relèvent pas d’un champ particulier et se situent hors «  des partages traditionnels du savoir

hérité du 19e siècle  » (Maingueneau 2005  : 64), entre linguistique, psychologie, sociologie,

anthropologie et histoire. Si à l’origine, elles s’apparentent à la grammaire de texte ou l’analyse textuelle, dans la mouvance de John Harris, les analyses de discours actuelles flirtent aujourd’hui aussi entre pragmatique (Verschueren 1999) et changement social (Fairclough 1992) quitte à étendre voire, pour certains, diluer, leur champ (voir pour un état de la question Maingueneau 2005). Cette hétérogénéité montre à mon sens le foisonnement des idées, l’imaginaire en marche, et traduit finalement la diversité des approches scientifiques, de l’anthropologie linguistique au structuralisme, des types de corpus, des genres spécifiques (le discours publicitaire par exemple) et des outils de description, de l’énonciation, la polyphonie à la pragmatique.

Du texte au discours et l’analyse textuelle

Dans le cadre de l’école française le texte tient une place centrale ; il devient discours quand on considère sa structuration rapportée à des conditions de production. Le texte est l’« objet empirique de l’analyse du discours, ensemble suivi (cohésif et cohérent) d’énoncés qui constituent un propos (écrit ou oral) » et le discours est l’« objet de connaissance de l’analyse du discours, qui désigne l’ensemble des textes considérés en relation avec leurs conditions historiques (sociales, idéologiques) de production  » (Sarfati 1997  : 16). Le texte est alors envisagé dans sa cohésion c’est-à-dire dans sa continuité sémantique, en lien avec d’autres textes, dans un rapport d’intertextualité, et pour sa cohérence, c’est-à-dire dans sa performance discursive (l’effet

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produit). Pour en déterminer sa singularité et son genre, il est envisagé par le biais d’analyses structurales, entre approche logico-sémantique développée par Greimas et la grammaire de textes, qui vont des plans supraphrastique, intraphrastique (organisation thématique), interphrastique (organisation des phrases). L’approche la plus radicale est celle formulée par Zellig Harris (1969 : 8), disciple de Bloomfield, quand le texte est « un tout spécifique consistant en une séquence de formes linguistiques disposées en phrases successives ». La valeur socio-sémantique sera envisagée par la suite, notamment dans la mouvance de l’analyse du discours politique (qui développera la dimension quantitative lexicométrique) et sous l’influence de Dominique Maingueneau.

Par mes études, notamment à Montpellier, j’ai profondément été influencée par les « analyses textuelles », telles que pratiquées par la linguistique française. Il m’en reste des outils que j’utilise quand ils me sont utiles. Ils me portent plutôt vers une analyse micro même si elle s’inscrit aussi dans des perspectives intertextuelles, et font appel aux théories de l’énonciation, des actes du discours pragmatiques et du dialogisme notamment, intéressantes à mes yeux parce qu’elles me permettent d’y rencontrer le « sujet parlant ». Mais la part discourse analysis, que j’ai adoptée comme cadre général, se focalise sur la dimension sociale du discours et s’appuie sur quelques concepts incontournables de ce point de vue, l’idéologie, l’historicité, les espaces discursifs, l’hégémonie, le contexte, l’événement et les réseaux mondialisés.

Les idéologies et l’historicité

En août 1798 (Thermidor an VI) naissait le terme idéologie apparu dans un ouvrage aujourd’hui oublié Mémoire sur la faculté de pensée de Destutt de Tracy (1992 [1796]), « science des idées », théorie générale de la connaissance, science ambitieuse, première et fondamentale. Philosophe des Lumières, sensualiste dans la lignée de Condillac, il s’applique à différentes reprises (1825) à démonter le mécanisme de la pensée (« qu’est-ce que penser ? » : 25) à travers, entre autres, les «  sensibilité et sensations  » (ibidem  : 30), les «  mémoire et souvenirs  » (ibidem  : 40), les « jugements et les sensations de rapport » (ibidem : 51), les « volonté et des sensations de désir » (ibidem : 71). S’il ne prône pas une sensibilité première et directe, notre philosophe tente de décoder les modalités qui sont « vouloir », « juger » et « se souvenir » ; malgré sa rigueur face au décryptage des émotions pour expliciter le jugement, il ne passera pas à la postérité, comme si la pensée ne pouvait être que raisonnable. Et ce sens premier d’ « idéologie » comme science des idées s’est perdu, même si, les « idées » restent toujours en filigrane de l’idéologie. Il est intéressant de voir comment s’est fait le lien entre cette théorie de la connaissance et une certaine philosophie politique, quand finalement l’histoire fait les mots et les mots l’histoire. Destutt de Tracy et ses amis, du marquis de Condorcet à Jean-Baptiste Lamarck, ancrent leurs réflexions dans une perspective éducative. Fervents pédagogues, promoteurs des grandes écoles et écoles centrales (qui deviendront nos lycées) et figures indociles au sénat, ils se verront taxés par Napoléon, fort de son pouvoir impérial, « d’idéologues », terme chargé de tout le mépris nécessaire à sa destitution.

« L’idéologie » renaîtra avec Marx dans son ouvrage L’idéologie allemande (Althusser 1970 : 36) ; elle gardera une acception négative à travers la critique des philosophes post-hégéliens. Valeur d’une classe sociale, l’idéologie serait une vision fausse de la réalité, bricolage imaginaire, qui permettrait d’entretenir le pouvoir social des classes dominantes, en se référant à des valeurs universelles. Par la suite, la critique des « idéologies », étrange paradoxe, se retournera contre le marxisme lui-même… en tant qu’idéologie. Cette position a été possible parce que, dans le même temps, l’idéologie a représenté « l’ensemble des théories qui prétendent nous renseigner sur le politique et le social en s’appuyant sur une démarche de type scientifique, ou du moins une démarche se présentant comme scientifique » (Boudon 1986 : 39), aspect politisé et discrédité . Dans une telle perspective, l’idéologie va rester liée à la chose politique, et rendre compte des

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grands systèmes d’organisations tels que le marxisme ou le libéralisme, marqués d’une connotation négative.

Louis Althusser se propose, parce qu’il en sent le manque, d’avancer « le projet d’une théorie de l’idéologie en général » (Althusser 1970 : 35) ; il étendra la notion d’idéologie pour aller dans le sens qui nous sied aujourd’hui.

« Une idéologie est un système (possédant sa logique et sa rigueur propres) de représentations (images, mythes, idées ou concepts selon les cas) doué d’une existence et d’un rôle historique au sein d’une société donnée. Sans rentrer dans le problème des rapports d’une science à son passé (idéologique), disons que l’idéologie comme système de représentation se distingue de la science en ce que la fonction pratico-sociale l’emporte en elle sur la fonction théorique (ou fonction de connaissance) (1965 : 238-239) ».

Elle serait alors à la fois «  le rapport imaginaire des individus à leurs conditions réelles d’existence » (Althusser 1970 : 38) à travers « une existence matérielle » (Althusser 1970 : 41). Elle serait portée par des « actes insérés dans des pratiques qui sont réglées par des rituels, au sein de l’existence matérielle d’un appareil idéologique, fût-ce d’une toute petite partie de cet appareil : une petite messe dans une petite église, un enterrement, un petit match dans une société sportive, une journée de classe dans une école, une réunion ou un meeting d’un parti politique, etc » (Althusser 1970 : 44). Idéologies du quotidien si l’on peut dire, profondément ancrées, et cela pour me ravir, dans une prise en compte des sujets. « Il n’y a d’idéologie que par le sujet et pour les sujets » (Althusser 1970 : 46) dans le sens où toutes nos actions et pensées s’inscrivent dans des rituels sociaux de reconnaissance qui nous font exister dans la conscience de nous-mêmes. Pour dire finalement que toutes nos actions sont marquées d’idéologie. Je me surprends alors à sourire à cette lecture qui appuie l’idée d’une sociolinguistique du sujet inscrite dans les discours. « Les linguistes et ceux qui appellent au secours la linguistique à différentes fins, achoppent souvent sur des difficultés qui tiennent à ce qu’ils méconnaissent le jeu des effets idéologiques dans tous les discours – y compris les discours scientifiques eux-mêmes » (Althusser 1970 : 47).

La façon de penser l’idéologie chez Louis Althusser est stimulante, dans le sens où elle apparaît, dans ses soubassements marxistes, comme annonciatrice des usages qu’en feront Michel Foucault, en l’ancrant dans les discours, et Edgar Morin en s’attachant aux représentations de la réalité et en développant la sociologie des idéologies (1991). J’aime chez Edgar Morin, sa façon de nous raconter les faits du monde, j’aime sa façon d’envisager les idées, les « choses de l’esprit », organisées en une « noologie », prises dans leur vie et évolution propres et en même temps conditionnées « par les esprits / cerveaux humains qui les produisent et du point de vue des conditions culturelles de leur production » (Morin 1991 : 109 et s.). « Idée » d’ailleurs pour lui plus qu’« idéologie », qu’il entend dans son sens doctrinaire (Morin 1998). Et je pense aux liens qui me reviennent, liens de vie et d’affinité. Edgar Morin raconte combien Jacques Monod l’a amené à penser la noosphère, Jacques Monod, penseur d’un siècle d’avant, naturaliste, scientifique et humaniste en même temps. Jacques Monod est celui qui a pensé la noosphère, telle que citée par Edgar Morin (1991 : 109) : « la noosphère, pour être immatérielle, peuplée seulement de structures abstraites, présente d’étroites analogies avec la biosphère d’où elle a émergé. Une idée transmissible constitue un être autonome, doué lui-même d’émergence et de téléonomie, capable de se conserver, de croître, de gagner en complexité ». Avant que je lise Edgar Morin, nous avions écrit avec une amie des chroniques radiophoniques sur Théodore Monod et Louis Althusser, fascinées sans doute par des tentatives humaines de compréhension du monde et de quête d’absolu. Louis Althusser, « dans un chaos et une recherche systémique de la vérité, de dépression en analyse, d’enferment et cloisonnement en rage fébrile et active, griffonne, déboulonne, chiffonne et déboussole le monde » et Jacques Monod, dans le désert, « décrit, note, garde, numérote, classe mais nous

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ramène à l’essentiel de notre humanité au-delà de nos vacarmes intérieurs ». Et je vois encore combien, il y a plus de dix ans, j’avais besoin d’affirmer une recherche qui se construit dans le doute et le risque.

Revenons à notre propos. D’Edgar Morin ou de Michel Foucault, il me faut garder cette idée essentielle que les idées s’inscrivent dans leurs contextes historiques pour ensuite les dépasser. Edgar Morin, comme en poésie, évoque les « évolutions noosphériques » (Morin, 1991 : 151).

« Bien qu’il y ait eu depuis la préhistoire une très grande mortalité de mythes, de génies, de dieux et d’idées, certains êtres noologiques, apparus sans doute avec les débuts de l’humanité, continuent à vivre, y compris dans le monde urbain moderne, comme spectres, « doubles », esprits des morts, fantômes. Les grands types noologiques n’ont pas disparu. Certains même manifestent une grande vitalité » (Morin, 1991 : 151).

Il s’agit dans l’analyse de discours, si l’on considère que les idéologies, les idées en circulation s’inscrivent dans les discours d’en saisir leurs origines et leur relation au temps (et aux discours antérieurs), donc de considérer leur historicité. Et si Louis Althusser affirme que « l’idéologie n’a pas d’histoire » (1970 : 37), c’est pour mieux en montrer le sens positif ou comme pour mieux l’inscrire comme éternelle, c’est-à-dire comme « omniprésente, transhistorique, donc immuable en sa forme dans toute l’étendue de l’histoire ». Ainsi, il nous faut saisir les discours dans leur discontinuité mais aussi récurrence historique, en comprendre « les conditions de leur existence, en fixer au plus juste les limites, établir les corrélations avec les autres énoncés » (Foucault 1969 : 42 et s.). Cette historicité nous échappe en partie, dans le sens où les sociétés se transforment non pas simplement d’un point de vue technique et économique mais parce qu’elles sont « l’action d’une figure du sujet » (Touraine 2000 : 173). Il serait alors présomptueux, face à la complexité des actions des sujets, de pouvoir saisir dans une totalité et une objectivité comment un savoir peut se constituer à une époque et en un lieu déterminé.

Espaces discursifs, rapports de pouvoir et hégémonie

L’idéologie est donc au cœur de mes analyses de discours, elle est entre idée et logos. Les idées

nous servent à interpréter le réel et se construisent dans les discours. L’idéologie serait les idées, croyances, représentations qui circulent à travers des discours. Mais pour la différencier du jugement ou de l’opinion, je dirais qu’elle s’organise en systèmes de pensée, se structure et se diffuse dans des espaces discursifs (Heller 2002), en jouant des rapports de pouvoir, pouvant alors (ou pas) s’inscrire dans le champ politique. En ce sens, les espaces discursifs naissent d’une thématisation idéologique, telle que la francophonie canadienne, la violence verbale, les couples mixtes franco-arabes pour ce qui est de certains de mes projets de recherche ; thématisation idéologique qui se décline en différents discours complémentaires ou antagonistes, liés dans un principe de discontinuité (Foucault 1971 : 54-55) (quels sont les différentes idées et discours donc sur la francophonie

canadienne, sur la violence verbale ?). Espace discursif, notion que l’on peut rapprocher de celle

de formation discursive123, initiée par Foucault (1969 : 52-53) et reprise par Michel Pêcheux

(Haroche, Henry et Pêcheux 1971), déterminée dans « ses frontières par celles posées par le chercheur et spécifiées historiquement » (Maingueneau 2005 : 73). Ainsi, un discours donné est constitutif des objets et idéologies antérieures, idéologies portées par les discours hégémoniques. Au sens où pour Michel Foucault un discours est « constitué par l’ensemble de tous les énoncés effectifs dans leur dispersion d’événements et dans l’instance qui est propre à chacun » (1994, I : 705). Ou dit autrement, il y a « les discours qui sont l’origine d’un certain nombre d’actes nouveaux de paroles qui les reprennent, les transforment ou parlent d’eux, bref, les discours qui,

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indéfiniment, par-delà leur formulation, sont dits, restent dits, et sont encore à dire » (Foucault 1971 : 24).

Les différents discours qui articulent un espace discursif entretiennent entre eux des rapports de temporalité (un discours va supplanter, sans toutefois l’effacer complètement, un plus antérieur), de légitimité (quel discours devient à un moment donné dominant, entendu et reproduit et avec quelles conséquences pour qui ?), de pouvoir (quels intérêts politiques ont les acteurs sociaux à entretenir certains discours ?). De cette façon, tout acteur social, producteur d’un discours idéologique et produit par lui, s’inscrit (ou pas) dans un discours constitutif d’un espace discursif et, éventuellement, à travers les discours pré-existants. Il participe à la circulation des discours dans le champ social à des fins qui lui appartiennent, qu’elles soient sociales, économiques, politiques voire personnelles. Les prises de position de chacun dans l’espace discursif considéré relèvent donc d’intérêts différents reliés à des trajectoires de vie et à des ressources matérielles et symboliques à chaque fois particulières (pourquoi je développe certaines idées à propos de telle thématisation ?).

Si certains discours sont mieux reconnus, entendus et répandus que d’autres, s’ils s’affirment

comme hégémoniques124 (étymologiquement entre autorité et légitimité), c’est sans doute parce

qu’ils rencontrent des préoccupations historico-sociales en émergence, parce qu’ils servent la construction du pouvoir étatique et national (l’ordre institutionnel) et parce qu’ils s’imposent par la légitimité des acteurs qui les produisent. J’essaie de comprendre ce qui favorise la construction des idéologies (au sens où je viens de le circonscrire) inscrites dans les discours. Il me semble alors fondamental, et ce sera un axe récurrent de mes questionnements, de chercher à comprendre ce qui pousse les acteurs sociaux à adhérer à certaines valeurs. En bref, il s’agit toujours de comprendre quels intérêts, matériels et symboliques, ont les sujets à faire ce qu’ils font, à produire les discours qu’ils produisent. Ce que Louis Althusser appelle la fonction pratico-sociale.

Et confrontée à l’analyse des données, aux récits, interactions, documents ou aux observations de terrain, constitutifs d’espaces discursifs, j’aime à affirmer que les acteurs ne sauraient se réduire à un déterminisme social, pris dans des habitus au sens donné par Pierre Bourdieu. Les motivations de chacun sont conditionnées de façon complexe, par les représentations culturelles et historiques, les facteurs sociaux et économiques, les visées et enchevêtrements personnels et intimes. Les acteurs sociaux peuvent affirmer et asseoir un certain pouvoir, c’est-à-dire la capacité d’imposer leur volonté et leurs idées aux autres, en participant aux discours dominants et qu’ils entretiennent. La compréhension des mécanismes sociaux par lequel le pouvoir s’exerce à travers les discours dominants permet alors « d’étudier avec profit comment se constitue l’hégémonie » (Smart 1989  : 180). Le pouvoir et les discours dominants, je l’ai dit, sont construits par la légitimité des porteurs de discours, par les enjeux politiques et par les contextes sociaux-historiques ou, dit autrement, par la force pure (maintien de l’ordre social établi), le statut et la maîtrise des ressources, l’imaginaire. De cette façon, et si l’on suit Michel Foucault, le pouvoir et les discours qui le portent, n’est pas seulement le fait de l’État. La modernité s’est construite par la mise en place de dispositifs de domination, les institutions, de l’école à l’entreprise, qui traversent la société toute entière et qu’entretiennent les acteurs sociaux. « Le discours n’est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche à s’emparer » (Foucault 1971 : 12)

124 Le concept d’hégémonie chez Gramsci (1975) renvoie essentiellement à la nature et aux mécanismes de la domination bourgeoise dans

les sociétés capitalistes. La domination de certains discours, au-delà du pouvoir réel ou symbolique des locuteurs qui les émettent, dépend aussi des relations médiatiques, des enjeux politiques voire des situations mondiales et historiques.

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Evénement et circulation discursive

Les discours sont donc portés par les acteurs sociaux. Ils rendent compte, dans une perspective de sémiotique sociale, d’une « construction de sens » (meaning making) (Halliday 1978) à lire et à saisir dans sa globalité. Partie prenante dans une construction multimodale (visuelle, verbale, graphique) des interactions et des changements en jeu dans l’espace urbain, les ressources disponibles, matérielles ou symboliques, sont alors à juger dans leur dynamique, leur temporalité éphémère, emblèmes d’un paysage sémiotique (semiotic landscape) (Kress et van Leeuwen 1996), artefacts multiples, signifiants de l’événement. L’événement (Hymes 1974, Heller 1995, Bensa et Fassin 2002) renvoie à un moment d’interaction sociale précis qui s’inscrit dans un contexte spatial et temporel déterminé et qui réunit un ensemble d’acteurs spécifiques. L’événement représente un moment particulier dans une série d’actions du même type ; il est construit sur l’expérience et reconnaissable comme tel par les membres d’une communauté partageant les mêmes valeurs et pratiques culturelles. Les interactions et les interactants sont donc pris dans une multitude de liens et de relations qui participent de l’élaboration interactionnelle, au-delà des routines et des contraintes conversationnelles. Ainsi, l’interaction sociale, qui se déroule dans un cadre événementiel particulier, repose sur un nombre de pratiques sociales ritualisées qui rendent compte des intérêts des acteurs et de leurs expériences, en écho avec d’autres interactions antérieures du même type. Les espaces discursifs se rattachent aux événements discursifs, moments historiques d’émergence d’un discours, qui prennent sens et réalité à travers les interactions, les documents et mises en scène relatifs à moment particulier.

« L’événement n’est ni substance ni accident, ni qualité, ni processus. […] Il a son lieu et il consiste dans la relation, la coexistence, la dispersion, le recoupement, l’accumulation, la sélection d’éléments matériels » (Foucault 1971 : 59).

Ainsi, nous avons vu que chaque moment de violence verbale, donc chaque montée en tension, s’inscrivait dans un cadre singulier avec des acteurs investis de leur rôle, et déterminant les actes violents. La violence entre enseignants et élèves se joue à des moments institutionnels et