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Figure 2.1: Processus g´en´eral de mod´elisation simulation sociale bas´ee agent

fait une structure particuli`erement pertinente pour l’´etude des ph´enom`enes spatialis´es. Plus g´en´eralement, la structure des interactions est d´efinie par un r´eseau d’interac- tions. Chaque agent constitue un sommet du graphe, et les arcs entre ces sommets constituent les interactions possibles pendant la simulation. Cette repr´esentation en r´eseau est directement inspir´ee du concept de r´eseau social, propos´e initialement par les sciences sociales [Wasserman et Faust, 1994a]. Plus r´ecemment, des physiciens ont abord´e cette probl´ematique en utilisant des outils statistiques, et ont propos´e des al- gorithmes qui g´en`erent des graphes correspondants `a quelques propri´et´es statistiques observ´ees sur certains graphes r´eels. Il est devenu courant d’utiliser ces g´en´erateurs pour d´efinir la structure des interactions dans les mod`eles bas´es agents ([Phan, 2006] [Amblard, 2002]). Nous verrons plus tard que cette structure a g´en´eralement un impact important sur la dynamique mod´elis´ee (par ex. [Rouchier et al., 2001]). La construction de r´eseaux d’interactions repr´esentatifs des r´eseaux r´eels est un travail de mod´elisation `

a part enti`ere, qui sera d´evelopp´e en chapitre 8.

L’environnement repr´esente les objets r´eels du monde manipulables par les agents. Dans les mod`eles d´evelopp´es en ´ecologie, cet environnement joue ´evidemment un rˆole central. Les mod`eles bas´es sur des agents situ´es, comme des fourmis ou des robots, uti- lisent ´egalement cet environnement comme vecteur de communication indirecte (proto- environnement). Dans les simulations sociologiques, comme en diffusion d’innovations, l’environnement n’est pas directement impliqu´e, et est donc g´en´eralement ignor´e dans le mod`ele. L’influence de la spatialisation des individus, comme la communication plus fr´equente `a faible distance, est alors int´egr´ee dans le r´eseau d’interactions.

2.3

Processus de mod´elisation

De nombreux sch´emas de mod´elisation ont ´et´e propos´es, assortis de r`egles de bonne conduite ; par exemple [Sargent, 1991, Sargent, 2005, Kleijnen, 1995]. Le processus de mod´elisation d´epend notamment de l’objectif de la simulation elle-mˆeme (cf. 2.1.1) ; toutefois, le sch´ema g´en´eral s’assimile `a celui pr´esent´e en figure 2.1. Bien que le proces- sus en g´en´eral soit valable pour toute simulation sociale orient´ee agents, nous oriente- rons cette pr´esentation vers la diffusion d’innovation.

2.3.1 D´efinition de l’objet et de l’objectif

But du mod`ele

Un mod`ele est d´evelopp´e dans un but pr´ecis. De ce but d´ependront la fronti`ere du mod`ele, les compromis effectu´es pendant la mod´elisation (2.4.5), ainsi que les crit`eres d’´evaluation du mod`ele. Le but d´epend du type de mod`ele (2.1.1) :

– mod`ele descriptif : mieux d´ecrire un ph´enom`ene donn´e, d´ecrire une plus grande classe de ph´enom`enes

– mod`ele explicatif : tester une th´eorie sur les facteurs explicatifs qui font apparaˆıtre un ph´enom`ene donn´e. La question pos´ee au mod`ele est alors : “Ma th´eorie est-elle plausible ?”

– mod`ele pr´edictif : d´evelopper un outil de pr´evision plus fiable

– mod`ele normatif : d´evelopper un mod`ele qui permette d’am´eliorer des d´ecisions prises sur le syst`eme r´eel.

Instance ou classe de ph´enom`enes

En simulation sociale orient´ee agents, et particuli`erement en diffusion d’innovations, l’objet mod´elis´e est un ph´enom`ene social se d´eroulant dans le temps. On peut s’atta- cher `a mod´eliser une instance d’une classe de ph´enom`enes. Par exemple, la diffusion des t´el´evisions au Niger repr´esente un cas particulier de diffusion d’innovations. On peut ´egalement chercher `a mod´eliser une classe de ph´enom`enes, par exemple la diffu- sion d’innovations technologiques, ou la diffusion d’innovations en g´en´eral. De ce choix d´ependra le compromis g´en´ericit´e/pr´ecision que nous ´evoquerons plus loin (2.4.5).

Client du mod`ele

Dans certains cas, il sera n´ecessaire de d´efinir `a quel client s’adresse le mod`ele (2.1.1). Si le but est de d´evelopper un outil d’aide `a la d´ecision, le mod`ele devra contenir les variables d´ecisionnelles utilis´ees par les d´ecideurs finaux. Les outils de simulation et d’observation devront ˆetre adapt´es `a ce client final. Le param´etrage du mod`ele doit notamment ˆetre r´ealisable par ce client final, et ce en fonction de la disponibilit´e des informations lors de l’utilisation du mod`ele.

2.3. PROCESSUS DE MOD ´ELISATION 23

2.3.2 Collecte et s´election d’informations

La simulation sociale orient´ee agents ne peut pr´etendre au titre d’outil pour les sciences sociales que si la mod´elisation ancre le mod`ele dans la r´ealit´e du terrain [Moss et Edmonds, 2005]. Mˆeme si, dans certains cas, les mod`eles peuvent ˆetre fai- blement li´es au terrain (2.4.2), ce travail est n´ecessaire si l’on souhaite mod´eliser une ou plusieurs instances de ph´enom`enes sociaux.

Non-r´eplicabilit´e des ph´enom`enes sociaux

La collecte d’informations vise `a r´ecup´erer sur le ph´enom`ene social des donn´ees qui serviront `a param´etrer et `a valider le mod`ele. Cette collecte d’informations d´epend de l’objectif du mod´elisateur. Si l’objectif est de mod´eliser un cas pr´ecis de diffusion, le mod´elisateur se heurte `a un probl`eme inh´erent aux ph´enom`enes sociaux : la non r´eplicabilit´e du ph´enom`ene. En physique, on peut r´epliquer `a l’infini les exp´eriences ; on peut tester la chute des corps, en variant les param`etres des exp´eriences, en obtenant des r´esultats coh´erents. Par contre, on ne peut assister qu’une seule fois `a la diffusion des solutions contraceptives au Kenya ; cette diffusion va modifier les connaissances des habitants sur les moyens contraceptifs, leur attitude envers la contraception, et leur perception de cette innovation. Par la suite, il sera impossible de tester `a nouveau le ph´enom`ene social dans les mˆemes conditions initiales. C’est une exp´erience unique, intrins`equement non reproductible. La collecte d’informations doit donc ˆetre r´ealis´ee de fa¸con suffisante et pr´ecise pendant cette seule occurence de la diffusion.

Par contre, si l’on mod´elise la diffusion des innovations en g´en´eral, ou la diffusion d’une cat´egorie d’innovations, on dispose d’un ensemble de donn´ees d´ej`a collect´ees lors d’autres diffusions. Ces diffusions diff`erent toutefois fortement, tant par la population dans laquelle l’innovation se diffuse, par les caract´eristiques de l’innovation, et par la strat´egie mise en oeuvre par l’institution.

Donn´ees primaires et secondaires

Il est donc n´ecessaire, pour mod´eliser un ph´enom`ene social, de se reposer pour tout ou partie sur des observations d´ej`a disponibles sur le ph´enom`ene. C’est ce que Yin nomme donn´ees primaires et secondaires [Yin, 2003]. Les donn´ees primaires sont les donn´ees collect´ees pour un ph´enom`ene pr´ecis dans le processus de mod´elisation : entretiens, enquˆetes et autres observations quantitatives ou qualitatives. Les donn´ees secondaires correspondent `a la litt´erature disponible sur le ph´enom`ene. L’ˆetre humain ´etant ´etudi´e par les sciences humaines depuis l’antiquit´e, il existe une profusion de constats plus ou moins rigoureux issus de la sociologie, de la philosophie, de la psychologie, du marketing ou de la psychologie sociale.

La s´election des observations qui seront utilis´ees pour le mod`ele doit se faire en fonction de :

– leur fiabilit´e : l’observation a-t-elle ´et´e faite dans plusieurs cas de diffusion ? A-t- elle ´et´e rigoureusement mesur´ee ?

– leur pertinence par rapport `a l’objectif du mod´elisateur : un param`etre peut ˆetre important dans le processus r´eel, mais ˆetre ignor´e dans le mod`ele. Des ´etudes sociologiques sur un petit groupe de personnes d´egageront des diff´erences entre individus qui pourront peut-ˆetre ˆetre ignor´ees dans un mod`ele `a plus grande ´echelle.

– leur repr´esentativit´e : les observations doivent porter sur un ensemble repr´esentatif de personnes ou d’instances de diffusion. Le biais pro-innovation d´ecrit par Rogers (3.2.2) correspond `a une mauvaise s´election des donn´ees, le mod´elisateur retenant les observations des innovations r´eussies mais non les ´echecs

– leur disponibilit´e, la possibilit´e de les collecter ou le coˆut de cette collecte. Ces observations permettront d’identifier des invariants communs `a une classe de ph´enom`enes. En diffusion d’innovations, nous avons vu que des invariants existent, au niveau descriptif (courbe agr´egative d’adoption en forme de “S”) ou sur les facteurs explicatifs. Ces invariants sont souvent exprim´es, en sciences sociales, sous forme de faits stylis´es : des constats qualitatifs qui sont vrais la plupart du temps, bien que l’on puisse trouver des contre-exemples. Par exemple, “En France, un docteur a un salaire inf´erieur `a un ing´enieur” est un fait stylis´e : si l’observation se v´erifie la plupart du temps, il existe des docteurs bien r´emun´er´es. Nous effectuerons dans le chapitre 3 un panorama des observations disponibles sur la diffusion d’innovations.

Parmi ces observations, certaines seront utilis´ees pour confronter le mod`ele `a la r´ealit´e. Pour certains auteurs, la d´efinition des indicateurs fait partie int´egrante du processus de mod´elisation [Rouchier, 2000, Deffuant et al., 2003a], et doit ˆetre pens´ee d`es la conception du mod`ele. Les indicateurs s´electionn´es doivent ˆetre observables `a la fois dans le syst`eme r´eel et le mod`ele.

2.3.3 Elaboration d’un mod`ele conceptuel

Sur la base de ses connaissances sur le syst`eme, le mod´elisateur d´eveloppe un mod`ele conceptuel. Ce mod`ele conceptuel d´ecrit les caract´eristiques et comportements des agents, les interactions entre agents, les divers param`etres, ainsi que les indicateurs qui serviront `a l’observation de la simulation. Ce mod`ele conceptuel doit bien sˆur cor- respondre `a une r´ealit´e quelconque du syst`eme r´eel. Cette ´etape est souvent assimil´ee `

a la proposition d’une th´eorie (par ex. [Sargent, 2005]).

Dans le cas de la simulation sociale, le mod´elisateur se trouve confront´e `a un ob- jet d’´etude - un syst`eme social - extrˆemement complexe. Il est impossible pour un mod´elisateur de capturer par lui-mˆeme, `a l’´echelle d’une population et de plusieurs instances de diffusion, les d´etails du processus collectif. De mˆeme que pour les obser- vations sur le syst`eme, le mod´elisateur peut alors se reporter aux diff´erentes th´eories et mod`eles propos´es dans les sciences humaines. Ces th´eories peuvent correspondre au ph´enom`ene g´en´eral ou `a une partie limit´ee du processus (perception d’information, m´emorisation des informations). Le rˆole du mod´elisateur est alors d’identifier parmi

2.3. PROCESSUS DE MOD ´ELISATION 25 cette vaste litt´erature quelles sont les th´eories plausibles adapt´ees `a son probl`eme par- ticulier, et comment les agencer sous la forme d’un mod`ele coh´erent. Cette approche avait ´et´e qualifi´ee dans la th`ese de Lamjed Ben Said [Ben Said, 2003] de “recherche d’un cadre int´egratif”. La plupart des th´eories du domaine cible sont discursives, descrip- tives, et limit´ees `a un ph´enom`ene pr´ecis. Le mod´elisateur doit formaliser ces th´eories en compl´etant les vides ´eventuels.

Ce mod`ele conceptuel peut ˆetre exprim´e avec le symbolisme de son choix : langage naturel, formules math´ematiques, logique, etc. Il doit id´ealement ˆetre suffisamment complet pour permettre la reproduction du mod`ele par d’autres chercheurs [Edmonds et Hales, 2003]. Quel que soit le formalisme utilis´e, il subsiste toujours une ambiguit´e sur l’impl´ementation, qui faute d’ˆetre supprim´ee doit ˆetre minimis´ee [Amblard et al., 2006].

2.3.4 Impl´ementation et v´erification

Dans le cas des mod`eles computationnels, le mod`ele conceptuel est impl´ement´e, c’est-`a-dire traduit en programme informatique. L’utilisation de langages orient´es objet (Java, C++) est particuli`erement pertinente pour impl´ementer un mod`ele multi-agents. Les classes permettent de d´efinir les cat´egories d’entit´es existant dans le monde artifi- ciel. Chaque classe est ensuite instanci´ee sous la forme d’un objet. Il existe une forte parent´e entre le concept d’objet en g´enie logiciel et le concept d’agent en syst`emes multi-agents. En particulier, la visibilit´e priv´ee ou publique des attributs et fonctions d’une classe permet de respecter la notion d’autonomie propre aux agents : on ne peut interagir que de fa¸con limit´ee avec un objet, en fonction de ce qui a ´et´e rendu publique, et l’objet conserve la pleine responsabilit´e du traitement de ces demandes. D’autres avantages des langages objets s’av`erent pr´ecieux, notamment leur lisibilit´e, leur main- tenabilit´e et leur r´eutilisabilit´e.

Le d´eveloppement des outils d’observation du mod`ele (graphes, statistiques...) consti- tue une part importante de l’impl´ementation. Des plateformes de mod´elisation ont ´et´e propos´ees pour r´eduire ce coˆut de d´eveloppement. Ces plateformes diff`erent par leurs apports, leurs contraintes et le public qu’elles visent.

Apr`es impl´ementation, on proc`ede `a une ´etape de v´erification qui vise `a d´eterminer qu’un programme se comporte comme d´esir´e [Law et Kelton, 1991, p. 299]. Le mod`ele conceptuel laissant toujours un certain champ `a l’interpr´etation, l’impl´ementation n´ecessite de nombreux choix, souvent b´enins en apparence, qui peuvent conduire `a des dynamiques fort diff´erentes. A titre d’exemple, l’ordre dans lequel les agents agissent impacte le r´esultat (ordonnancement). Plusieurs essais de r´e-impl´ementation du code `a partir des publications ont conduit `a des r´esultats parfois totalement diff´erents de ceux annonc´es [Edmonds et Hales, 2003]. C’est pourquoi il est recommand´e de multiplier les impl´ementations, par exemple en faisant r´e-impl´ementer le mod`ele par un coll`egue, afin de v´erifier que les choix faits pendant l’impl´ementation sont conformes au mod`ele conceptuel, et le cas ´ech´eant d’expliciter les choix d’impl´ementation possibles.

2.3.5 Exp´erimentation par la simulation

Quel que soit l’objectif de la mod´elisation, on ´etudie le comportement du mod`ele dans l’espace des param`etres [Ginot et Monod, 2006]. Faute de pouvoir d´emontrer les ´evolutions possibles et certaines du syst`eme, il est n´ecessaire de tester les diff´erentes pos- sibilit´es d’´evolution en fonction des param`etres. La d´efinition d’un plan d’exp´eriences permet d’explorer soigneusement cet espace de param`etres afin d’appr´ehender la dy- namique du mod`ele dans son ensemble. Dans le cas de mod`eles stochastiques, il est n´ecessaire d’effectuer plusieurs simulations pour un mˆeme jeu de param`etres, le nombre exact ´etant g´en´eralement d´efini de fa¸con empirique. Dans ce cas, l’exploration de l’es- pace des param`etres conduit rapidement `a des dizaines de milliers de simulations, ce qui rend l’exploration coˆuteuse en temps de calcul. D’autres ´etudes peuvent ˆetre conduites : ´etude de sensibilit´e aux param`etres, sensibilit´e aux conditions initiales, analyse d’in- certitude, stabilit´e, etc.

De mˆeme que les exp´eriences scientifiques dans leur ensemble, les exp´eriences par simulation devraient id´ealement ˆetre reproductibles [Amblard et al., 2006]. Cela permet au mod´elisateur, lorsqu’il obtient un r´esultat de simulation surprenant, d’´etudier en d´etail le comportement de chaque agent. La reproductibilit´e de l’exp´erience est garantie pour un mod`ele d´eterministe, auquel cas on peut simplement relancer la simulation avec les mˆemes param`etres. Dans le cas de syst`emes stochastiques, une simulation n’est th´eoriquement pas r´eplicable. Pourtant, l’utilisation de g´en´erateurs pseudo-al´eatoires permet de relancer une simulation, en r´eutilisant simplement la valeur d’initialisation du g´en´erateur al´eatoire (seed ).

A terme, le but de l’exp´erimentation est de r´epondre `a la question pos´ee au mod`ele, de satisfaire le but initial du mod´elisateur. Cette validation du mod`ele, comme nous allons le voir, est loin de se limiter `a une comparaison quantitative des donn´ees de simulation avec les donn´ees de terrain.