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Mod`ele ´epid´emique de la transmission d’information

part, un agent ayant une faible incertitude se laissera moins facilement convaincre, et modifiera donc moins son opinion lors d’une interaction. Ce mod`ele ´evite l’influence sociale binaire du mod`ele de bounded confidence, dans lequel l’influence cessait brutalement `a partir d’une distance donn´ee entre les opinions. Le mod`ele de Smooth Bounded Confidence subsume et affine le processus d’interaction du mod`ele de Relative Agreement. Une analyse d´etaill´ee des ph´enom`enes apparaissant dans le mod`ele, rapport´e `a diverses th´eories de sciences humaines, prouve une descriptivit´e certaine d’un mod`ele qui demeure n´eanmoins simple [Deffuant et al., 2004].

La dynamique de ces mod`eles rappellent fortement des observations qualitatives de terrain. Ainsi, une population mod´er´ee mais sans forte incertitude ne sera pas influenc´ee par la pr´esence d’extr´emistes. Par contre, une population mod´er´ee sans certitude peut ˆetre attir´ee par un extrˆeme.

Le mod`ele de Relative Agreement constitue le m´ecanisme d’apprentissage social d’un mod`ele descriptif de diffusion d’innovations (projet IMAGES [Deffuant, 2001]), et fut plus r´ecemment propos´e comme une brique fondamentale d’un mod`ele g´en´erique de diffusion d’innovations [Deffuant et al., 2005].

Apports

Les mod`eles de dynamique d’opinion ´etaient `a la base d´evelopp´es pour ´etudier les ph´enom`enes de radicalisation observ´es en psychologie sociale. Ils ont ensuite ´et´e d´eriv´es comme une composante g´en´erique d’influence sociale susceptible d’ˆetre utilis´ee dans un mod`ele de diffusion d’innovations. L’influence sociale repr´esent´ee dans ces mod`eles, tout comme dans les mod`eles `a seuil, peut ˆetre per¸cue comme `a la fois informationnelle et normative. L’information est stylis´ee comme une valeur continue, qui pourrait ˆetre vue comme une attitude envers l’innovation ou comme une ´evaluation sociale de cette innovation (c’est d’ailleurs `a ce titre que l’opinion est utilis´ee dans les mod`eles de diffusion d’innovation). La prise en compte de l’incertitude sur l’information correspond `

a un ´el´ement important identifi´e en diffusion d’innovations.

4.3

Mod`ele ´epid´emique de la transmission d’information

4.3.1 L’information comme une ´epid´emie

L’approche ´epid´emique est g´en´eralement utilis´ee pour d´ecrire la transmission d’information `a propos d’innovations [Geroski, 2000], et plus g´en´eralement la transmission d’information en g´en´eral (qu’il s’agisse explicitement de bouche `a oreille [Goldenberg et al., 2001], de rumeurs [Nekovee et al., 2007] ou plus g´en´eralement de croyances [Lynch, 1996] ). Ce parall`ele est intuitif : il suffit d’une exposition `a une information pour devenir inform´e, et potentiellement transmettre l’information `

a quelqu’un d’autre. Les premi`eres traces acad´emiques de cette approche se retrouvent dans Nature en 1964, avec l’article “Epidemics and Rumours” de Daley

et Kendall [Daley et Kendall, 1964], compl´et´e par “Generalization of epidemic theory : an application to the transmission of ideas” de Goffman et Newill [Goffman et Newill, 1964]. Les questions pos´ees en mod´elisation des ´epid´emies concernent les conditions de pand´emie (“A partir de quel seuil de contagion une maladie va-t-elle devenir une pand´emie ?”) et les moyens pour contenir l’´epid´emie (“Combien de personnes vacciner pour limiter l’´epid´emie, et lesquelles ?”). Appliqu´ee `

a la transmission d’information, l’approche est inverse : on cherche plutˆot `a maximiser la population touch´ee par une information.

En consid´erant la transmission d’information comme un processus ´epid´emique, on b´en´eficie des analyses existantes, qu’elles soient analytiques ([Bailey, 1957][Bailey, 1975] ou par simulation [Hethcote, 2000] [Boccaletti et al., 2006]). Le mod`ele d’´epidemie le plus simple, nomm´e SIR, fut propos´e dans les ann´ees 1920 par Lowell Reed and Wade Hampton (non publi´e). Le mod`ele SIR suppose que chaque individu peut ˆetre dans l’un des ´etats Susceptible (S), Infected and Infectious (contamin´e et contagieux) (I) ou Removed (R) (ou Recovered, ou encore refractory). L’´etat Removed, dans le cas d’une ´epid´emie, signifie que l’individu est soit gu´eri et immunis´e, soit d´ec´ed´e ; dans les deux cas, il devient inactif dans le syst`eme, ´etant incapable de contaminer `a nouveau ou d’ˆetre contamin´e. Les seules transitions possibles entre ´etats sont S → I et I → R. Assimil´es `a l’information, S correspond `a l’´etat unaware, I `a un individu aware et transmettant de l’information, et R un individu qui poss`ede toujours l’information, mais ne la transmet plus. A chaque pas de temps, les individus infectieux ont en moyenne β contacts choisis al´eatoirement dans toute la population. Les individus contagieux (I) se r´etablissent et acqui`erent l’immunit´e (ou p´erissent) `a un taux γ par pas de temps. On peut d´ecomposer la population en trois “compartiments” (cat´egories) : S(t) repr´esente le nombre d’individus en ´etat S au temps t, I(t) le nombre d’individus contagieux et R(t) le nombre d’individus en ´etat R. L’ensemble de la population de taille N est couvert par ces compartiments : S(t) + I(t) + R(t) = N . Si un individu susceptible rencontre al´eatoirement un individu contagieux, il devient lui-mˆeme contamin´e. Le nombre de rencontres d’un individu susceptible avec un individu infectieux par pas de temps est βI(t)/N . Par cons´equent, le nombre d’individus susceptibles qui seront contamin´es `a chaque pas de temps est βS(t)I(t)/N .

On peut d´eriver de ces formules un seuil ´epid´emique en dessous duquel la pro- pagation reste contenue, et au dessus duquel l’´epid´emie se change en pand´emie. Vu par la physique en terme de transitions de phase, ce seuil correspond `a un point cri- tique ou masse critique [Boccaletti et al., 2006]. Concr`etement, dans un mod`ele simple comme SIR, le taux de reproduction est de 1 : si chaque personne transmet le mes- sage en moyenne `a une autre personne, l’´epid´emie se propagera `a toute la population. Cette notion de masse critique est particuli`erement int´eressante pour le mix marketing ([Goldenberg et al., 2000]), puisqu’elle laisse entendre qu’en touchant un nombre suf- fisant de personnes, on obtient `a coup sˆur une excellente connaissance de l’innovation dans la population. On peut ´egalement calculer le temps de propagation de l’´epid´emie (voir [Boccaletti et al., 2006] pour une tr`es bonne description de l’analyse formelle)..

4.3. MOD `ELE ´EPID ´EMIQUE DE LA TRANSMISSION D’INFORMATION 75 Il apparaˆıt clairement de cette formalisation qu’`a mesure que le nombre d’individus contamin´es augmente, les possibilit´es de contagion augmentent ´egalement, conduisant `

a une croissance exponentielle des individus contamin´es. Toutefois, apr`es un certain temps (lorsque la moiti´e de la population est contamin´ee), le nombre d’individus en ´etat susceptible se r´eduit, et les rencontres al´eatoires ont moins de chance de mener `a la contagion d’un nouvel individu. Ce m´ecanisme, `a lui seul, g´en`ere donc une courbe cumul´ee d’individus contamin´es en forme de “S”. Cette courbe de connaissance ne peut pas ˆetre assimil´ee directement `a l’adoption [Geroski, 2000], puisque le temps entre la connaissance et l’adoption est connu pour ˆetre cons´equent, et varie entre les indivi- dus. Ce mod`ele est donc g´en´eralement utilis´e comme une “brique” de transmission d’information, `a laquelle est ajout´e un m´ecanisme d’adoption.

4.3.2 Epid´emies sur r´eseau

Si le mod`ele pr´ec´edent supposait que les rencontres peuvent apparaˆıtre al´eaoirement dans la population, on sait que les rencontres se produisent g´en´eralement entre les mˆemes individus, selon des structures donn´ees [Wasserman et Faust, 1994a]. Diff´erents mod`eles ont ´et´e construits pour analyser ces effets de r´eseau, d’abord en distinguant plu- sieurs groupes d’individus (par ex. [Ball et al., 1997]), puis en utilisant des g´en´erateurs reproduisants des propri´et´es statistiques observ´ees sur des r´eseaux sociaux. Dans ce cas, les individus ne se rencontrent que s’il existe un lien entre eux. La plupart du temps, l’interaction sur un lien est suppos´ee syst´ematique : `a chaque pas de temps, les agents li´es se rencontrent.

Diff´erentes ´etudes par simulation ont donc ´et´e men´ees sur des r´eseaux small-world [Moore et Newman, 2000] [Newman, 2002] et scale-free [Pastor-Satorras et Vespignani, 2001] [Zanette, 2002]. Sans surprise, les simulations r´ev`elent des dynamiques sensiblement diff´erentes sur des r´eseaux. La premi`ere diff´erence est le temps de diffusion d’une ´epid´emie dans la population, qui est influenc´e par la distance moyenne qui s´epare les individus sur le r´eseau. Par ailleurs, quand on positionne les individus sur un r´eseau, il apparaˆıt une forme d’h´et´erog´en´eit´e des agents par leur position sur ce r´eseau. Dans le cas d’un r´eseau small-world, un individu peut ˆetre reli´e uniquement `a sa clique, ou jouer le rˆole de connecteur entre deux cliques. Ce dernier a un impact plus important, puisqu’il pourra transmettre de l’information en dehors de sa clique. De mˆeme, dans un r´eseau scale-free, un individu fortement connect´e peut contaminer un plus grand nombre de personnes. Ces individus `a la connectivit´e plus ´elev´ee ou plus vari´ee doivent ˆetre les premiers `a ˆetre vaccin´es dans le cas d’´epid´emies, ou les premiers inform´es pour maximiser la transmission d’information. Un ciblage des individus dont la connectivit´e est la plus diverse est donc plus efficace en marketing.

D’un point de vue analytique, la recherche du seuil ´epid´emique devient un probl`eme de percolation [Goldenberg et al., 2000], c’est-`a-dire de l’existence d’un chemin menant `a la contagion dans le graphe social. Les ´etudes par simulation, ou analytiques [Ganesh et al., 2005] [Newman, 2002], montrent que le seuil ´epid´emique d´epend

non seulement des param`etres de contagion eux-mˆeme, mais aussi des propri´et´es statistiques du r´eseau utilis´e.

4.3.3 Pertinence de l’approche ´epid´emique pour le bouche `a oreille

Le mod`ele ´epid´emique correspond `a une perception intuitive de la propagation d’in- formation, tout en se rattachant `a une classe de ph´enom`enes ´epid´emiques bien ´etudi´es. Ces mod`eles ont permit de d´emontrer des ph´enom`enes qualitatifs int´eressants pour am´eliorer les campagnes de communication. Toutefois, on peut s’interroger sur la vrai- semblance de la m´etaphore ´epid´emique pour la transmission d’information `a propos d’innovations. Il s’agit `a l’´evidence de mod`eles analogiques, qui visent `a obtenir une connaissance qualitative sur la dynamique sans ˆetre mis en correspondance avec la r´ealit´e. Afin que cette connaissance ait un sens, il semble indispensable de s’interroger sur la plausibilit´e des processus d´ecrits par rapport au ph´enom`ene r´eel. Or, la vrai- semblance de l’approche ´epid´emique pour la repr´esentation du bouche `a oreille semble discutable sur plusieurs points.

interaction syst´ematique vs. motiv´ee

Dans les mod`eles actuels, un lien repr´esente une interaction syst´ematique des individus `a chaque pas de temps. Or, comme nous l’avons vu, les liens entre individus d’une mˆeme clique semblent ˆetre plus fr´equents que les liens entre cliques [Wasserman et Faust, 1994a]. On peut alors utiliser les liens du graphe social pour d´ecrire une probabilit´e plus ou moins importante d’interaction entre les individus [Ball et al., 1997] [Ganesh et al., 2005].

Toutefois, mˆeme al´eatoire, cette interaction n’est pas motiv´ee. Or, on sait que les individus communiquent sur un produit en fonction de leur int´erˆet pour ce produit - curiosit´e, satisfaction ou dissatisfaction. De fa¸con plus g´en´erale, il est difficile d’imaginer que les individus d’un r´eseau soient tous int´eress´es par une information. Lors de simu- lations tenant compte des centres d’int´erˆets diff´erents des individus, [Wu et al., 2004] a prouv´e que l’´epid´emie a une taille finie et tr`es limit´ee. De plus, lorsque deux individus se rencontrent, ils discutent d’un nombre limit´e de sujets. L’´etude de terrain de Carl [Carl, 2006b] indique approximativement que seul un tiers des conversations portent sur des produits. Parmis tous ces produits, seule une innovation est ´etudi´ee dans la simulation. Supposer qu’une innovation devient un sujet de conversation int´eressant pour tous les sujets, qui sera transmit par chacun deux, est donc irr´ealiste.

cr´edibilit´e de l’information

D’autres param`etres peuvent jouer un rˆole pendant la communication. Si l’on vous recommande un produit, le recommanderez-vous syst´ematiquement ? En interrogeant des sujets sur les raisons pour lesquelles ils ont parl´e ou non d’un produit, plusieurs nous ont expliqu´e qu’ils ne transmettraient pas une information qu’ils n’ont pas v´erifi´ee. En effet, il faut bien distinguer la propagation d’une rumeur, ou de l’existence d’un produit, d’une recommandation. En transmettant une recommandation, un sujet met en jeu sa

4.3. MOD `ELE ´EPID ´EMIQUE DE LA TRANSMISSION D’INFORMATION 77 propre cr´edibilit´e, et souhaite orienter au mieux le choix de son interlocteur. Il est donc peu probable qu’il transmette syst´ematiquement une information re¸cue de fa¸con indirecte. R´eciproquement, l’interlocuteur attend une argumentation qui supporte la recommandation. En observant des ´evaluations de produits mises `a disposition sur des sites Internet, on constate que les consommateurs s’appuient fr´equemment sur leur bonne connaissance du produit, sous la forme “je poss`ede depuis trois mois le produit, je peux donc dire que...”. La cr´edibilit´e de l’information joue donc un rˆole `a la fois dans la transmission du message et son acceptation par le r´ecepteur. En tenant compte d’une proportion, mˆeme partielle, des individus qui ne transmettent que des informations jug´ees suffisamment vraisemblables, on peut supposer que l’´epid´emie d’information devient tr`es limit´ee.

transmission d’information vs. recherche d’information

Dans un mod`ele ´epid´emique, l’information est binaire : on sait ou on ne sait pas. Sur une telle base, il est impossible de repr´esenter la recherche d’information. Or, nous avons vu que les individus re¸coivent d’abord une information limit´ee, puis recherchent de l’information aupr`es de leurs relations. En reprenant la notation SIR, il apparait qu’un individu en ´etat R qui n’est plus contagieux (qui ne transmet plus d’information) mais qui poss`ede n´eanmoins cette information, peut ˆetre questionn´e et avoir une influence sur la dynamique. On peut donc supposer - ce qui nous v´erifierons plus loin par simulation (p. 7.2.3) - que la repr´esentation de la recherche d’information modifiera la transmission d’information de fa¸con notable.

information binaire vs. compr´ehension et persuasion

Comme le note Geroski en discutant l’approche ´epid´emique [Geroski, 2000], il existe une grande diff´erence entre recevoir une information, la comprendre, et ˆetre persuad´e par cette information. L’awareness ne conduit pas seule `a l’adoption. Mˆeme si on limite l’utilisation du mod`ele ´epid´emique `a la transmission d’information, sa descriptivit´e est donc trop limit´ee pour supporter un m´ecanisme d’adoption plausible.

discussion

Etant donn´es ces manques de repr´esentativit´e, la m´etaphore ´epid´emique pour repr´esenter la diffusion d’information doit donc ˆetre consid´er´ee avec prudence. La nature des interactions semble plausible pour mod´eliser des rumeurs (au sens faible, puisqu’il n’y a pas ici introduction d’hypoth`ese priv´ees) ou la transmission de l’existence d’une innovation. Par contre, dans le bouche `a oreille, la communication peut ˆetre recherch´ee, est motiv´ee, et tient compte de la cr´edibilit´e des informations. L’approche ´epid´emique ne peut donc pas ˆetre consid´er´ee comme un mod`ele plausible du bouche `a oreille. En tant que tel, le mod`ele ´epid´emique est un mod`ele analogique qui a permis de mieux comprendre les dynamiques d’information, mais ne peut ˆetre rapport´e `a un cas r´eel. Geroski va plus loin dans cette critique ; pour lui, la domination du mod`ele ´epid´emique limite notre compr´ehension du ph´enom`ene r´eel et

circonscrit le champs des actions que nous pourrions entreprendre en diffusion d’innovations [Geroski, 2000].

4.3.4 Limites induites par le r´eseau social

Le r´eseau social ayant un impact important sur la dynamique (ses propri´et´es modi- fient le seuil ´epid´emique), Cointet et Roth ont pos´e la question de la vraisemblance des r´eseaux utilis´es [Cointet et Roth, 2007a]. Pourquoi utiliser des r´eseaux stylis´es g´en´er´es selon quelques propri´et´es statistiques suppos´ees connues depuis des r´eseaux r´eels ? Ils proposent d’utiliser des r´eseaux r´eels, qui conduisent effectivement `a des dynamiques diff´erentes [Cointet et Roth, 2007b]. Ces travaux mettent en ´evidence l’importance du r´ealisme du r´eseau pour l’´etude de cas de diffusion r´eels ; ils rejoignent le constat de Rogers sur le manque de connaissance sur les r´eseaux qui supportent l’interaction. Faute de plus d’information sur la structure des r´eseaux r´eels, il est inutile de calculer des seuils d’´epid´emie pr´ecis, qui ne pourront pas ˆetre rapport´es `a des probl´ematiques r´eelles.