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Le processus de la mesure dans la description classique du monde

Possible, actuel et événement selon le réalisme scientifique

Thèse 4 : Les théories acceptées par la communauté des scientifiques sont vraies (ou

2. La détermination concrète des probabilités 3 Le statut des probabilités

1.2.5 Le processus de la mesure dans la description classique du monde

De quelle manière l’expérience nous donne-t-elle accès à ce qui est actuel dans le monde ? Suivant la description classique, il est possible de connaître la valeur actuelle d’une grandeur physique – constante ou variable – associée à un système en effectuant une mesure appropriée. Le processus de la mesure est un processus physique qui se base sur l’interaction entre un appareil de mesure et le système étudié (ou système). Cette interaction possède la particularité de produire un résultat. Ce résultat est indiqué, par exemple, par la position de l’aiguille sur le cadran de l’appareil de mesure. Sur le cadran figure une échelle graduée à laquelle est associée une certaine unité2. La position de l’aiguille sur l’échelle graduée permet d’assigner une valeur numérique à la grandeur physique mesurée3.

1. Cf. infra, Section 3.3.

2. Cette échelle graduée est fixée par une procédure d’« étalonnage ». L’étalonnage consiste à établir une relation entre la position de l’aiguille indicatrice et la valeur de la grandeur physique à mesurer, et ce, en effectuant deux mesures sur des systèmes pour lesquels on connaît déjà la valeur de la grandeur physique en question.

3. Christian Gruber écrit à ce sujet que « l’appareil établit une correspondance entre la valeur de [la grandeur physique mesurée] et la position d’une aiguille ; l’unité définit une échelle graduée sur le cadran » (Gruber, C., Mécanique générale, op. cit., p. 23).

Dans la pratique, il existe toujours une certaine « erreur expérimentale »1 qui impose une limitation à la précision de la mesure. Cette erreur est liée aux imperfections du dispositif expérimental. L’appareil de mesure peut notamment générer un « bruit de fond », qui altère la précision du résultat. L’erreur expérimentale est fonction de l’état d’avancement des techniques et des savoir-faire2. Suivant la description classique, elle peut être rendue arbitrairement petite. « Il est possible, écrit Christian Gruber, de mesurer les grandeurs avec l’exactitude que l’on désire, c’est uniquement un problème de technologie »3.

Qu’il y ait une « interaction » entre l’appareil et le système signifie qu’ils exercent une action l’un sur l’autre. Par son action sur l’appareil, le système transmet l’information relative à la valeur actuelle de la grandeur physique mesurée. Quant à l’action de l’appareil sur le système, elle est considérée comme perturbatrice, puisqu’elle peut modifier la valeur actuelle de la grandeur physique mesurée. À ce propos, Marcelo Alonso et Edward Finn donnent l’exemple suivant :

Quand nous mesurons la température d’un corps, nous le mettons en contact avec un thermomètre. Cependant, une fois mis ensemble, il s’échange une certaine énergie ou « chaleur » entre le corps et le thermomètre : il en résulte un léger changement de température du corps, et par suite une modification de la quantité que nous voulons mesurer4.

Lorsque le système étudié est macroscopique, l’appareil peut être construit de sorte que son action perturbatrice soit négligeable vis-à-vis de l’erreur expérimentale. En revanche, lorsque la mesure porte sur un système microscopique, l’action perturbatrice de l’appareil est de l’ordre de grandeur de l’action du système. Elle ne peut, dans ce cas, être considérée comme négligeable. Toutefois, en droit, il existe la possibilité de soustraire par le calcul l’effet de l’appareil, et de déterminer par ce moyen la valeur actuelle de la grandeur physique mesurée. En d’autres termes, il est possible de distinguer, dans le résultat obtenu, la contribution de l’appareil et celle du système.

1. Cf. par exemple : Alonso, M. et Finn, E., Physique générale, op. cit., p. 16.

2. Pour pallier à l’imprécision du résultat, on peut faire appel à des procédures expérimentales et à des techniques de « traitement des données ». Il s’agit, par exemple, d’effectuer des « expériences de contrôle » pour estimer le bruit et le soustraire par le calcul, ou de répéter un grand nombre de fois la même expérience et d’effectuer un calcul statistique. À ce sujet, cf. infra, Sous-Section 4.3.8.

3. Gruber, C., Mécanique générale, op. cit., p. 2.

Par conséquent, quelle que soit la dimension du système étudié, la mesure d’une grandeur physique sur ce système est fidèle, c’est-à-dire révèle la valeur actuelle que possédait cette grandeur physique immédiatement avant la mesure.

Ces précisions concernant le processus de la mesure dans la description classique sont celles que l’on trouve aujourd’hui dans les manuels de mécanique classique. L’attention portée sur la manière dont se déroule ce processus de la mesure était probablement moins grande avant l’élaboration de la mécanique quantique, c’est-à-dire avant les années 1920. Ce n’est que rétrospectivement, après avoir pris conscience des problèmes liés au processus de la mesure en mécanique quantique1, que les physiciens ont explicité les hypothèses relatives au processus de la mesure dans la description classique. Tel est le cas, en particulier, de la dernière hypothèse qu’il nous faut maintenant mentionner.

Dans le cadre de la description classique, il est supposé possible, en principe, de réaliser

simultanément, et avec une précision arbitrairement grande, la mesure de toutes les grandeurs

physiques sur un même système. Il est possible, par exemple, de mesurer simultanément la position et la quantité de mouvement2. Les seules difficultés que peuvent éventuellement rencontrer les physiciens, dont l’intention est de réaliser simultanément la mesure de plusieurs grandeurs physiques, sont d’ordre technique. Mais ces difficultés techniques ne sont pas insurmontables. En théorie, la mesure d’une certaine grandeur physique sur un système n’impose aucune limitation à la mesure simultanée d’une autre grandeur physique sur le même système.

En bref, suivant la description classique :

(i) la mesure d’une grandeur physique sur un système révèle la valeur actuelle que possédait cette grandeur physique immédiatement avant la mesure,

(ii) elle peut être réalisée avec une précision arbitrairement grande, et

(iii) il est possible d’effectuer simultanément, et avec une précision arbitrairement grande, la mesure de toutes les grandeurs physiques sur le même système.

1. Cf. infra, Chapitre 2.

2. Nous verrons que cela est impossible dans le cadre de la mécanique quantique (cf. infra, Sous-Sections 2.2.1 et 2.2.2).

Il existe aujourd’hui une théorie axiomatisée de la mesure1. Comme le remarque Brigitte Falkenburg, cette théorie fournit un cadre mathématique très précis, mais demeure « neutre » sur le plan métaphysique2. La description du processus de la mesure que nous venons de présenter, quant à elle, repose sur un ensemble d’hypothèses d’ordre métaphysique. En particulier, il est supposé que la grandeur physique mesurée représente une propriété qui appartient en propre au système étudié. Une telle hypothèse n’apparaît acceptable que si l’on adhère au réalisme scientifique ou à une position similaire. Par la suite, nous verrons qu’en mécanique quantique, une description réaliste de la mesure s’avère très problématique.