• Aucun résultat trouvé

La notion d’événement dans la philosophie analytique

Possible, actuel et événement selon le réalisme scientifique

Thèse 4 : Les théories acceptées par la communauté des scientifiques sont vraies (ou

2. La détermination concrète des probabilités 3 Le statut des probabilités

1.4 Ontologies basées sur l’analyse du langage de la vie quotidienne

1.4.4 La notion d’événement dans la philosophie analytique

La série d’articles portant sur la notion d’événement que Davidson a publié dans les années 1960-19702, est à l’origine d’un vaste débat dans le courant de la philosophie analytique3. Les protagonistes de ce débat se situent, pour la plupart d’entre eux, dans une perspective réaliste4. La question qui se pose à eux est la suivante : « Les événements font-ils partie de l’ameublement du monde ? ». Et si oui : « Comment faut-il concevoir ces événements ? ».

Terence Horgan est de ceux qui estiment qu’« il n’existe pas de raison théorique réelle pour postuler l’existence des événements »5. Cet auteur prend l’exact contre-pied des arguments de Davidson en faveur de la thèse de l’existence des événements. Il s’efforce de montrer, par exemple, que les phrases faisant explicitement référence à des événements – telles que les phrases d’action – peuvent être paraphrasées par des propositions ne faisant plus référence à des événements.

Mais nombreux sont les auteurs, dans ce débat, qui ne doutent pas de l’existence des événements, et qui accordent du crédit à l’analyse davidsonienne des phrases d’action6.

1. Engel, P., Davidson et la philosophie du langage, Paris : PUF, 1994, p. 248. 2. Articles regroupés in : Davidson, Actions et événements, tr. fr., op. cit..

3. Cf. la bibliographie commentée de Casati et Achille, longue de 402 pages, entièrement consacrée à la notion d’événement (Casati, R. and Varzi, A., Fifty Years of Events: An Annotated Bibliography, 1947 to 1997, Bowling Green (USA): Bowling Green State University, 1997).

4. Comme l’écrit Rossi, il est question ici d’une « philosophie se confrontant sans cesse aux catégories du discours pour mettre à l’épreuve, éclairer ou même réviser le discours sur l’être » (Rossi, J.-G., Le problème

ontologique dans la philosophie analytique, op. cit., p. 10). C’est pourquoi, il est justifié selon lui de parler

d’une « ontologie analytique » (ibid., p. 8).

5. Horgan, T., “The Case Against Events”, The Philosophical Review 87 (1978), 28-47.

6. Ce faisant, ils admettent, comme Davidson, que les actions sont des événements. Signalons que cette hypothèse a été remise en question par Kent Bach, pour qui une action correspond à l’instanciation d’une relation « de faire survenir » entre un agent et un événement (Bach, K., “Actions are not Events”, Mind 89 (1980), 114-120).

Précisons que généralement ces auteurs tiennent la distinction de Ramsey entre fait et événement pour acquise. Une fois admis que les événements existent, la question devient : « Comment faut-il concevoir les événements ? ». Et cette question en soulève immédiatement d’autres, plus précises : « Quel est le lien entre les événements et les objets matériels ? », « Quels rapports les événements entretiennent-ils avec l’espace et le temps ? » et « Les événements correspondent-ils à des entités particulières ou universelles ? ». De multitudes réponses à ces questions ont été proposées par les philosophes analytiques réalistes (cf. infra, Annexe A, Section 1). Indiquons que d’autres questions plus spécifiques sont également abordées : « Les événements sont-ils bien localisés dans l’espace ? », « Les termes "événement" et "processus" désignent-t-ils deux catégories distinctes ? », ou encore « Les événements correspondent-ils à des changements ? » (cf. idem). Enfin, mentionnons une question qui est traitée par la plupart de ces philosophes analytiques : « Quels sont les critères qui permettent d’identifier un événement ? ». Là encore, les tentatives de réponse sont multiples (cf. infra, Annexe A, Section 2).

À première vue, ces philosophes analytiques, qui plaident en faveur d’une ontologie d’événements, semblent être en résonance avec Whitehead et Russell. Cependant, les événements auxquels Whitehead et Russell font référence sont ceux que décrit la théorie de la relativité, ce sont des événements physiques. Les philosophes analytiques dont nous venons de mentionner les conceptions, quant à eux, se penchent plus généralement sur les événements de

la vie quotidienne. Il est question, pour eux, de cérémonies, de morts, d’explosions, etc.

En général, la démarche des philosophes analytiques réalistes ne consiste pas à rechercher ce qu’ils appellent la « vérité »1 dans les seules affirmations de la physique. Leur position philosophique ne peut donc être assimilée au réalisme scientifique. Ils estiment que nos croyances communes sur le monde, pour la plupart d’entres elles, sont vraies, et que c’est l’existence de certaines entités qui les rendent vraies. Ils se donnent alors pour tâche d’identifier ces entités. C’est dans cette perspective qu’ils consacrent une partie de leur travail à déterminer le statut des événements de la vie quotidienne. En ce sens, Lombard soutient que nombre de philosophes analytiques – lui y compris – font de la « métaphysique » ; ils ont pour ambition d’« expliquer comment il est possible que nos croyances soient, dans l’ensemble, vraies »2. Il ajoute : « il semble clair qu’une grande partie de ces croyances sont telles qu’elles

1. Terme qu’ils entendent en un sens réaliste (cf. supra, Sous-Section 1.2.1).

2. Lombard, L., Events in Metaphysical Study, London: Routledge & Kegan Paul, 1986, p. 2. Cf. aussi : ibid., p. 22.

ne seraient pas vraies si certains objets n’existaient pas »1. Autrement dit, ces philosophes analytiques nous proposent une « métaphysique du langage quotidien », pour reprendre l’expression de Jean-Luc Petit2, par opposition à une métaphysique qui prendrait les théories physiques pour point de départ.

Signalons que de nombreux philosophes analytiques en faveur d’une ontologie d’événements attribuent de manière concomitante une place toute aussi fondamentale – voire plus fondamentale – aux objets matériels (cf. infra, Annexe A, Section 1). À travers les phrases de la vie quotidienne, il est fait référence aussi bien à des événements, tels que des éclairs ou des mariages, qu’à des objets matériels, tels que des tables ou des maisons. Par suite, ces philosophes analytiques n’endossent pas le point de vue réductionniste de Whitehead et de Russell. Ils n’envisagent nullement les objets matériels comme des abstractions dérivées des seules entités fondamentales que seraient les événements physiques.

Pour autant, l’ontologie que défendent les philosophes analytiques réalistes est-elle en conflit avec la théorie de la relativité ? Les physiciens, lorsqu’ils ont recours à la théorie de la relativité dans leur activité de recherche, traitent les événements physiques et les objets matériels sur un même pied d’égalité. Peu d’entre eux sont prêts à concéder que cette théorie nous impose de penser les objets matériels, tels que les électrons ou les planètes, comme des

fictions construites à partir d’une association d’événements physiques. Il s’avère que la

théorie de la relativité n’exclut nullement l’hypothèse de l’existence des objets matériels. L’interprétation réductionniste de Whitehead et Russell correspond à une interprétation réaliste possible de la théorie de la relativité, mais non la seule. D’ailleurs, si Russell écarte l’hypothèse de l’existence des objets matériels, ce n’est qu’au nom du principe d’économie3. Il soutient non pas que cette hypothèse est rejetée par la théorie de la relativité, mais qu’elle est inutile pour rendre compte de l’expérience.

Par conséquent, la thèse de l’existence des événements et des objets matériels – défendue par les philosophes analytiques réalistes sur la seule base de l’analyse logique du langage de la vie quotidienne – n’est pas en contradiction avec la théorie de la relativité. La métaphysique du langage quotidien peut s’accorder avec une certaine lecture de la théorie de

1. Ibid., p. 2. On retrouve le même type de raisonnement in : Faye, J., Scheffler, U. and Urchs, M. (eds.),

Things, Facts and Events, Amsterdam, Atlanta: Rodopi, 2000, p. 4.

2. Petit, J.-L, « La constitution de l’événement social », in : Petit, J.-L (éd.), L’événement en perspective, Paris : Édition de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1991, p. 24.

la relativité, moins radicale que celle de Whitehead et Russell, moins économique d’un point de vue logique, mais davantage en phase avec l’engagement ontologique des physiciens dans leur pratique.

Nous verrons aux deux prochains chapitres qu’une grande partie des partisans d’une interprétation réaliste de la mécanique quantique sont, eux aussi, favorables à une telle ontologie mixte, incluant les événements et les objets matériels comme entités fondamentales.

1.3 Objections à l’encontre d’une ontologie d’événements