• Aucun résultat trouvé

L’ordre causal des événements physiques suivant la théorie de la relativité

Possible, actuel et événement selon le réalisme scientifique

Thèse 4 : Les théories acceptées par la communauté des scientifiques sont vraies (ou

2. La détermination concrète des probabilités 3 Le statut des probabilités

1.3 Vers une ontologie d’événements

1.3.1 L’ordre causal des événements physiques suivant la théorie de la relativité

On présente souvent la théorie de la relativité – restreinte et générale – comme une théorie

« révolutionnaire ». Pour autant, cette théorie a-t-elle bouleversé la description classique du monde dérivée de la mécanique classique ? Il s’avère en fait que la théorie de la relativité, lorsqu’elle est considérée dans une perspective réaliste, permet d’affiner la description

classique du monde. Comme le souligne de Broglie, « malgré le caractère si nouveau et presque si révolutionnaire des conceptions einsteiniennes, […] la théorie de la relativité est en quelque sorte le couronnement de la physique classique »1. Partageant la même opinion, Bohr écrit que « la théorie de la relativité répond particulièrement bien à l’idéal classique d’unité et de connexion causale dans la description des phénomènes »2. Il précise qu’avec cette théorie, on « conserve encore rigoureusement l’idée de la réalité objective des phénomènes qui font l’objet de nos observations »3. À l’instar de la mécanique classique, la théorie de la relativité se prête plutôt bien à une interprétation conforme aux thèses du réalisme scientifique4. Pour cette raison, il est possible de tenir compte de cette nouvelle théorie pour prolonger la description classique du monde.

D’après la théorie de la relativité, les événements physiques surviennent, non pas dans un espace et un temps tous deux absolus, comme on le supposait en mécanique classique, mais dans un cadre appelé « espace-temps », qui lui seul peut être considéré comme absolu. Indiquons que la théorie de la relativité restreinte a été proposée par Einstein dans le dessein

d’unifier la mécanique classique et l’électrodynamique classique5. L’incompatibilité initiale entre ces deux théories tient au fait que les équations de l’électrodynamique classique – les équations de Maxwell – ne sont pas invariantes sous les transformations de Galilée, c’est-à-

1. De Broglie, L., La physique nouvelle et les quanta, op. cit., p. 105.

2. Bohr, N., La théorie atomique et la description des phénomènes, op. cit., p. 92. 3. Idem.

4. Signalons toutefois qu’une interprétation réaliste de cette théorie soulève un certain nombre de difficultés (cf. notamment les critiques de Poincaré). Il faut ajouter que des interprétations anti-réalistes de la théorie de la relativité sont également possibles (interprétations kantienne, pragmatiste, etc.).

5. Pour une présentation simple de cette théorie par Einstein, cf. : Einstein, A., La théorie de la relativité

restreinte et générale, tr. fr., Paris : Gauthier-Villars, 1969. Cf. aussi : Gruber, C., Mécanique générale, op. cit., Chap. 21. À propos de la démarche d’Einstein, cf. : Paty, M., Einstein, Paris : Les Belles Lettres, 1997,

dire les transformations de la mécanique classique entre deux référentiels en translation uniforme l’un par rapport à l’autre1. Partant du postulat selon lequel la vitesse de la lumière dans le vide est une constante universelle – postulat corroboré par l’expérience –, Einstein a pu dériver de nouvelles transformations : les transformations de Lorentz qui laissent les

équations de Maxwell invariantes2. Ces transformations font apparaître l’intrication des paramètres liés à l’espace et du paramètre lié au temps. Plus précisément, suivant la nouvelle théorie, les distances et les intervalles de temps ne sont plus invariants, mais relatifs à un référentiel particulier. Il n’est plus question d’un temps absolu, valable pour tout référentiel, mais uniquement d’un temps propre associé à chaque référentiel – un temps mesuré par les

allers-retours de la lumière qui chemine entre deux miroirs disposés à une distance fixe dans le référentiel considéré3. Dans la théorie de la relativité restreinte, la paramétrisation des événements physiques est telle que la notion de « simultanéité » devient elle aussi relative à chaque référentiel : si deux événements physiques eA et eB sont simultanés dans un certain

référentiel (cf. Figure 1.1), ils ne le sont pas dans un autre référentiel ; ils se succèdent alors

(cf. Figure 1.2)4. De plus, d’un référentiel à un autre, l’ordre de la succession entre eA et eB

peut être inversé (comparer Figure 1.2.a et Figure 1.2.b).

Figure 1.1 Représentation de deux événements physiques eA et eB dans l’« espace

de Minkowski », où x est l’espace à 1 dimension et ct la vitesse de la lumière

multipliée par le temps. Le repère Oxct caractérise un certain référentiel noté

R

. Dans ce référentiel, eA et eB sont simultanés, ils surviennent au même instant t1.

1. Pour l’expression mathématique des transformations de Galilée, cf. : Gruber, C., Mécanique générale, op.

cit., pp. 204-205.

2. Pour la dérivation et l’expression mathématique des transformations de Lorentz, cf. : ibid., pp. 520-525. 3. Ibid., p. 518.

4. Pour des précisions formelles, cf. : ibid., p. 528.

x ct ct1 eB eA O

Figure 1.2 Les repères O′x′ct′ et O″x″ct″ caractérisent deux référentiels

R

′ et

R

″ en translation uniforme par rapport à R (avec comme vitesse de translation u′ et u″ resp.). Les angles θ′ et θ′′ sont définis par

c u′ ≡ ′ θ tan et c u′′ ≡ ′′ θ tan . Nous voyons que eA et eB, qui sont simultanés dans

R

, ne le sont plus dans

R

′ ou

R

″.

Nous voyons, en outre, que l’ordre de la succession de eA et eB est inversé entre

R

et

R

″.

De prime abord, la théorie de la relativité restreinte introduit une certaine complexité dans la description de la structure du monde. Cependant, les transformations de Lorentz impliquent également que la vitesse de la lumière correspond à la vitesse maximale de la propagation d’une action – ce qui jusqu’à présent a été confirmé par l’expérience. Cette limitation impose un ordre causal aux événements physiques qui composent le monde, et corrélativement un

ordre de succession absolu. À ce propos Henry Mehlberg écrit :

Un événement qui précède un autre événement dans un certain système de référence, et qui est sa cause, le précède dans chaque système de référence admissible. Et vice versa : si un événement précède un autre événement dans chaque système de référence admissible, la relation causale entre eux devient possible. Par conséquent, la relation de succession invariante coïncide avec la relation causale1.

1. Mehlberg, H., Time, Causality, and the Quantum Theory, Vol. 1: “Essay on the Causal Theory of Time”, Dordrecht, Boston, London : Reidel, 1980, p. 91. Il est à signaler que plusieurs axiomatisations de la théorie de la relativité restreinte ont été proposées dans le but, notamment, de clarifier le lien entre l’ordre temporel et l’ordre causal des événements physiques. Évoquons en particulier l’axiomatisation d’Alfred Robb et celle de Rudolf Carnap (à ce sujet, cf. : ibid., Chap. 4).

xct eB O x ct eA ct2 x ct2 (a) θ ′ θ ′ ct1 (b) O′′ ct eB x ct eA ct1 θ ″ θ ″

Comment plus précisément détermine-t-on l’ordre causal et temporel des événements physiques suivant la théorie de la relativité restreinte ? Soit x la distance et t l’intervalle de

temps qui séparent deux événements physiques eA et eB dans un certain référentiel. Si ∆x est

supérieur à la distance parcourue par un rayon lumineux dans l’intervalle de temps t, cela

signifie qu’aucune action ne peut se propager entre eA et eB, autrement dit, eA et eB ne sont pas

reliés causalement et leur succession n’est pas invariante1. Par définition, e

A se trouve alors

dans la région « ailleurs » de eB, et réciproquement. En revanche, si ∆x est inférieur à la

distance parcourue par un rayon lumineux dans l’intervalle de temps t, cela signifie que eA et

eB sont reliés causalement et se succèdent dans le temps suivant un ordre identique, quelque

soit le référentiel considéré. Par définition, en fonction du signe de t, eA se trouve soit dans le

« passé », soit dans le « futur » de eB, et inversement (cf. Figure 1.3)2.

Figure 1.3 Le cône de lumière délimite l’ensemble des événements physiques qui

surviennent dans le « passé » de e0 et dans le « futur » de e0. Dans la région

« ailleurs », surviennent des événements physiques qui ne sont pas reliés causalement à e0.

1. En raison de l’absence d’ordre causal et temporel absolu entre certains événements physiques, Rémi Hakim propose d’employer l’expression « ordre partiel » (Hakim, R., Gravitation relativiste, Paris : InterÉditions, 1994, p. 58).

2. Pour des précisions formelles, cf. : Gruber, C., Mécanique générale, op. cit., pp. 528-530.

cône de lumière x ct e0 futur passé ailleurs ailleurs

Retenons ici que la théorie de la relativité – restreinte mais aussi générale – ne remet pas en cause la description classique du monde tirée de la mécanique classique. Certes, elle lui apporte certaines modifications (notamment : l’ordre causal des événements exclut la possibilité d’une action instantanée à distance). Mais dans la mesure où la théorie de la relativité est interprétée suivant des présupposés réalistes, elle ne fait que prolonger la description classique du monde. L’idée suivant laquelle les événements physiques surviennent dans le monde indépendamment de nous et de nos moyens de connaissance peut être maintenue. Il est vrai que relativement à chaque référentiel spatio-temporel, les événements physiques sont paramétrisés d’une façon différente. Pour autant, la survenue de ces événements physiques peut être considérée comme totalement indépendante du référentiel considéré, et donc, totalement indépendante de l’éventuel observateur pouvant être attaché à ce référentiel. Il faut reconnaître que cette possibilité d’une interprétation réaliste de la théorie de la relativité renforce la légitimité du réalisme scientifique. Elle favorise sans doute le mouvement d’adhésion spontanée des physiciens à une telle position.