• Aucun résultat trouvé

2. Création d’entreprise et capacités individuelles rivales pour une effectuation réussie 73

2.1. Cadre théorique et positionnement de la théorie de l’effectuation

2.1.2. Processus entrepreneurial de l’entrepreneur effectuationniste (Sarasvathy,

S’intéresser au processus entrepreneurial des entrepreneurs experts a été le premier réflexe que nous nous sommes dit de comprendre dans la littérature puisque l’on sait dorénavant que le processus entrepreneurial même de l’entrepreneur classique ne suit pas une démarche linéaire ( Honig,2004, p.269 ) dans la mesure où, selon l’auteur, il n’est possible pour l’entrepreneur de déterminer au préalable comment son processus se déroule.

Une idée assez proche avait été soulignée par Kirzner (1997) pour qui le processus entrepreneurial est fonction des situations fortuites71qui peuvent être des contingences favorables, des opportunités avantageuses qui s’offrent aux créateurs d’entreprise. La nature fortuite de l’environnement et des contextes entrepreneuriaux conduit à laisser penser que le processus entrepreneurial de celui qui raisonne par effectuation suit un raisonnement dans lequel l’entrepreneur effectuationniste crée par une construction inédite et imprévue, c’est à

71 Par situations fortuites, on peut entendre « quelque chose qui arrive accidentellement » ou un autre mot anglais est proposé par la littérature « serendipity » ou (sérendipité) qui renvoie « à des trouvailles par un concours de circonstance non attendu, il y a une partie du hasard ». Pour plus de détail voir l’ouvrage Bourcier, D., & van Andel, P. (2011). La sérendipité. Le hasard heureux, Editions Hermann, Paris.

85

dire une situation d’opportunité à partir de l’identification des ressources de son territoire. De ce fait, il n’applique pas de manière stricto sensu des prérequis comme les approches causales peuvent le laisser supposer. C’est pourquoi, dans cette situation l’on peut supposer que l’hypothèse (H2) inscrit le processus entrepreneurial de l’entrepreneur effectuationniste dans une temporalité circulaire longue, décomposée en trois sous- processus identifiés. Tout l’enjeu de notre enquête de terrain est de repérer comment se déroule ce processus circulaire.

Par ailleurs Sarasvathy a identifiés cinq (5) principes qui influencent les logiques d’action de l’entrepreneur expert.

1. Les moyens que l’on a ou dont-on dispose (bilan sur les moyens, les savoirs, les connaissances et les contacts) ;

2. Les risques, (évaluation des pertes et des risques acceptables, affordable loss principle) pour atteindre l’objectif fixé ;

3. Les contingences avantageuses ou pas (identification et repérage des contingences, leverage contingencies) ;

4. Les partenaires potentiels par engagement (recherche et sélection de partenaires, patchwork Quilt) ;

5. Les actions contrôlable ou pas (y a-t-il un pilote dans l’avion ?).

Pour l’hypothèse H2

Je deviens entrepreneur lorsque je sais créer une situation d’opportunité favorable à partir des ressources de mon territoire en question. Pour cela je m’inscris dans une démarche circulaire où mes actions ne sont pas planifiées à l’avance mais elles sont plutôt fonction des moyens (ou ressources) dont je dispose. Cela peut être des contacts, des personnes que je connaisse. La démarche circulaire fait que ma décision de mobiliser ou d’utiliser telle ou telle ressource (ou tel ou tel contact) peut être revue dans la mesure où cette démarche me conditionne à rester ouvert à l’imprévu, aux circonstances face à la disponibilité des ressources (ou contacts). De ce fait, mes objectifs ne sont pas fixés à l’avance mais ils émergents au fur et à mesure que j’identifie des ressources (humaines, territoriaux et autres) potentielles mobilisables ou pas dans mon plan de création d’entreprise. Dans ce type de processus rien ne me contraint à mobiliser une ressource puisque ma démarche s’inscrit dans une temporalité plus ou moins longue en fonction des personnes et des partenaires qui s’engagent dans mon projet. Et puisque la temporalité est plus ou moins longue, le processus que j’entreprends me permet de prendre en compte les contingences qui émergent sur mon territoire et qui ne sont pas prévues au départ.

De ce fait, l’entrepreneur dans ce cas de raisonnement ne considère pas que pour ouvrir un nouveau restaurant par exemple, il lui faut un meilleur emplacement Wiltbank et alii. (2009) mais il lui faut des qualités propres et des compétences en la manière dans la restauration. En revanche si pour ces auteurs, l’emplacement est un critère important pour l’entrepreneur causationniste, ils affirment que pour l’entrepreneur effectuationniste l’emplacement est moins important. Ils illustrent leur propos en considérant que dans le cas de la causation, l’entrepreneur causationniste ouvre son restaurant en cherchant un meilleur emplacement puisqu’il considère que tels causes produisent tels effets et par conséquent un mauvais emplacement crée à ses yeux peu de clientèle et pas assez de fréquentation. Tandis que pour l’entrepreneur effectuationniste le critère d’emplacement importe peu dès lors que celui-ci intègre d’autres facteurs tels que la créativité, l’imagination. La créativité et l’imagination au regard de ses propres capacités individuelles, de ses qualités personnelles ou de son talent lui conduisent à proposer des plats et un menu improbable qui fait la différence. Par exemple, cela peut être des capacités fédératrices et mobilisatrices d’une ressource qui peut s’avérer utile à son projet. De ce fait, suivant leur propos, celui-ci privilégie plutôt son expérience accumulée, les nombres d’années d’expériences solidement acquises via des pratiquées réussies. Cela peut être une expérience réussie quelque part, des connaissances théoriques et pratiques, des savoir-faire – formels (reconnus) à l’issue d’un diplôme ou d’une formation (Qui suis-je et Que sais-je ?), des savoir-faire factuels et informels (non reconnus).

Suivant cette idée Toutain et Fayolle (2009 parlent de processus de bricolage72. Ils considèrent que dans ce type de raisonnement les savoir-faire factuels et informels peuvent être à l’origine d’une capitalisation d’un certain nombre d’années d’expériences dans un domaine particulier ou pas. On retrouve cette idée chez Verstraete (2000) qui affirme que l’accumulation d’expériences diverses et pertinentes antérieures à la création d’entreprise est un facteur probant et potentiellement convainquant pour justifier les choix de la création d’entreprise dans une logique entrepreneuriale. Suivant les propos de Sarasvathy (2001c) les connaissances personnelles de l’entrepreneur (entourage, amis proches), les connaissances professionnelles via ses réseaux qui peuvent composés d’hommes d’affaires (banquiers), d’hommes institutionnels et qui peuvent lui apporter de l’expertise, du conseil et de l’information (Qui je-connais ?) sont des ressources qui font que l’effectuationniste a plus de chance de réussir son

72 Fayolle, A., Toutain, O., & Conseil, C. A. (2009). Le créateur d’entreprise est un «bricoleur». L’expansion Entrepreneuriat, (1).

87

processus de création que le causationniste qui ne privilégie que ses acquis théoriques, ses connaissances formelles.

Quant à Silberzahn (2012) l’auteur considère que la décision d’être seule ou de former une équipe entrepreneuriale dont les compétences de l’équipe ont été identifiées par l’entrepreneur peut dépendre fortement des attentes et de la personnalité de l’entrepreneur. On peut donner comme exemple le cas des entrepreneurs introvertis centrés sur eux-même et le cas des entrepreneurs extravertis ouverts à leur univers. Ensuite, s’en suit une série de sous-processus, ici le terme sous-processus prend tout son sens parce que rien n’est encore acquis selon Silberzahn (2012). On recherche des collaborateurs, des partenaires et des associés pouvant adhérer au projet ou à l’idée que l’on cherche à formaliser sous forme de projet. Et la stratégie qui en découle est non seulement fonction des moyens mais celle-ci est plutôt fondée sur un processus d’adhésion comme l’avait déjà souligné Sarasvathy. Et dans ce processus d’adhésion l’entrepreneur identifie des moyens qui lui sont nécessaires Par exemple, si le moyen X n’est pas mobilisable (engagement 1), il passe sur le moyen Y (engagement 2) ainsi de suite, ce qui laisse plusieurs choix à l’entrepreneur effectuationniste. De ce fait, pour l’entrepreneur qui raison par effectuation, proposer des plats copieux et pas chers prime sur l’emplacement. Tout dépendra du moyen X73mobilisé et de ce qui est proposé dans le secteur c’est-à-dire les autres restaurateurs qui sont dans le secteur. La démarche effectuationniste lui évite d’engager des dépenses qui sont souvent irréversibles puisque dans le processus par adhésion chaque fin atteint, constitue pour lui de nouveaux moyens, ainsi de suite. L’effectuationniste mise sur les capacités individuelles et les qualités [intrinsèques et innées] qui lui servent d’identifier des opportunités entrepreneuriales plutôt que de privilégier ses compétences et ses formations diplômantes pour dupliquer des modèles économiques déjà existants.