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2. Création d’entreprise et capacités individuelles rivales pour une effectuation réussie 73

2.3. Logiques d’actions des entrepreneurs experts (Sarasvathy et al, 2009)

2.3.3. Conditions d’une effectuation réussie

Si les réussites des projets entrepreneuriaux peuvent être liées aux qualifications de l’entrepreneur pour d’autres Bonnet et Le Pape (2004) la disposition à l’action et les situations socio-personnelles sont des éléments pertinents dans la compréhension des réussites des entrepreneurs. Selon eux, la disposition à l’action peut résulter de la chance, de la bienveillance du mentorat. Leur propos peut être interprété comme une critique laissant supposer que les qualités intrinsèques ou innées à elles seules ne suffisent pas pour réussir son projet de création d’entreprise. Cela suppose que ceux qui ont échoué (par manque de chance) n’ont pas opéré dans des contextes et dans des situations permettant leur réussite ou leur reconnaissance. Cependant, Sarasvathy et alii (2005) considèrent que les recherches peuvent apporter des éclairages intéressantes entre l’expertise et le succès car la plupart des études, affirment-ils, qui tentent d’expliquer les succès débouchent sur la seule variable expertise. Alors que selon eux, le succès n’est pas toujours expliqué par l’expertise. Ils donnent l’exemple en considérant que « le fait qu'un joueur d'échecs gagne un tournoi ne signifie pas automatiquement qu'il est un grand maître (ou expert). De même être un joueur expérimenté en jeu d'échecs ne garantit pas une victoire. Ceci est encore plus vrai dans le cas d'expertise entrepreneuriale […..] p.11 (notre traduction)».

Pour Sarasvathy les approches dont elle a identifié montrent que les entrepreneurs réputés experts dans leur domaine n’utilisent pas la rationalité prédictive93comme soulignent les approches dominantes. La deuxième différence entre la causation et l’effectuation se trouve dans les deux postulats qui s’opposent. Pour l’entrepreneur causationniste « dans la mesure où

93 Elle pose comme interrogation à savoir: “Where do we find rationality when the environment does not independently influence outcomes or even rules of the game (Weick, 1979), the future is truly unpredictable (Knight, 1921), and the decision maker is unsure of his/her own preferences (March, 1982)?” [Notre trad] “Où trouvons-nous la rationalité lorsque l'environnement n'a pas d'influence, indépendamment des résultats, voire des règles du jeu (Weick, 1979), l'avenir est vraiment imprévisible (Knight, 1921), et le décideur est incertain de ses propres préférences (March, 1982)? "

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nous pouvons prédire le futur nous pouvons le contrôler94 » tandis que les logiques de pensée de l’entrepreneur effectuationniste est tout à l’opposé. Celui-ci pose comme postulat « dans la mesure où, nous pouvons contrôler le futur, nous n’avons pas besoin de le prédire95 ». La troisième différence notoire entre la causation et l’effectuation se trouve d’une part, dans les principes méthodologiques employés pour fonder le raisonnement de l’entrepreneur (Sarasvathy, 2008) : la causation privilégie l’étude de la concurrence dans le modèle de l’entrepreneur, tandis que l’effectuation privilégie la recherche de partenariats par engagement ou de pré-engagement.

D’autre part, dans la causation l’entrepreneur met en avant et se focalise sur le « retour sur investissement » ( le rendement attendu ) alors que dans l’effectuation, celui-ci met en avant le raisonnement par perte acceptable (affordable loss principle). L’effectuation, selon Sarasvathy et alii, (2005), est «enactive et exaptive, p.15 », c’est-à-dire elle considère l’environnement comme endogène au regard du modèle du décideur, ce qui veut dire que le décideur intègre dans son modèle économique (business model) une logique de transformation de l’environnement en sa faveur. Ici c’est finalement l’environnement qui devient tributaire des actions de l’entrepreneur. Tandis que la causation est « réactive et adaptative », c’est le décideur qui s’adapte à l’environnement, son choix est tributaire à l’environnement dans la mesure où celui-ci croit qu’il peut s’adapter au changement de l’environnement, dès lors qu’il peut contrôler son environnement via son modèle prédictif. Ainsi toute la stratégie de l’entrepreneur causationniste est basée sur des décisions adaptatives et réactives tandis que celle de l’entrepreneur effectuationniste est basée sur des décisions « transformatives » dans son environnement et donc son territoire. Read (2005) affirme que les décideurs experts prennent des décisions compte tenu de la masse d’informations sous leurs yeux mais la décision n’est pas influencée par des variables et des facteurs externes. On cherche plutôt à contrôler les variables par les actions que l’entrepreneur prendra et non pas de les prédire.

Par ailleurs, il semble évident selon Wiltbank et Sarasvathy (2003) qu’il est difficile de faire la distinction entre un novice et un expert dans les cas où le raisonnement mobilise des approches de la causation. Une des raisons de cette difficulté réside, d’après eux, dans le fait que la causation ne met pas en avant l’imagination et la créativité, elle privilégie des prérequis. Ils disent avoir constaté de façon évidente que les entrepreneurs novices utilisent de manière progressive le raisonnement par effectuation, au fur et à mesure qu’ils deviennent des experts

94 “To the extent we can predict the future, we can control it”

dans leurs domaines. Ce qui nous conduit à poser la question à savoir : si le raisonnement par causation n’est-il pas celui des débutants et des jeunes diplômés tout bonnement sortis des écoles de commerce et des universités ? Ou peut-on supposer qu’ils peuvent y avoir des experts qui raisonnent selon la causation ? L’ambiguïté à situer la notion d’expert du fait de la subjectivité autour de cette notion (Sardas et alii, 2010), nous place et nous oblige à rechercher une définition qui convient le mieux à notre problématique. Ainsi nous entendons par expert : « un homme disposant un fort potentiel de connaissance dans un domaine précis ou particulier d’une part et que d’autre part cet homme soit reconnu par son savoir-faire et ses compétences du fait qu’il maîtrise à la fois les pratiques du domaine dans lequel il apporte son expertise. Il peut être à la fois un homme de terrain ou un praticien dont ses qualités et son expertise font état de connaissances disponibles non égalées ». [Notre définition de l’expert].

La définition permet de voir sur le terrain si des caractéristiques existent chez les entrepreneurs que nous avons rencontrés ou si nous avons affaire plutôt à des amateurs et des novices qui malgré tout peuvent réussir ? La définition fait ressortir que l’expert a une position confortable et privilégiée en matière de connaissance par rapport aux autres qui ne le sont pas puisqu’il dispose un avantage du fait de son expérience en termes de pratiques et d’expertise. Et dans le cas de l’entrepreneuriat et de la création d’entreprise, c’est celui qui accumule et capitalise une expérience pratique dans la création d’entreprise, dans la gestion d’entreprise ou dans le développement d’entreprise.

De ce fait, nous considérons pendant les entretiens avec les entrepreneurs qu’un entrepreneur sera identifié ou qualifié comme expert à travers ses antécédents dans le domaine de la création d’entreprise. Cela peut être justifié par une réussite antérieure dans la création d’entreprise, ce point permet de distinguer les primo-créateurs, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas d’expérience antérieure dans la création et le développement d’entreprise et ceux ayant déjà vécu une expérience entrepreneuriale. Le tableau ci-dessous fait une distinction des éléments qui entrent en jeu dans l’identification des entrepreneurs experts (voir, 1.1, 1.2, 1.3) et ceux qualifiés de novices (voir, 2.1) sur les deux segmentaux territoriaux.

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Tableau n°8: Quelques éléments distinctifs entre des entrepreneurs experts et des entrepreneurs novices (primo-créateurs)

L’analyse de ce tableau nous permet de tenir compte des éléments qui distinguent les profils d’entrepreneurs que nous avons rencontrés compte tenu des éléments recueillis pendant les interviews. Cela à son importance dans la mesure où les approches de l’effectuation les distinguent nettement à travers des heuristiques que les experts mobilisent. Cependant, si la théorie de l’effectuation met en avant le rôle des comportements heuristiques dans la création d’entreprise nouvelle chez les entrepreneurs qualifiés d’expert, nous ne sommes pas encore sûrs du point de vue empirique que ces dits comportements suffisent à eux-seuls sans l’interviention du territoire et des ressources qu’il suggère aux entrepreneurs.

1. Entrepreneurs qualifiés d’experts 2. Entrepreneurs amateurs (qualifiés de novices)

1. Pas d’antécédant dans la création, le développement et la gestion d’entreprise (ce sont des primo-créateurs qui créent pour la première fois une entreprise).

2. Pas d’expérience dans le domaine de l’entrepreneuriat (autrement dit, ce sont des individus qui n’ont aucune expérience dans la création, ni dans le développement ou la gestion d’entreprise.

3. Pas de repreneurs d’entreprise.

1. Antécédant dans la création, le développement et la gestion d’entreprise (ce sont ceux qui ont déjà créé une entreprise dans le passé. On retiendra dans la définition ceux qui ont déjà dirigé ou codirigé par association une entreprise dans le passé.

2. Expérience réussie dans le domaine de l’entrepreneuriat (Cela peut être une expérience réussie dans le passé dans la création d’entreprise)

3. Expériencedans le domaine où l’activité a été créée. Cela leur donne une position assez avantageux par rapport aux primo-créateurs.