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Les processus dans les corps parents

Il n’est aucune m´et´eorite, mˆeme parmi les chondrites les plus primitives, que les pro-cessus dans son corps parents n’aient alt´er´e de quelque fa¸con apr`es l’accr´etion. Ne serait-ce que pour faire la part des propri´et´es pr´e-accr´etionnaires des chondrites, il est donc n´ecessaire de tenir compte de ces processus que nous allons bri`evement ´evoquer.

2.3.1 M´etamorphisme thermique, alt´eration aqueuse et chocs

chez les chondrites

C’est Lee et collab. (1976) qui, observant dans une CAI des enrichissements en26Mg corr´el´es `a la teneur en aluminium, mirent en ´evidence la pr´esence, au d´ebut du syst`eme so-laire, d’aluminium-26, un isotope radioactif d´ecroissant en magn´esium-26 avec une p´eriode de 0,74 Ma. Outre les services rendus `a l’´etablissement d’une chronologie du syst`eme so-laire (Kita et collab., 2005) et les contraintes qu’il apporte sur l’environnement stelso-laire (e.g. Gounelle et Meibom, 2008), l’aluminium-26 est remarquable en tant que source de chaleur dans les corps parents. En effet, on peut calculer que l’´energie d´egag´ee par la d´esint´egration de l’aluminium-26 dans un hypoth´etique mat´eriel de composition chondri-tique form´e peu apr`es le temps z´ero du syst`eme solaire (o`u l’on avait26Al/27Al≈ 5×10−5), se monte `a 9 MJ/kg, bien plus que les 1,8 MJ/kg requis pour le faire fondre enti`erement (Sanders et Taylor, 2005). Il ne faudrait pas pour autant conclure que tous les corps ont fondu `a l’origine, car il fallait des corps parents de plusieurs dizaines de kilom`etres de diam`etre au moins pour emp´echer la d´eperdition de cette chaleur vers l’espace.

On ne s’´etonnera donc pas que les chondrites, quoique agglom´er´ees quelques millions d’ann´ees apr`es le temps z´ero, montrent des effets d’un chauffage. Beaucoup d’entre elles ont subi un m´etamorphisme thermique (Huss et collab., 2006), c’est-`a-dire des transfor-mations `a l’´etat solide, comme une recristallisation de la matrice, une remobilisation des grains de m´etal et de sulfure, la d´evitrification de la m´esostase des chondres ou une ho-mog´en´eisation de la composition de leurs silicates (initialement tr`es variable d’inclusion `a inclusion). On peine `a discerner les chondres dans les chondrites les plus m´etamorphis´ees. La plupart des chondrites carbon´ees (hormis les CK notamment) montrent plutˆot

les marques d’une alt´eration hydrothermale (Brearley, 2003). On l’attribue ordinairement `a la pr´esence de glace parmi les mat´eriaux accr´et´es, dont la forte chaleur latente de vaporisation (2,3 MJ/kg sous 1 bar) aurait pu tamponner la mont´ee des temp´eratures. On observe ainsi dans ces m´et´eorites, le remplacement de min´eraux anhydres par des silicates hydrat´es, l’oxydation des grains de m´etal et la pr´ecipitation de carbonates ou de sulfates. L’alt´eration affecte d’abord la matrice, mais s’attaque aussi aux chondres et autres inclusions qui peuvent ˆetre enti`erement effac´es dans les chondrites les plus alt´er´ees (comme les CI).

Toutes ces transformations sont index´ees sur une ´echelle de types p´etrographiques in-troduite par van Schmus et Wood (1967), qui va de 1 `a 6. Les chondrites de type 3 sont les plus primitives, les types 2 et 1 correspondent `a des degr´es d’alt´eration aqueuse croissants, tandis que ceux de 4 `a 6 marquent un m´etamorphisme thermique croissant. Un type 7 a ´et´e introduit pour les chondrites les plus recristallis´ees. Cette classification p´etrographique compl`ete la classification en groupes chimiques ´evoqu´ees `a la sous-section 2.2.1. Ainsi, une m´et´eorite comme Ensisheim, class´ee comme LL6, est une chondrite du groupe chimique LL et de type p´etrologique 6. On comprend que pour contraindre l’histoire du disque, les chondrites de type 3 (dites aussi “in´equilibr´ees”) sont les plus pris´ees, et des subdivi-sions (3.0, 3.1, 3.2 etc.) ont ´et´e introduites pour mieux quantifier la “primitivit´e” de ces chondrites.

Les chondrites exhibent ´egalement des marques de choc, pouvant aller de quelques fractures dans les cristaux `a leur recristallisation en min´eraux de hautes pression voire la fusion totale de la chondrite, ce qui est mesur´e sur l’´echelle de St¨offler-Keil-Scott (voir Sharp et de Carli 2006).

De nombreuses chondrites sont des br`eches, c’est-`a-dire des assemblages de d´ebris ro-cheux de mˆeme nature (br`eches monog´eniques) ou non (br`eches polyg´eniques) dispers´es par un impact. Il n’est du reste pas rare de rencontrer dans des chondrites mˆeme for-mellement non br´echifi´ees des x´enolithes, i.e. des fragments ´etrangers `a l’hˆote (e.g. Briani et collab., 2011).

2.3.2 Diff´erenciation et m´et´eorites diff´erenci´ees

Dans certains ast´ero¨ıdes, et a fortiori les plan`etes telluriques, accr´et´es suffisamment tˆot et/ou de taille suffisante pour pr´evenir la d´eperdition de chaleur, le chauffage dˆu `a l’aluminium-26 put atteindre la temp´erature de d´ebut de fusion. On connaˆıt ainsi des m´et´eorites de composition encore sensiblement chondritique, mais de texture compl`etement recristallis´ee, qui ont perdu des liquides m´etalliques, sulfur´es et basaltiques : ce sont les

Fig. 2.7 – (Haut) Sid´erite de Casas Grandes (octa´edrite Om du groupe IIIAB). La face sci´ee et polie a ´et´e attaqu´ee `a l’acide pour r´ev´eler l’entrelac de kamacite et de taenite (les figures de Widmannst¨atten) qui se sont d´em´elang´e `a la faveur du lent refroidissement dans le noyau ast´ero¨ıdal. Image tir´ee de Krot et collab. (2003). (Bas) Pallasite (PAL MG-An) de Krasno¨ıarsk. M´et´eorite diff´erenci´ee constitu´ee d’olivine, pr´esum´ement d’origine mantellique, dans une trame m´etallique. Gravure tir´ee de Schreibers (1820).

Fig. 2.8 – Lame mince de l’eucrite de Juvinas vue en lumi`ere polaris´ee et analys´ee. On distingue des lattes blanc-gris-bleu de feldspath plagioclase pr´esentant des mˆacles polysynth´etiques, et des cristaux aux couleurs plus vives de pyrox`enes. Les eucrites sont des basaltes ou des gabbros suppos´es provenir, avec les diog´enites et les howardites, de l’ast´ero¨ıde 4 Vesta.

achondrites primitives. Dans certains d’entre eux, le chauffage alla plus loin encore, et la fusion tr`es importante en leur sein provoqua une diff´erenciation efficace, entre le m´etal, dense, qui se concentra au centre, et les silicates qui surnag`erent et constitu`erent un manteau et une croˆute. Non seulement toute texture chondritique a-t-elle ´et´e effac´ee, mais les compositions chimiques des roches qui en r´esult`erent—`a l’origine des m´et´eorites diff´erenci´ees—sont loin d’ˆetre chondritiques individuellement : les m´et´eorites issues du noyau sont essentiellement form´ees d’alliage fer-nickel (kamacite et taenite), et appel´ees sid´erites (ou “fers”) tandis que celles du manteau et de la croˆute sont domin´ees par les silicates (pyrox`ene, plagioclase, parfois olivine) et sont appel´ees achondrites (un terme qui englobe les achondrites primitives mentionn´ees plus haut). On connaˆıt des m´et´eorites issues de la fronti`ere entre le noyau et le manteau, les pallasites, m´elange d’olivine et d’une trame m´etallique, et des br`eches sid´erite/achondrite crustale, les m´esosid´erites (voir Fig. 2.7 et 2.8). Il se peut qu’une partie des m´et´eorites diff´erenci´ees (comme les sid´erites dites improprement “non magmatiques”) soient issues, non de la diff´erenciation globale d’un ast´ero¨ıde due `a des radioactivit´es `a courtes p´eriodes, mais `a une fusion d’impact sur un ast´ero¨ıde chondritique. Une revue sur la diff´erenciation est fournie par McCoy et collab. (2006).

Pour n’ˆetre plus primitives en composition, certaines m´et´eorites diff´erenci´ees n’en pourraient pas moins ´echantillonner les plus anciens plan´et´esimaux du syst`eme solaire, contrairement aux chondrites. Ceci tient `a l’abondance initiale d’aluminium-26, qui, comme nous l’avons vu plus haut, facilitait le chauffage des corps parents au d´etriment de la pr´eservation de la texture chondritique. Des datations Hf-W de sid´erites magmatiques en font des contemporaines des CAI (Qin et collab., 2008). Pour Libourel et Krot (2007), les agr´egats granoblastiques `a olivine (GOA pour Granoblastic Olivine Aggregates) re-trouv´ees dans certaines chondrites (CV notamment), pourraient ˆetre des fragments des manteaux de cette premi`ere g´en´eration de plan´et´esimaux.