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En admettant ici la validit´e de notre conjecture, exprim´ee en terme d’un param`etre astrophysique (S), quelles cons´equences proprement cosmochimiques peuvent-elles en ˆetre tir´ees ?

Pour cela, l’on peut se demander comment varie S dans les mod`eles de disque pour convertir notre conjecture sur S en une conjecture sur les r´egions spatio-temporelles de formation des chondrites. Dans un mod`ele de disque stationnaire (voir chapitre 1.2), on a l’expression : S ≡ St hαiP = 2 2 ρsac2 s ˙ M Ω (5.7)

o`u l’on voit que S est une fonction croissante de la distance et du temps (anticorr´el´e avec le taux d’accr´etion ˙M ). Il est notable que dans cette expression, toute r´ef´erence explicite `a α a disparu (la temp´erature, mˆeme dans les r´egions internes, n’y ´etant que faiblement d´ependante) au profit de l’observable ˙M , ce qui fait de S un param`etre in fine faiblement tributaire des incertitudes sur α.

Par cons´equent, notre conjecture implique que les chondrites carbon´ees, form´ees `a

S < 1, se sont accr´et´ees soit plus pr`es du Soleil que les autres, soit plus tˆot, soit une com-binaison des deux. Or, la pr´esence native de glace dans les chondrites carbon´ees (cf chapitre 2.3), leur association traditionnelle aux ast´ero¨ıdes de type C dominant dans les r´egions ex-ternes de la Ceinture Principale, leur affinit´e avec les microm´et´eorites qui ´echantillonnnent les petits corps du syst`eme solaire de mani`ere moins biais´ee en faveur du syst`eme solaire interne que leurs homologues macroscopiques militent contre la premi`ere option. Notre conjecture implique donc que les chondrites carbon´ees se sont accr´et´ees plus tˆot que les non carbon´ees. Conclusion qui s’accorderait bien avec l’anciennet´e des inclusions r´efractaires, et expliquerait le m´elange paradoxal de propri´et´es de hautes temp´eratures (enrichisse-ment global en ´el´e(enrichisse-ments r´efractaires, pr´esence de CAI) et de basses temp´eratures (preuve d’alt´eration aqueuse) que pr´esentent les chondrites carbon´ees.

Un autre corollaire de notre conjecture est que, dans la mesure o`u S < 1 pour les chondrites carbon´ees, de mˆeme que les chondres et la matrice ont pu maintenir leur compl´ementarit´e, les inclusions r´efractaires n’ont pas pu ˆetre s´epar´ees, en tant que popu-lation, de la mati`ere qui les environnait lors de leur formation (gaz, ´el´ements condensables moins r´efractaires), et par cons´equent doivent ˆetre g´en´etiquement reli´es `a une fraction importante (quelques dixi`emes) des chondrites carbon´ees, au lieu d’ˆetre une population totalement allochtone dans celles-ci. Et de fait, maints indices tendent `a sugg´erer que les inclusions r´efractaires ont ´evolu´e de concert avec les chondres et leur pr´ecurseur, qu’il s’agisse du rapport Al/Si subsolaire des chondrites carbon´ees si on les prive (par la pens´ee) de leurs CAI, la pr´esence de quelques compos´es chondres/CAI, certains spectres de terres rares dans les chondres symptomatiques d’´echanges gaz-solide `a haute temp´erature (Mi-sawa et Nakamura, 1988; Pack et collab., 2004), et peut-ˆetre tout simplement le fait que maints CAI aient subi une refusion, possiblement lors d’´ev´enements semblables `a ceux qui ont produit les chondres ferromagn´esiens.

Si elle est av´er´ee, notre conjecture—qui demeure tr`es sch´ematique ne serait-ce qu’en restant au niveau des super-clans—pourrait contribuer `a esquisser une grille de lecture pour l’enregistrement m´et´eoritique du disque. Mais notre conjecture n’est aussi bonne que les hypoth`eses astrophysiques, si conventionelles soient-elles, qui sous-tendent chacun des arguments. Si elle devait ˆetre au contraire infirm´ee par la cosmochimie, cela impliquerait sans doute une remise en question d’un ou plusieurs aspects des mod`eles de transport dans les disques. Car comment comprendre autrement notamment l’abondance en inclusions r´efractaires des chondrites carbon´ees, ou leur compl´ementarit´e matrice/chondre ? Nous ne voulons pas ´eluder ici les objections que l’on pourrait opposer `a la chronologie impliqu´ee par la conjecture :

pour les deux super-clans ?

(ii) Pourquoi les chondrites carbon´ees ont-elles subi moins de m´etamorphisme que les chondrites non carbon´ees ? Et quid des isotopes comme 54Cr ou 50Ti qui rattache-raient plutˆot les achondrites (suppos´es provenir de plan´et´esimaux accr´et´es tˆot) aux chondrites non carbon´ees (Warren, 2011) ?

(iii) Quid du zonage h´eliocentrique de la Ceinture Principale dans le contexte d’une interpr´etation chronologique de la distinction chondrites carbon´ees/chondrites non carbon´ees ?

Sans pr´etendre r´esoudre `a plein ces questions, nous pouvons apporter les ´el´ements de r´eponse qualitatifs suivants :

(i) Si l’observation sur les ˆages est confirm´ee sur d’autres groupes chimiques de chon-drites, notre conjecture ne semble pouvoir ˆetre r´econcili´ee avec elle que si l’´epoque de formation des chondres ´etait essentiellement termin´ee lors de l’accr´etion des chon-drites pr´esentes dans nos collections.

(ii) Concernant le chauffage des chondrites carbon´ees, il faut noter que la pr´esence d’eau est un tampon thermique efficace, car il faut 3 MJ/kg (sous 1 bar) pour vapo-riser de l’eau initialement gel´ee, `a comparer aux 1,8 MJ/kg pour fondre de la mati`ere chondritique s`eche (Ghosh et collab., 2006; Sanders et Taylor, 2005). Il se peut aussi que les chondrites carbon´ees se soient form´ees dans la croˆute primitive d’ast´ero¨ıdes diff´erenci´e `a l’int´erieur comme le sugg`erent des mesures pal´eomagn´etiques sur des chondrites CV(Weiss et collab., 2009).

Concernant les achondrites, le message des isotopes riches en neutrons est com-pliqu´e par les enrichissements en ´el´ements r´efractaires par rapport aux ´el´ements mod´er´ement volatils (W¨anke et Dreibus, 1986) et l’isotopie de l’oxyg`ene (Meibom et Clark, 1999) qui elles sont plus coh´erentes avec une filiation avec les chondrites carbon´ees. C’est dire en fait que les r´eservoirs dont proviennent les pr´ecurseurs des m´et´eorites diff´erenci´ees ne sont pas rattachables `a ceux des chondrites connues, peut-ˆetre parce qu’ils sont ant´erieurs chronologiquement.

(iii) En consid´erant que le taux de formation des plan´et´esimaux est proportionnel `a ΣΩ (Weidenschilling, 2004), soit R−3 dans une MMSN, on s’avise que dans des p´eriodes tardives du disque, les plan´et´esimaux n’ont essentiellement pu se former que dans les parties internes du disque, ce qui expliquerait la localisation pr´ef´erentielle des corps parents des chondrites non carbon´ees dans la Ceinture Principale interne. Certes, la faible largeur radiale de la Ceinture Principale empˆecherait que le ph´enom`ene pro-pos´e soit significatif, mais il est vraisemblable que les ast´ero¨ıdes qui y r´esident ac-tuellement proviennent d’un ´eventail plus large de distances h´eliocentriques (Walsh

et collab., 2011).