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Nous avons vu que la pr´eservation des inclusions r´efractaires dans le disque pendant plusieurs millions d’ann´ees depuis leur formation jusqu’`a leur agglom´eration sugg´erait que le niveau de turbulence (mesur´e par α) avait ´et´e bas dans les r´egions de formation des chondrites. Cependant, les hautes temp´eratures ayant pr´esid´e `a leur formation ainsi que leur dispersion initiale efficace n´ecessitait un α ´elev´e. Peut-ˆetre ce transport s’est-il produit par l’expansion du disque, si celui-ci ´etait suffisamment compact (<10 UA) au sortir de la phase d’effondrement. L’apparition dans le disque d’une zone morte, c’est-`a-dire une r´egion o`u les instabilit´es magn´eto-rotationnelle et gravitationnelle n’ont pas cours, est une fa¸con naturelle, pr´evue th´eoriquement depuis pr`es de deux d´ecennies, `a mˆeme de concilier ces deux contraintes de transport initial et de pr´eservation ult´erieure. Cette r´egion balaierait les distances h´eliocentriques de 0,1-1 UA `a 10-100 UA, c’est-`a-dire la r´egion de formation des plan`etes. Si cela est correct, c’est sans doute dans la zone morte que se sont form´es les chondres, les composants majoritaires des chondrites, vers lesquels nous allons tourner notre attention au chapitre suivant.

Partage des ´el´ements en trace dans

les chondres

El´ementaire mon cher Charolles. (Inspecteur Bougret, par Gotlib)

Plus nombreux que leurs aˆın´ees les inclusions r´efractaires, les chondres ont ´et´e pro-duits plusieurs millions d’ann´ees durant dans le syst`eme solaire primitif. Mais en d´epit de leur ubiquit´e dans les m´et´eorites primitives, leur m´ecanisme de formation demeure encore ´enigmatique (cf chapitre 2.1.1), et constitue une lacune importante dans notre connais-sance des disques d’accr´etion. Ce n’est cependant pas faute d’id´ees de la part tant des astrophysiciens que des cosmochimistes ; peut-ˆetre est-ce mˆeme au contraire l’abondance de ces id´ees qui jette le trouble ! La solution de ce myst`ere persistant ne peut venir qu’`a la suite d’un processus d’´eliminations successives, requ´erant `a la fois des calculs th´eoriques pr´ecis pour chaque classe de mod`ele, mais aussi des contraintes cosmochimiques claires pour les diff´erentes populations de chondres. C’est `a ce second volet de cette vaste enquˆete que le pr´esent chapitre de th`ese a voulu contribuer, et ce par la d´etermination des ´el´ements en trace contenus dans les chondres, et en particulier leur microdistribution entre les phases silicat´ees. Apr`es avoir donn´e dans la section 4.1, un aper¸cu des probl´ematiques cosmochimiques actuelles sur les chondres, nous montrerons dans la section 4.2 l’int´erˆet des ´el´ements en trace dans cette optique. Nous pr´esenterons alors le principe de nos me-sures LA-ICP-MS en section 4.3 avant d’en discuter bri`evement les r´esultats obtenus pour les chondrites carbon´ees en section 4.4 o`u sera ins´er´e l’article d´ecoulant de ce travail. Nous pr´esenterons ensuite les r´esultats obtenus pour les chondrites ordinaires et `a enstatite (sec-tion 4.5). Nous nous int´eresserons enfin `a la phase m´etallique dans le cas des chondrites CR (section 4.6) et ce par le biais des analyses de Paulhiac (2009). Ces deux derni`eres

sections concernent des r´esultats encore en cours d’´etude voire d’acquisition. La section 4.7 r´esumera nos conclusions.

4.1 Questions ouvertes

Dans cette section, sans pr´etendre `a l’exhaustivit´e, nous allons ´evoquer trois questions centrales au sujet des chondres afin de mettre en perspective les r´esultats que nous serons amen´es `a discuter : la nature de leur pr´ecurseur, leur histoire thermique et enfin leurs ´echanges avec l’environnement.

4.1.1 La nature des pr´ecurseurs

Il est commun´ement admis que les chondres r´esultent de la fusion d’un mat´eriel solide pr´e´eexistant que l’on d´esigne par le vocable pr´ecurseur1. On se repr´esente ces pr´ecurseurs g´en´eralement comme des aggr´egats de poussi`ere fine (dustball ), plus ou moins similaires `a la matrice des chondrites, poussi`ere qui peut en partie ˆetre d’origine pr´esolaire, mais sans doute plus largement issue de la condensation dans le disque-mˆeme. Certains glom´erats finement grenus (aggr´egats amibo¨ıdes `a olivine (forst´eritique), “chondres ag-glom´eratiques” `a olivine (ferrif`ere), etc.) pourraient en repr´esenter des versions peu fon-dues. Il semble que les opaques ´etaient domin´es par les sulfures pour ceux des chondrites ordinaires et le m´etal fer-nickel pour ceux des chondrites carbon´ees (Campbell et collab., 2005).

Mais ce n’est pas l`a la seule possibilit´e, d’autant que la variabilit´e compositionnelle des chondres (Hezel et Palme, 2007) ou la relative difficult´e exp´erimentale d’obtenir des textures porphyriques en chauffant une fois une poudre fine (Hewins et Fox, 2004) plaide pour des pr´ecurseurs plus grossiers. Par exemple, de rares reliques de CAI ont ´et´e ob-serv´ees dans les chondres, et ce type de contribution pourrait expliquer les compositions tr`es alumineuses de certains objets (Christophe Michel-L´evy, 1986; Krot et collab., 2009). Du reste, il ne tiendrait qu’`a une question de terminologie de d´esigner ´egalement les CAI ign´ees (fondues) sous le vocable “chondre” comme ce fut historiquement le cas (Tscher-mak, 1885; Christophe Michel-L´evy, 1968). La question de savoir si les occasionnelles forst´erites r´efractaires rencontr´ees dans les chondrites CV ´etaient des condensats (Wein-bruch et collab., 2000) ou des objets ign´es (Pack et collab., 2005) a ´et´e ´egalement d´ebattue.

1On notera que dans des sc´enarii (actuellement minoritaires) de condensation (Varela et collab., 2006), ou de formation `a partir d’un magma sur un corps parent (Sanders et Taylor, 2005), il n’y a pas de pr´ecurseur solide imm´ediat `a proprement parler.

Aussi, des d´ebris plan´etaires pourraient ˆetre du nombre des pr´ecurseurs. Ainsi peut-ˆetre des aggr´egats granoblastiques `a olivine (GOA) d´ecrits par Libourel et Krot (2007), dont Whattam et Hewins (2009) ont pu v´erifier qu’ils pouvaient ˆetre des pr´ecurseurs de chondres porphyriques `a olivine. D’apr`es Libourel et Krot (2007), la texture riche en joints triples de ces objets signerait une formation avec une pression de confinement, `a haute temp´erature. La pr´esence de modes discrets en terme de ∆17O, plutˆot qu’un continuum, pour les olivines des chondres PO constat´ee par Libourel et Chaussidon (2011) militerait dans ce sens.

Enfin, une derni`ere possibilit´e de pr´ecurseur pour les chondres sont les chondres eux-mˆemes, car le processus de formation des chondres s’est sans doute r´ep´et´e, permettant un recyclage de ceux-ci (Ruzicka et collab., 2008), comme le sugg`ere la pr´esence de cris-taux reliques dans au moins 15 % des chondres (Jones, 1996). Pour autant, la variabilit´e compositionnelle des chondres pose une limite `a ce recyclage (Hezel et Palme, 2007).

4.1.2 L’histoire thermique

L’histoire thermique est ind´eniablement un crit`ere discriminant entre les mod`eles, et la p´etrologie exp´erimentale a jou´e un rˆole de premier plan dans sa d´etermination (Hewins et collab., 2005). On suppose que les pr´ecurseurs ´etaient initialement `a une temp´erature inf´erieure `a 700 K pour rendre compte de la pr´eservation de sulfures en leur sein. Un pic de temp´erature s’en est ensuivi, qui a pu d´epasser le liquidus (temp´erature de fusion finis-sante, vers 1700-2000 K), mais pas plus de quelques minutes en g´en´eral, notamment pour pouvoir pr´eserver des cristaux reliques ou au moins plusieurs germes de cristallisation. La texture porphyrique de la plupart des chondres sugg`ere en effet que la cristallisa-tion s’est faite `a partir de plusieurs germes, tandis que les chondres plus efficacement fondus n’ont cristallis´e qu’`a partir d’un seul (Lofgren, 1996). C’est ce que l’on appelle l’´echauffement-´eclair (flash heating). Enfin, en-dessous du liquidus, la vitesse de refroidis-sement des chondres ´etait plus lente, le zonage des cristaux d’olivine des chondres de type II sugg´erant des vitesses de 0,7 `a 2400 K/h (Miyamoto et collab., 2009), dans les ordres de grandeur sugg´er´es par la p´etrologie exp´erimentale (bien qu’il y ait d´eg´en´erescence, du point de vue textural, avec l’intensit´e de la phase de chauffage). La structure monoclinique r´ecurrente de l’enstatite (pyrox`ene magn´esien), au lieu de la structure orthorhombique d’´equilibre, sugg`ere cependant des vitesses de refroidissement de l’ordre de 1000 K/h ou plus autour de 1300 K (Jones et Scott, 1989). Au contraire, dans des chondres granulaires d’Allende, la p´eriode des intercroissances diopside-pigeonite et la microstructure du pla-gioclase calcique sugg`ere des vitesses de l’ordre de 10 K/h autour de 1500 K (Weinbruch

et M¨uller, 1995).

4.1.3 Les chondres : syst`emes ouverts ou ferm´es ?

Si l’on suppose que les chondres se sont comport´e en syst`emes ferm´es pendant leur formation, la composition des chondres, globalement chondritique, est d´etermin´ee par celle des pr´ecurseurs. Mais il y a des d´eviations appr´eciables vis-`a-vis des abondances solaires qui peuvent d´ej`a laisser penser `a un comportement en syst`eme ouvert. Ainsi par exemple de l’appauvrissement en ´el´ements mod´er´ement volatils, g´en´eralement plus marqu´es dans les chondres de type I que ceux de type II, et d’autant plus que le chondre est grossi`erement grenu (ce qui est une mesure de l’intensit´e de chauffage, car `a petit nombre de germes, grande taille de cristaux), ce qui pourrait signer une perte par ´evaporation (Sears et collab., 1996; Hewins et collab., 1997; Gordon, 2009). Les chondres pr´esentent aussi un appauvrissement notable en ´el´ements sid´erophiles, que l’on peut attribuer `a l’expulsion de m´etal pendant qu’ils ´etaient en fusion (e.g. Campbell et collab., 2005). Il y a ´egalement des preuves d’entr´ee d’´el´ements contenus dans le gaz dans les chondres. Ainsi, la concentration du pyrox`ene en p´eriph´erie des chondres de type I, ainsi que l’anticorr´elation entre silice (SiO2) et alumine (Al2O3) et chaux vive (CaO) sugg`ere que l’activit´e de la silice a ´et´e augment´ee au bord des chondres par la r´eaction :

SiO(g) + 1

2O2 −→ SiO2 (4.1)

favorisant ensuite la r´esorption d’olivine au profit du pyrox`ene :

(Mg, Fe)2SiO4+ SiO2 −→ 2(Mg, Fe)SiO3 (4.2) C’est le “mod`ele de Nancy” (Libourel et collab., 2006) dont un sch´ema est donn´e `a la figure 4.1. La formation d’enstatite semble concomittante `a la formation de troilite, qui pourrait r´esulter de la solubilisation de soufre ´egalement issu de la phase gazeuse (Marrocchi et Libourel, 2012). Dans les chondrites ordinaires, on observe des manchons de sulfure autour des chondres. Enfin, pour rendre compte de la r´etention de sodium dans les chondres, malgr´e l’´evaporation due au chauffage, il faut supposer de fortes pressions partielles de sodium (sup´erieure `a un pascal) dans le gaz (Alexander et collab., 2008). Pour autant, certains enrichissements en sodium vers les bordures de chondres observ´ees dans au moins 15 % des chondres de type I dans Semarkona (chondrite ordinaire LL3.0) pourraient n’ˆetre que secondaires, i.e. dus `a une alt´eration aqueuse (minime) sur le corps parent (Grossman et collab., 2002).

Fig. 4.1 – Sch´ema du “mod`ele de Nancy” tir´e de Libourel et Krot (2007). On part d’un agr´egat granoblastique `a olivine. A la faveur d’un chauffage, l’interaction avec le gaz ajoute de la silice dans le liquide, ce qui promeut la cristallisation de pyrox`ene (surtout en p´eriph´erie) aux d´epends de l’olivine. La texture finale est celle d’un chondre POP.