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Procédés littéraires, figures de style : exemple dans la préface du recueil n° 1, L’Évangile par-dessus les toits

L E CORPUS DES R ADIO SERMONS

C. La rhétorique en questions dans les Radio-sermons Préambule

1. Procédés littéraires, figures de style : exemple dans la préface du recueil n° 1, L’Évangile par-dessus les toits

Dans la préface du premier recueil des Radio-sermons intitulée « L’Église devant la radiophonie »154, Pierre Lhande débute la narration en inventant un scénario original aux genres littéraires entrecroisés qui lui permettent de se jouer à dessein des anachronismes et des contresens. Il imagine une mise en scène ingénieuse, théâtrale, à visée éducative ; il utilise l’analepse dès l’incipit pour introduire d’entrée de jeu le « Poverello d’Assise »155 et frère Junipère :

Si le Poverello d’Assise, qui prêcha aux oiseaux du ciel, est revenu, en cette fin du septième centenaire de sa mort, errer, invisible, avec son fidèle compagnon, frère Junipère, à travers notre planète, on peut imaginer aisément, parmi tant d’autres, un épisode piquant de son pèlerinage…156

153 Rappelons que Pierre Lhande fait partie de ces élèves « formé par ces méthodes surannées en quelque petit collège de province ». Il fut interne au collège Saint François d’Assise à Mauléon, en Soule, où la rhétorique était encore enseignée. Voir au Chapitre I, dans la présentation de Pierre Lhande.

154 Voir L’Évangile par-dessus les toits, Radio-Sermons, série 1927, Paris, Spes, 1928. 155 Il « réanime » littérairement, des visiteurs du passé. Remarque : Bossuet avait mis en

scène saint François d’Assise dans son panégyrique à Saint Germain en 1670. Voir JosephLEBARQ, Histoire Critique de la Prédication de Bossuet, Paris, Desclée de Brouwer, 1988, p. 260.

156 Voir la préface de L’Évangile par-dessus les toits, Radio-Sermons, série 1927, Paris, Spes, 1928.

Nous sommes dans le registre du merveilleux. L’entrée en scène du personnage connu du lecteur place son auteur dans la filiation spirituelle du Poverello. De surcroît, l’allusion sous forme d’allégorie au saint « qui prêcha aux oiseaux » évoque les airs, « le ciel » et annonce le titre de l’ouvrage, L’Évangile par-dessus

les Toits. Dans les paragraphes suivants, Pierre Lhande insiste sur la stupéfaction de

saint François d’Assise et de son compagnon en constatant la présence d’un homme seul (Pierre Lhande, le prédicateur), entouré d’un décor insolite et qui semble s’adresser à un public invisible. Imagé, le vocabulaire de description du matériel et du studio de radio est tel que pourrait le décrire le saint du XIIIe siècle propulsé dans le XXe siècle. Les figures de style poétisent le récit et contribuent à passer aisément

du factuel au fictionnel et vice versa. Par l’intermédiaire de l’écrivain contemporain, les projecteurs du studio sont métaphorisés et créent une atmosphère inondée de lumière : « huit soleils blancs, suspendus, dans une housse de parchemin, à leurs cordelettes de soie » qui éblouissent le Poverello. L’image suscitée confère une empreinte onirique au récit. Le choix de la théâtralité pour marquer l’événement confère de la solennité au texte. Le Poverello aurait pu décrire lui-même en son temps le décor et le personnage :

[…] Longs rideaux tombant le long des murs, plafond drapé de velours crème à petits plis […] Silence et solitude…mais non. Le religieux rencontré tout à l’heure est là. Il s’est approché du mystérieux objet d’acier posé sur la svelte console, et, traçant sur sa poitrine un majestueux signe de croix, a prononcé d’une voix grave et lente : “Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Mes frères…” ».

L’enchantement produit est sitôt brisé par le contraste du retour à la réalité : le prédicateur est « Seul, dans ce salon souterrain tendu de lourds rideaux sous le feu cru des lampes électriques »157. L’utilisation de la prosopopée158 en un dialogue

157 Cette description est également informative, elle donne les détails essentiels qui permettent au lecteur de visualiser le lieu, austère, d’où Pierre Lhande prononce les « radio-sermons » qui reste mystérieux pour le grand public.

158 La prosopopée utilisée est plus exactement une éthopée, car le personnage ou « l’acteur » principal de cette scène, saint François d’Assise, représente une des figures les plus charismatiques de la prédication au sein de l’Église. C’est donc la figure d’un homme d’expérience en la matière, une référence de simplicité dans le discours, de grandeur d’âme, plus particulièrement attentif aux plus déshérités que Pierre Lhande introduit à dessein dans la préface des Radio-sermons.

entre les deux protagonistes insuffle de la vitalité au récit. L’auteur peut ainsi jouer avec ce qu’il veut faire dire aux personnages :

« Mais où sont les frères ? », hasarde tout bas le compagnon de saint François à Frère Junipère.

L’effet de suspense maintient l’attention en éveil. La réponse est apportée par l’auteur en une vibrante argumentation convaincante :

Eh oui ! Frère Junipère, elles sont là, toutes proches et si lointaines ! Dans un rayon de plusieurs milliers de lieues, les âmes des “frères”, les inquiètes, les turbulentes, les douloureuses, les pacifiées, les toutes pures, les humiliées. Eh oui ! Frère Junipère, la science moderne, développement graduel des trésors enfermés dans l’univers par la sagesse divine, a donné une application et une forme insoupçonnée au conseil de l’Évangile : “Prêchez au-dessus des toits”159.

Le récit se termine par le départ de saint François d’Assise, résigné et en larmes, en devinant la foule innombrable à l’écoute des paroles du prédicateur contemporain, bouleversé :

François qui a compris tout cela, se souvenant du sermon aux oiseaux, suit, de ses yeux baignés de larmes, ce prédicateur, plus heureux que lui, qui prêche à tout le ciel à la fois…

[…] C’est fini… Ému du grand acte, éclatant et caché qu’il vient d’accomplir, le religieux s’est couvert d’un nouveau signe de croix ; et à ce geste ont répondu, dans le monde, des millions et des millions de mains.

En signe d’adieu, le Poverello d’Assise embrasse le prédicateur, signifiant ainsi le passage de relais définitif. Son personnage et celui de son compagnon ne réapparaîtront plus dans le récit, laissant le champ libre à l’action du pionnier de la prédication à la radio. Cette dernière étape du récit scelle symboliquement la rupture avec ce qui appartient à un monde révolu, pour appréhender efficacement celui de la modernité. Construite avec ingéniosité, cette argumentation est destinée à convaincre le lecteur des bénéfices apportés par les découvertes scientifiques qui suscitent encore des inquiétudes multiples chez certains à l’époque. Le Prédicateur met par ailleurs en évidence l’importance pour l’Église catholique de saisir la diffusion de l’Évangile à la radio.

159 Voir la préface de L’Évangile par-dessus les toits, Radio-sermons, série 1927, Paris, Spes, 1928.