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La rhétorique au cœur des « radio-sermons »

L E CORPUS DES R ADIO SERMONS

C. La rhétorique en questions dans les Radio-sermons Préambule

2. La rhétorique au cœur des « radio-sermons »

Une hypothèse de lecture fondée sur la triade ethos, pathos, logos, selon la ligne proposée par Michel Meyer est appropriée pour notre étude sur la transcription d’un sermon initialement radiodiffusé, puis enregistré et « mis sur le marché » sept ans après, sur disque vinyle. Nous formulons ainsi notre démarche : comment les notions d’ethos, de logos, de pathos peuvent-elles être perçues dans ces discours aux supports médiatiques pluriels ?

Rappelons ces évidences : si l’énoncé est double, l’acte d’énonciation par son auteur est triple car il a été daté historiquement trois fois : une première fois, le 2 janvier 1927, date du « radio-sermon » prononcé à la radio ; une deuxième fois, lors de l’édition de la transcription du discours imprimé dans un recueil en 1928 ; et la troisième fois lors de l’enregistrement du sermon sur disque en 1934, à la demande des auditeurs, sachant que celui-ci correspond à quelques mots près, au texte écrit dans le corpus de L’Évangile par-dessus les toits160.

Notre réflexion est éclairée utilement également par le travail réalisé par Dominique Maingueneau, cité précédemment. Sa recherche traite précisément de l’ethos, dont il écrit qu’il est « crucialement lié à l’acte d’énonciation, mais dont on ne peut ignorer que le public se construit aussi des représentations de l’ethos de l’énonciateur avant qu’il ne parle ». Pour l’auteur, le discours écrit fournit le matériau le plus approprié pour réaliser une telle étude161.

a) Le double énoncé et la triple énonciation du « radio-sermon » Passion

La situation d’énonciation des « radio-sermons » est propre à son auteur. À son époque, Pierre Lhande était une personnalité très connue physiquement bien avant ses interventions à la radio sur le territoire français et au-delà des frontières, comme nous l’avons vu précédemment. Cela laisse supposer que les auditeurs le « voient »

160 Les enregistrements sur disque ont fait l’objet de toute la page de la une de l’hebdomadaire le Haut-parleur du 17 juin 1934 sous le titre Comment on enregistre un disque signé R. Cahen avec photos à l’appui. Voir en Annexes un article de 1934 et une photo du disque, p. 338.

161 Voir l’article sur le site de Dominique MAINGUENEAU (consulté le 7 février 2011), http://dominique.maingueneau.pagesperso-orange.fr/intro_company.html.

quand il prononce ses sermons devant un micro, ou devant le matériel à enregistrer le disque et encore lorsque il écrit le corpus des Radio-sermons. Mais il n’est pas possible de saisir « tout » de la personne et du discours, une part demeure mystérieuse pour les auditeurs. Les informations données par le prédicateur permettent néanmoins de donner des indications sur ce qui n’est pas exprimé nécessairement dans l’énoncé162.

Les énoncés sont quant à eux visibles et audibles dans des extraits des « radio- sermons » : ils peuvent être lus sur papier et entendus en écoutant le disque.

Les textes-retranscriptions de « radio-sermons » concernés sont au nombre de quatre. Le disque en vinyle 78 tours est une compilation intitulée Les Trois

Baisers163composée de deux textes extraits de « radio-sermons » extraits des ouvrages ci-après.

1° L’Évangile par-dessus les toits, Radio-Sermons, Série 1927, Paris, Spes, 1928, p. 144-158.

2° Le Bon Pasteur, L’Évangile par-dessus les toits, Radio-Carême 1928, Paris, Spes, 1928, p. 151-170.

3° Les Pauvres dans l’Évangile, L’Évangile par-dessus les toits, Radio-Sermons

1929, Paris, Spes, 1933, p. 163-187.

4° De Bethléem au Golgotha, L’Évangile par-dessus les toits, Radio-Sermons

1930, Paris, Spes, 1930, p. 119-145.

162 Ainsi qu’il en a été question tout au long de cette thèse, Pierre Lhande a longuement évoqué quelles avaient été les conditions de ses premières interventions à la radio, de la manière dont ont été rédigées les transcriptions des « radio-sermons » ainsi que le l’intérêt de l’enregistrement du disque 78 tours. Il a beaucoup insisté sur ce sujet ce qui a permis d’avoir une idée de « la situation d’énonciation » dans laquelle il s’est trouvé à chacune de ses étapes.

163 Ce disque se présente sous la forme d’un 78 tours vinyle dont le titre, en français est Les Trois Baisers par Le Révérend Père LHANDE, Made in England DF 33 (78 R). Il est produit par la société Columbia. Nous nous le sommes procuré en Uruguay à Montevideo, où le Père Lhande a séjourné et d’où sa mère était native. Nous avons réalisé une copie sur CD, car il n’était pas recommandé de l’écouter directement de crainte de l’abîmer définitivement. La qualité du son est détériorée mais les paroles sont audibles et compréhensibles avec l’aide de chaque texte respectif correspondant. La voix est nasillarde et un bruit de fond de craquement n’a pas pu être évité.

Un enregistrement a été effectué en 1934 à la demande des auditeurs afin qu’ils puissent réécouter les paroles prononcées par Pierre Lhande à la radio. Il s’agit d’un énoncé oral d’une retranscription écrite à partir de deux sermons prononcés à la radio. Le premier enregistré sur le disque s’intitule d’après l’indication de Pierre Lhande : Extrait de la Passion « Sitio » et le second : Les Trois Baisers.

1° Le premier extrait est intitulé Cinquième Parole du Christ en Croix, dans le recueil des Radio-sermons. Il débute, dans le document sonore, par l’annonce du titre par la voix forte de Pierre Lhande : Extrait de la Passion, « Sitio » Cinquième Parole du Christ en Croix : « Sitio ! »

Épuisé par les tourments de l’affreuse nuit et par la sombre marche à la mort, Jésus, dans un dernier sursaut, clame la douleur de sa gorge en feu : « Sitio ! J’ai soif ! » – Jésus, Jésus, vous souvient-il ? Un jour, dans le désert, à l’heure de midi, vous abordiez à la margelle du puits de Jacob. Une femme vint de la ville portant l’amphore et vous lui dîtes : « Donne-moi à boire ! » Et ce fut votre eau vive qui, l’instant d’après, désaltéra cette pauvre âme, – l’eau vive qui jaillit dans la vie éternelle. C’est la même soif qui vous torture, aujourd’hui. (ô Jésus). Mais, du moins, la Samaritaine, plus pitoyable que le soldat du Calvaire, ne vous a pas présenté le breuvage décevant ! Elle vous a tendu le vide de son âme, et vous l’avez rempli. De même, vers vous, qui nous demandez à boire, nous tendons aujourd’hui nos âmes altérées, nous souvenant de votre parole : « Si vous saviez le don de Dieu et quel est celui qui vous parle, c’est vous qui lui demanderiez à boire ! » Nous vous le demandons, Seigneur ! (Nous vous le demandons). À qui irions- nous ? C’est vous, qui avez (les eaux éternelles) de la vie éternelle ! Voyez-vous, du haut de votre croix, l’amphore de nos âmes vides, de nos bonheurs imparfaits, de nos désirs déçus ? Vous seul pouvez combler ce vide et parfaire nos félicités et apaiser notre humaine inquiétude ! Et, c’est nous, maintenant, c’est nous, qui groupés devant le geste de vos mains élargies pour la libéralité suprême, c’est nous, qui crions vers vous : Sitio !… O divin dispensateur de l’eau vive qui sourd au pied de la Croix, voici, devant vous, le creux de nos mains arrondies qui vous implorent ! Voici nos lèvres ! (Voici nos âmes) Et c’est nous, les vivants, qui vous crions, à vous qui allez mourir : « À boire ! à boire ! – Sitio ! »

Le contenu du discours sur le disque reprend quasiment à l’identique le texte retranscrit dans le recueil Le Bon Pasteur, L’Évangile par-dessus les toits, Radio-

Carême 1928164. Le Père Lhande a probablement enregistré le disque en lisant le texte initial, en ajoutant ou en retranchant quelques mots. En revanche, il est évidemment impossible de vérifier s’il y a eu modification de la tonalité de la voix

164 Voir Pierre LHANDE, Le Bon Pasteur, l’Évangile par-dessus les toits, Radio-Carême 1928, op. cit., p. 162.

entre le 1er sermon transmis à la radio et l’enregistrement. Il n’a pas été possible de savoir si cet enregistrement a eu lieu en 1927, ou au moment de sa parution.

À l’écoute du disque, le phrasé permet de dater le discours de cette période des années vingt-trente, car il correspond aux critères de l’éloquence sacrée ou profane de l’époque. L’emphase, le lyrisme en sont une des caractéristiques. Ils signalent peut-être une volonté de convaincre, mais aussi une méconnaissance de la maitrise des nouveaux outils de communication165. Quant à la sonorité, elle est semblable à celle qui caractérise le disque vinyle à ses débuts.

2° Le deuxième extrait enregistré sur le disque s’intitule Les Trois Baisers.

Le récit est presque conforme lui aussi, au texte du recueil L’Évangile par-

dessus les toits, Radio-Sermons 1927166.

La voix du Père Lhande annonce le titre, d’une voix ample et distincte : « Les

Trois Baisers », puis elle énonce le discours :

Au cours du douloureux drame où toutes les créatures, une à une, sont venues apporter leur outrage au divin Patient, l’âme contemplative retient pourtant, ou devine trois épisodes où s’est posé sur le front de Jésus le signe humain de l’amitié, – trois baisers. Ce fut d’abord au Jardin, quand le traître, ayant réuni la valetaille, lui dit : « Celui-là que j’embrasserai, ce sera lui… Et s’approchant de Jésus, Judas prononça : « Ave, rabbi ! Maître, je te salue ! » – Le baiser de la trahison.

Au soir du Vendredi-Saint, quand Jésus eut expiré, Marie-Madeleine courut à la croix, entoura de ses bras les pieds bénis du Sauveur et y posa douloureusement ses lèvres – Le baiser du repentir.

Enfin, quand le corps inanimé de Jésus fut remis à sa sainte mère, qui ne devine que Marie, après avoir détaché la couronne d’épines, dut baiser longuement le front glacé de son fils ? – Le baiser du pur amour.

Mes frères, hier, en visitant les reposoirs, et vous aussi en grand nombre, vous avez posé vos lèvres sur les crucifix ; vous aussi vous avez donné à Jésus un baiser…Lequel ? Dites-le moi… Le baiser de la trahison ? Celui de l’homme qui, dans son cœur, a trahi son Dieu et ne l’honore que pour trahir encore ? … Non ! Parmi vous qui m’écoutez fidèlement, en cette nuit, il n’y a pas de traître ! il n’y a pas de Judas ! Le baiser du pur amour ? Hélas, pas davantage ! Certes, j’ai vu, hier, dans nos églises parisiennes,

165 La comparaison a été faite avec des discours enregistrés de l’époque, comme ceux d’Aristide Briand, Léon Daudet, Charles Maurras. Le timbre de voix, évidemment différent, est la marque reconnaissable de l’écrivain. Celui de Pierre Lhande est grave, bien posé, malgré l’enregistrement qui le déforme à certains moments de l’écoute.