Chapitre 1 : Etat de l’art
4.1 Procédés agronomiques
Les critères de sélection de l’hyperaccumulateur sont les suivants (Chaney et al. 2007, van
der Ent et al. 2013a) :
il doit extraire une quantité importante de Ni, autrement dit, le rendement en biomasse
doit être élevée ET la concentration en Ni dans la plante également. On considère
qu’elle doit être supérieure à 1%, on parle alors de nickelophores, pour assurer la
viabilité économique de la filière,
il doit atteindre « rapidement » le stade de floraison, stade où la plante est la plus
chargée en Ni.
D’autres conditions sont en cours de définition. On sait par exemple qu’il faut éviter une
concentration en chlore trop élevée si la plante est destinée à être brûlée, car cela provoque
des problèmes de corrosion des matériaux des chaudières.
Chapitre 1 : Etat de l’art
Les conditions de quantité élevée de biomasse et de forte concentration en Ni sont parfois
antagonistes. C’est pourquoi des indicateurs ont été définis pour évaluer l’efficacité de la
phytoextraction (McGrath and Zhao 2003, Ghosh and Singh 2005, Yoon et al. 2006, Lebeau
et al. 2008, Liu et al. 2011) :
le facteur de bioconcentration : il mesure la capacité d’une plante à extraire et
transloquer les métaux depuis le sol. Il se calcule par le rapport entre les concentrations
dans les parties aériennes de la plante et celles dans le sol,
le facteur de translocation : il mesure la capacité d’une plante à transloquer les métaux
dans les parties aériennes. Il correspond au ratio entre les concentrations en métal
dans les racines et dans les parties aériennes. Il doit au moins être égal à l’unité.
Il est préférable de sélectionner des plantes locales qui n’auront pas à s’adapter aux conditions
climatiques du lieu de culture. Toutefois, il faut veiller à ne pas disséminer des plantes
invasives.
Tableau 5 : Liste d’ hyperaccumulateurs de Ni répondant aux critères de faisabilité de la filière agromine (d’après (Nkrumah et al. 2016))
Espèces Potentielle zone
d’application Origine
Hauteur
(m) Mode de culture
Ni (%) dans les
parties aériennes Références
Alyssum spp. Région
méditerranéenne
Europe du Sud et du
Sud-Est, Turquie,
Arménie, Iraq, Syrie
0,5-1 Herbe pérenne 1-2,5 (ReevesBrooks et al. et al. 1998) 1983,
Leptoplax spp.
Région
méditerranéenne Grèce 1-1,5 Herbe pérenne 1-3,5 (Reeves et al. 1980)
Bornmuellera spp.
Région
méditerranéenne Grèce, Albanie,
Turquie 0,3-0,5 Herbe pérenne 1-3 (Reeves et al. 1983)
Buxus spp.
Amérique centrale
tropicale Cuba 0,3-12 Arbuste ligneux 1-2,5 (Reeves et al. 1996)
Leucocroton spp.
Amérique centrale
tropicale Cuba 1-3,3 Arbuste ligneux 1-2,7 (Baker et al. 1992)
Phyllantus spp.
Région
pacifique-asiatique tropicale Asie du Sud-Est et
Amérique centrale 1-6 Arbuste ligneux 2-6
(Baker et al. 1992, van
der Ent et al. 2015b)
Rinorea bengalensis
spp.
Région
pacifique-asiatique tropicale Asie du Sud-Est 5-20 Arbuste ligneux 1-2,7
(Brooks and Wither
1977)
Berkheyia coddii Afrique du Sud Afrique du Sud, Zimbabwe 1-2 Herbe pérenne 1,1 (Morrey et al. 1989)
Chapitre 1 : Etat de l’art
4.1.2 Culture de l’HA sélectionné
L’optimisation de la culture de l’HA sélectionné doit permettre de répondre aux critères de
sélection définis précédemment pour une culture des plantes à grande échelle (Li et al. 2003,
Bani et al. 2007, Nkrumah et al. 2016). Les choix agronomiques présentés ici concernent
principalement la culture d’A. murale en milieu tempéré, qui fait l’objet de ce travail.
i. Mode de plantation des HA
Différents modes de plantation sont possibles pour les herbacées : le semis ou le repiquage.
Comme les plantes seront entièrement récoltées une à deux fois par an, il faut les réimplanter.
Le repiquage demande plus de temps mais assure une meilleure production de biomasse ainsi
qu’une plus grande chance de survie (Kanso 2016). Une densité de 4 plants par m² est
recommandé (Bani et al. 2015b).
Pour les arbres, une densité de 4 arbres dans 10 m² après avoir été semés et élevés un an en
serre est recommandé (Losfeld et al. 2015). La récolte de Ni se fait par taillis à courte rotation,
assurant une production de biomasse importante (Nkrumah et al. 2016).
ii. Utilisation de fertilisants minéraux (NPK)
Les sols sur lesquels sont cultivés les HA sont caractérisés par de faible teneur en N, P, K.
L’utilisation de fertilisants minéraux permet de compenser ce manque pour maximiser la
croissance de la plante et la quantité de Ni extrait (Álvarez-López et al. 2016). L’utilisation de
fertilisants minéraux a permis d’extraire plus de 100 kgNi ha-1 par A. murale sur des sols de
serpentine (Bani et al. 2015a).
iii. Ajout de calcium et de soufre
Le calcium (Ca) et le soufre (S) sont des macronutriments dont la plante a besoin pour se
développer. Ca est un composant de la paroi cellulaire des plantes il est donc nécessaire à sa
croissance. Malgré sa faible concentration dans les sols ultramafiques, il est bien extrait et
accumulé par A. murale (Broadhurst et al. 2004b). Cependant, la quantité de Ca
phytodisponible pourrait diminuer au cours des récoltes et, dans ce cas, un amendement
pourrait être favorable pour la culture des plantes (Chaney et al. 2007, Bani et al. 2015a).
Le soufre (S) est un élément particulièrement présent dans les plantes de la famille des
Brassicaceae, particulièrement dans les acides aminés, et joue un rôle dans leur métabolisme.
De plus, le S pourrait avoir un impact sur la tolérance de Ni. Il a été retrouvé dans les vacuoles
de plante de genre Noccaea, où il joue le rôle de contre-ion lors du stockage de Ni (Broadhurst
et al. 2009).
iv. Apport de matière organique
L’apport de la matière organique n’a pas montré d’effet remarquable sur la concentration en
Ni extrait à partir de sols ultramafiques comparé à l’utilisation de fertilisant NPK (Álvarez-López
et al. 2016, Broadhurst and Chaney 2016). Il a un impact positif sur la production de biomasse,
ce qui permet d’extraire légèrement plus de Ni mais diminue la part de Ni phytodisponible dans
le sol (Álvarez-López et al. 2016). Cependant sur des sols de stérile minier ou des sols
construits à partir de déchets industriels l’apport de matière organique est indispensable pour
rendre le sol fertile (Séré et al. 2008).
v. Optimisation du pH
Le pH doit également être optimisé. Sur un sol dont le pH est trop acide, proche de 4, les
plantes ne pourront pas se développer (Alvarenga et al. 2009). Cependant à pH trop basique,
le Ni devient moins mobile et donc moins phytodisponible (Rue 2017). Ainsi, le pH est à
optimiser pour permettre le développement des plantes sans trop immobiliser les métaux. une
forte concentration en Ni dans A. murale a par exemple était observée pour une plante cultivée
sur un sol à pH 6,5 (Chaney et al. 2007). Enfin, le pH est ajusté par ajout de CaCO3 il faut
donc bien contrôler cet apport car le Ca ajouté pourrait rentrer en compétions avec l’extraction
de Ni (Robinson et al. 1999).
vi. Inoculation de bactéries
La communauté microbienne de la rhizosphère des HA est différente des non-HA (Lopez et
al. 2018). Ces rhizobactéries sont appelées PGPR (plant growth promoting rhizobacteria).
Elles rendent le sol moins toxique par la production de sidérophores par exemple pour
complexer et solubiliser Ni dans la rhizosphère mais permettent aussi d’augmenter la
disponibilité des nutriments (Abou‐Shanab et al. 2003, Cabello-Conejo et al. 2014, Benizri and
Kidd 2018). Il a été observé une corrélation entre la concentration de Ni disponible et la
diversité de la communauté bactérienne de la rhizosphère (Lopez et al. 2017).
Certaines souches de ces bactéries ont été isolées de la rhizosphère d’A. murale et inoculées
dans des semis de cette même plante en pots. Des semis non inoculés ont été utilisés comme
contrôle. L’inoculation a permis d’augmenter de 40 % la phytoextraction de Ni. La
concentration en Ni de la plante n’est que faiblement augmentée c’est grâce à l’augmentation
de la biomasse produite que les quantités de Ni extrait ont été augmentées (Abou-Shanab et
al. 2006, Durand et al. 2016).
4.1.3 Plantation et récolte
La méthode de plantation et de récolte dépend fortement de l’espèce considérée. Pour A.
murale, des semis peuvent être effectués sous serre et plantés à la densité souhaitée à la
saison des pluies. La « récolte de Ni » pourra ensuite se faire à la saison sèche, au stade de
la floraison de la plante, et la biomasse pourra être mise à sécher au soleil en plein champ. La
récolte peut se faire manuellement ou mécaniquement. Pour les arbres tropicaux, il s’agit de
récupérer les feuilles des arbres avant qu’elles ne tombent au sol comme cela peut se faire
pour les cultures thé et de tabac (Nkrumah et al. 2018).
Un récapitulatif de l’ensemble des pratiques agricoles étudiées pour optimiser la « culture de
Ni » est présenté dans le Tableau 6.
Chapitre 1 : Etat de l’art
Tableau 6 : Résumé des pratiques agricoles considérées dans l'agronomie d'HA dans le cadre de la filière agromine
Pratiques
agricoles Espèce
Essais en pot /
essai sur le terrain Localisation Substrat Effet sur l’extraction de Ni Références
Fertilisants (NPK) A. bertolonii, B. coddii,
Streptanthus polygaloides,
A. murale, A. serpyllifolium ssp.
Lusitanicum, A. serpyllifolium
ssp. malacitanum,
Essais en pot et à
l’échelle du terrain
Italie, Nelle
Zélande,
Albanie,
Espagne
Sols ultramafiques
mélange d’écorce et
de broyat de roche de
serpentine
Positif par augmentation de la
quantité de biomasse
(Robinson et al.
1997a, Robinson et
al. 1997b, Bennett
et al. 1998, Bani et
al. 2015a,
Álvarez-López et al. 2016)
Ajout de S B. coddii Essais en pot Nelle
Zélande
Mélange de pierre
ponce et sols
ultramafique
Positif par augmentation de la
phytodisponibilité
(Robinson et al.
1999)
Régulation du pH A. murale, A. corsicum Essais en pot Canada Sol contaminé en Ni
par une raffinerie
Positif alors que la part de Ni
phytodisponible diminue
(Li et al. 2003,
Kukier et al. 2004)
Nature du
substrat
L. emarginata, B. tymphae,
T. caerulescens, A. murale
Essais en pots France Sols ultramafiques, sol
acide calcarique
Positif par augmentation de la
phyotdisponibilité
(Chardot et al.
2005)
Innoculation de
bactérie
A. murale, N. tymphea,
B. tymphea
Essais en pots Etats-Unis Sols ultramafiques Positif par augmentation de la
quantité de biomasse
(Abou-Shanab et
al. 2006, Durand et
al. 2016)
Densité de
plantes
A. murale Essais à l’échelle
du terrain
Albanie Sols ultramafiques Positif lorsque l’optimum de
densité est trouvé
(Bani et al. 2015b)
Amendements de
matière
organique
A. serpyllifolium ssp.
Lusitanicum, A. serpyllifolium
ssp. malacitanum, A. bertolonii,
N. goesingense
Essais en pots Espagne Sols ultramafiques Positif par augmentation de la
quantité de biomasse malgré
une diminution de la
concentration en Ni
(Kidd et al. 2015,
Álvarez-López et al.
4.2 Procédés de récupération du Ni à partir de la biomasse
Dans le document
Procédés innovants pour la valorisation du nickel directement extrait de plantes hyperaccumulatrices
(Page 40-46)