Chapitre 2 : Caractérisation des plantes et lixiviation du nickel
3.2 Analyses de la matière organique dans le lixiviat d’ A. murale
Comme la lixiviation est appliquée directement sur A. murale de la MO a été extraite. Pour
observer l’évolution de l’extraction de cette MO, le carbone organique dissous a été analysé
au cours de la lixiviation issue de la colonne C1. Ensuite des analyses moléculaires ont été
effectuées sur le lixiviat global issu de la colonne C2.
3.2.1 Analyse du carbone organique dissous
La concentration en carbone organique dissous en sortie de colonne C1 varie exactement
comme les métaux (Figure 28), ce qui montre une extraction d’une partie de la MO de la plante
au même titre que les métaux.
Les concentrations en Corg ont été tracées en fonction de celles en Ca, Mg, Ni (Figure 29). Les
résultats montrent une vraie proportionnalité entre métaux et C extraits. A partir de ces
résultats, on peut faire l’hypothèse que les métaux sont extraits en étant chélatés par des
ligands organiques. Une interaction en Ni et MO avait déjà était décelée par Barbaroux et. al
(2011). Lorsqu’ils avaient essayé de floculer Ni à la suite d’une lixiviation acide à partir
d’A. murale (S/L = 15 %, H2SO4 0,5 M, à 90 °C pendant 2h), ils avaient alors démontré que
l’abattement de Ni suivait l’abattement de Corg. Ils avaient alors émis l’hypothèse que Ni était
Figure 28 : Evolution des concentrations (g L-1) en carbone organique dissous et Ni en sortie de la colonne C1
pendant la lixiviation d’A. murale par de l’eau, au débit de 3 BV1 h-1
penser que Ni est extrait sous forme complexée lorsqu’il est lixivié et qu’il garde cette
spéciation une fois dans le lixiviat.
Dans le lixiviat global, la concentration en Corg est 11 130 mgC L-1, soit environ 0,93 M, ce qui
est presque 100 fois supérieure à celle en Ni. Des analyses CHONS ont montré que A. murale
était composée à 45,99 % de C. La lixiviation des plantes extrait 15 % du C présent dans la
plante.
Lors de la lixiviation des plantes, 19 % massiques de la biomasse sont lixiviés. Parmi ces
19 %, 1,4 % ont été identifiés comme étant des métaux et 17 % comme étant du C. L’extraction
de la MO est donc le phénomène majoritaire en terme de composés extraits impliquant une
très grande concentration de Corg dans le lixiviat. Dans le but d’appréhender son effet sur le
comportement de Ni en vue d’une future récupération, une partie de cette MO a été
caractérisée. Les analyses ont d’abord été orientées vers les sucres simples issus de la
dégradation de la cellulose et des hémicelluloses. Ces deux bio-polymères, avec la lignine,
sont les constituants majoritaires de la biomasse et ils pourraient donc être à l’origine du Corg
dans le lixiviat. Les sucres issus de la dégradation de la lignine n’ont pas été analysés, car la
lignine, très peu hydrolysable, n’est pas dégradée lors d’une lixiviation à l’eau. Les analyses
ont ensuite été orientées vers les chélateurs connus de Ni dans les HA. Les majoritaires sont
le citrate et le malate (Montargès-Pelletier et al. 2008, Alves et al. 2011), les ACFPM ont donc
été analysés. Certaines références ont aussi identifié certains acides aminés comme chélateur
de Ni (Bhatia et al. 2005, Callahan et al. 2008), les analyses ont donc été orientées aussi vers
ces molécules.
3.2.2 Analyse des sucres simples et des acides uroniques
Dans les plantes, une grande quantité de C provient des trois principaux polymères constitutifs
des biomasses lignocellulosiques : la cellulose (entre 30 et 50 % massique), l’hémicellulose
(entre 15 et 30 % massique) et la lignine (entre 10 et 30 % massique) (Godin et al. 2010,
Figure 29 : Concentration en Corg en fonction de la concentration en métaux en sortie de la colonne C1 pendant
la lixiviation d’A murale par de l’eau, au débit de 3 BV1 h-1
Chapitre 2 : Caractérisation des plantes et lixiviation du nickel
Vassilev et al. 2013). La détermination de la lignine par la méthode de Klason, a montré qu’A.
murale en était composée à 12 % massique. La cellulose est un homopolymère linéaire
d’unités glucose. Les liaisons hydrogène intramoléculaires et intermoléculaires lui confèrent
une meilleure résistance thermique et mécanique que l’hémicellulose. L’hémicellulose est un
hétéropolymère constitué de sucres à cinq carbones (xylose et arabinose) et de sucres à six
carbones (mannose, glucose et galactose). Sa nature dépend de la nature de la biomasse.
Enfin, la lignine est composée de différents polymères phénoliques dont les compositions sont
fonction de la nature de la biomasse et ne sont pas encore très bien connues (Anca-Couce
2016).
Ces cinq sucres, xylose, arabinose, mannose, glucose et galactose, ont donc été analysés. A
ceux-là ont été ajoutés le fucose et le rhamnose qui sont des désoxyhexoses du galactose et
du mannose respectivement. Deux acides uroniques ont aussi été recherchés, l’acide
glucuronique qui est issu de l’oxydation du glucose et l’acide galacturonique qui est un
constituant de la pectine (Kurita et al. 2008). Les résultats sont présentés dans le Tableau 12.
La cellulose ne semble pas avoir été hydrolysée car le glucose est absent du lixiviat.
Cependant, certaines hémicelluloses et la pectine ont été dégradées puisque le mannose,
galactose, rhamnose et l’acide galacturonique sont les composés majoritaires retrouvés dans
le lixiviat. La concentration en Corg issu de tous ces sucres et acides uroniques compte pour
au total 44 mgC L-1, soit moins de 1 % du Corg. (Tableau 12).
Tableau 12 : Concentration en sucres simples et acides uroniques (mg L-1) et C (mgC L-1) dans le lixiviat
a Ac. galac. pour acide galacturonique b Ac. glucu. pour acide glucuronique
3.2.3 Analyse des acides carboxyliques à faible poids moléculaire
Une autre source de Corg du lixiviat pourrait être les chélateurs de Ni dans la plante. Ces
composés, principalement le malate et le citrate sont connus pour avoir des solubilités dans
l’eau à 20 °C importantes et pourraient donc au même titre que Ni, être extraits pendant la
lixiviation.
Les acides oxalique, malonique, citrique, malique et acétique ont été quantifiés par HPLC dans
le lixiviat (Tableau 13). Malgré des solubilités proches et élevées, supérieures à 3 M (Furia
1973), on retrouve une concentration presque quatre fois plus importante pour l’acide malique
que pour l’acide citrique et nettement inférieure à la solubilité des deux composés (presque
1000 fois). Une présence importante d’acide malonique est aussi à noter. Les compositions
en chélateur de Ni dans la plante et dans le lixiviat semble donc différer légèrement. Ces
ACFPM représentent 14 % du Corg analysé précédemment, soit 1681 mgC L-1 (Tableau 13).
Fucose Rhamnose Arabinose Galactose Glucose Xylose Mannose Ac. galac.a Ac. glucu.b
mg L-1 0,74 12,27 0,00 14,26 0,00 0,35 41,90 41,90 1,60
Tableau 13 : Concentrations en ACFPM (mg L-1) et en carbone organique issu de ces ACFPM (mgC L-1) dans le
lixiviat
3.2.4 Analyse des acides aminés
Même si ce ne sont pas les chélateurs majoritaires de Ni dans les HA, certains acides aminés
sont susceptibles de complexer des métaux (Bhatia et al. 2005, Callahan et al. 2008). Le lixiviat
a donc été analysé pour identifier et quantifier les acides aminés. L’acide aminé majoritaire est
la proline (113,8 mg L-1), suivi par l’alanine (32,6 mg L-1) et la glutamine (47,7 mg L-1) (Tableau
14). Les autres acides aminés sont quantifiés à des concentrations inférieures même pour
l’histidine identifiée comme un complexant de Ni dans le phloème et le xylème des plantes lors
de son transport vers les parties aériennes. La concentration en Corg issue de ces acides
aminés compte pour au total 155 mgC L-1 soit moins de 2 % du Corg.
Tableau 14 : Concentration en acides aminés (mg L-1) et C issus de ces acides aminés (mgC L-1) dans le lixiviat
a Ac. aspa. pour acide aspartique b Ac. glut. pour acide glutamique
* La concentration en leucine est un mélange entre leucine et isoleucine qui ne sont pas
séparées lors de l’analyse.
Ainsi, suite à ces analyses 17 % du Corg ont été identifiés. Une faible proportion est composée
de molécules issues de la dégradation de macromolécules présentes dans la biomasse,
hémicellulose et pectine (1 %). Le reste de la MO identifiée correspond aux chélateurs de Ni
dans les HA, ACFPM sous forme de carboxylates (14 %) et acides aminés (2 %). Il est donc
possible que Ni soit extrait sous la forme sous laquelle il est accumulé dans la plante. Ceci
pourrait avoir des conséquences pour les futures étapes de valorisation de Ni. Si le Ni est sous
une forme chélatée dans le lixiviat, il pourrait se montrer moins réactif et disponible quant aux
procédés de purification envisagés.
Ac. oxalique Ac. malonique Ac. citrique Ac. malique Ac. acétique
mg L-1 99 1197 694 2538 149
mgC L-1 26 427 260 909 60
Glycine Sérine Alanine Ac. aspa.a Proline Glutamine Ac. glut.b Valine
mg L-1 16,0 16,67 32,6 27,3 113,8 47,7 17,5 9,5
mgC L-1 5,1 5,7 13,2 9,8 59,4 19,6 7,2 4,9
Lysine Méthionine Leucine* Histidine Arginine Phénylalanine Tyrosine
mg L-1 2,6 1,3 5,8 23,9 10,4 12,7 1,9
Chapitre 2 : Caractérisation des plantes et lixiviation du nickel
4 Conclusion et perspectives
Dans ce chapitre nous avons démontré qu’il était possible de s’affranchir de l’étape de
combustion et que le Ni pouvait être extrait directement de la plante en utilisant de l’eau à
température ambiante. Le rendement d’extraction dépend de l’HA considéré : il est de plus de
80 % pour A. murale, mais plus faible avec R. bengalensis, ce qui indique que pour les plantes
ligneuses, d’autres méthodes doivent être envisagées.
Les extractions en réacteur fermé ont montré que pour augmenter la quantité de Ni dans le
lixiviat, il fallait augmenter le ratio S/L, or ce n’est pas possible de l’augmenter fortement, car
rapidement, les plantes ne sont plus suffisamment mouillées par l’eau. Il a donc été choisi de
travailler en conditions dynamiques, en utilisant une colonne de laboratoire. On arrive ainsi à
un ratio S/L de 16%. Des ratios supérieurs pourraient être atteints en diminuant le volume
d’eau passé dans la colonne mais on abaisserait aussi le rendement global d’extraction.
La lixiviation des plantes conduit aussi à l’extraction d’une forte proportion de matière
organique. La caractérisation de cette MO a permis d’en identifier 17 %, dont 14 % sont des
acides carboxyliques à faible poids moléculaire, connus pour être les chélateurs majoritaires
du Ni dans A. murale. Le reste de la MO n’a pu être identifié, et cela reste une perspective de
recherche, car cette fraction qui pourrait comporter des protéines et des coumarines pourrait
influencer la spéciation du nickel en solution.
Dans le document
Procédés innovants pour la valorisation du nickel directement extrait de plantes hyperaccumulatrices
(Page 75-81)