• Aucun résultat trouvé

Dix ans apre s cette premie re recherche mene e sur l’exercice de la programmation en France, la the se que nous avons engage e visait a comprendre les impacts de l'injonction a la participation sur l’e volution de ce groupe professionnel20. Le lien que nous avons envisage tient a la vocation,

au ro le, et a la nature me me de l’activite de programmation. Au-dela des diffe rentes acceptions que les autorite s administratives, les chercheurs ou les praticiens peuvent lui donner, celle-ci est fondamentalement conside re e comme permettant de de finir l’utilite , la ou les fonctions d’un espace a transformer. Elle de termine ainsi tre s fortement le futur cadre de vie des habitants, des usagers. Cette recherche a donc e te envisage e en partant du principe, sorte de postulat, que les professionnels prenant en charge des activite s de programmation e taient particulie rement concerne s par la diffusion de l’impe ratif participatif dans les domaines de l’ame nagement et de la construction. Notre re flexion s’est alors structure e a partir des questions suivantes.

− Dans quelle mesure les professionnels de la programmation sont-ils aujourd’hui amene s a de velopper des compe tences21, des savoirs, des savoir-faire en lien avec la participation

19 Loi sur la Maîtrise d’Ouvrage Publique qui a instauré en France l’obligation d’élaboration de programme

pour les maîtres d’ouvrage publics (Cf. chapitre I).

20Questionner les évolutions du groupe professionnel en charge de la programmation nous a conduite, dès

les prémices de notre travail de recherche, à circonscrire nos investigations au contexte français. Ce choix est tout d’abord motivé par le cadre réglementaire qui a imposé une dissociation entre programmation et conception (entendue comme formalisation spatiale) dans le domaine des constructions publiques : cette séparation est perçue comme un facteur décisif dans l’amorce d’un processus de professionnalisation de cette activité. À cela s’ajoutent des considérations d’ordre culturel et politique, qui ont donné un rôle important à la puissance publique dans la production architecturale et urbaine en France. Les travaux qui se sont intéressés ces dernières années à la participation citoyenne en explorant des terrains d’études géographiques différents attestent d’un positionnement français singulier lié à un centralisme étatique encore assez fort et au rôle des grands corps dans la production urbaine, notamment celui des ingénieurs des Ponts et Chaussées (Bacqué et Gauthier 2011; Biau 2018a; Deboulet et Nez 2013; Nez 2010).

21 Olivier Chadoin (2013) souligne la difficulté d’établir une définition consensuelle de la notion de

"compétence". Celle-ci est appréhendée par les chercheurs à la fois comme une "norme", comme une référence commune aux acteurs (Dubar 1996), mais aussi comme étant reliée à l’action, que ce soit une « capacité à construire son propre travail » (Dubet 2002) et/ou une « capacité d’adaptation et d’actualisation

des habitants ou des usagers, dans les projets d’ame nagement ou de construction ? Des e volutions sont-elles perceptibles a cet e gard depuis le de but des anne es 2000 ? Quels en ont e te les de terminants ?

− En quoi les "appels a compe tences"22 en matie re d’implication des citoyens de ces vingt

dernie res anne es ge ne rent-ils des transformations dans les modes d’exercices des professionnels de la programmation, voire plus fondamentalement dans leur approche de l’activite et leur manie re d’envisager leur identite professionnelle ?

Pour re pondre a ces interrogations, cette recherche s’est appuye e sur trois hypothe ses.

1. La posture des professionnels vis-a -vis de la participation citoyenne serait en grande partie lie e aux objectifs et aux valeurs qu’ils associent a l’activite de programmation, a la façon dont ils envisagent cette pratique.

La premie re recherche mene e au de but des anne es 2000 sur les professionnels de la programmation en France (Alle gret, Mercier, et Zetlaoui-Le ger 2005) avait mis en e vidence une certaine bipolarisation des pratiques. Une premie re approche pluto t « normative » de la programmation se caracte risait par une recherche de rationalisation des me thodes de veloppe es. Elle se basait sur la construction et la reproduction de « mode les » et de solutions d’une ope ration a l’autre. La programmation s’apparentait a un exercice principalement mene « en chambre » et se focalisait sur l’e laboration d’un programme permettant au maï tre d’ouvrage de passer commande a un maï tre d’œuvre. La seconde approche, plus « stratégique »23, consistait a de finir un cadre

d’intervention et des outils prenant davantage en conside ration la spe cificite de chaque ope ration. Une plus grande importance e tait accorde e a l'organisation du syste me d'acteurs pour asseoir la faisabilite , la pertinence du projet et son appropriation collective. Les me thodes alors de veloppe es inte graient des dispositifs d'enque tes aupre s des utilisateurs, et parfois aussi aupre s d’usagers ou situations de travail spécifiques (par exemple une situation participative peut modifier les compétences professionnelles). Sur le plan réglementaire, dans le domaine de l’action publique, en urbanisme, elle renvoie aussi au fait de reconnaître chez un acteur un droit à exercer une autorité, à prendre une décision sur un sujet.

22 Cette notion, développée par Viviane Claude (2006) dans ses travaux sur les métiers de l’urbanisme au

XXème siècle, a été reprise et définie par Véronique Biau comme un ensemble « d’injonctions à l’élaboration et à la diffusion de savoirs nouveaux construits dans la négociation entre experts relevant de disciplines technico-scientifiques diverses, entre individus provenant de diverses positions dans la chaîne des acteurs : décideurs politiques, maîtres d’ouvrage publics ou privés, maîtres d’œuvre, entreprises, artisans, fabricants de composants » (Biau 2018a, 8). Au cours de notre recherche, nous avons considéré que les effets de ces

injonctions sur les représentations et les pratiques des professionnels de la programmation se construisent dans des "situations de projet". Ces dernières ont été envisagées comme des « situations d’appels à la

construction de nouveaux savoirs » (Bouché, Secci, et Weber 2018, 149).

23 Le caractère "stratégique" tient à une approche « capable de prendre en compte un contexte économique et urbain en transformation et des changements inattendus, issus de demandes sociales nouvelles » (C.

d’habitants. Moins centre e sur le programme, la programmation e tait conside re e comme une de marche d'aide a la de cision a chacune des e tapes d'un projet. Elle visait pour les praticiens qui e taient les plus proches de cette acception a mettre explicitement en relation les enjeux du projet, ses objectifs et les moyens de les atteindre24.

Ces deux tendances engageaient de ja diffe rents rapports aux destinataires finaux d’un espace ou d’un ame nagement, pre figurant ainsi, selon nous, diffe rentes pre dispositions ou attitudes vis-a - vis de la participation citoyenne. Nous avons ainsi suppose que les professionnels qui s’inscrivaient dans une acception assez « normative » de la programmation ne manifesteraient pas un inte re t particulier pour la participation ou l’envisageraient, au plus, comme un moyen de collecte de donne es. Ceux qui adopteraient une approche plus « stratégique » et contextualise e de velopperaient une vision plus e largie des personnes a impliquer regroupant l’ensemble des destinataires du projet : commanditaires, usagers, utilisateurs, habitants, riverains, etc.

2. Nous avançons aussi l’hypothe se que les enjeux de de mocratie et de durabilite , qui traversent depuis pre s de vingt ans les professions et les me tiers de la fabrication de la ville contemporaine (Bonnet 2009), contribueraient a une e volution des postures des professionnels de la programmation vis-a -vis de la participation citoyenne, y compris chez les plus « technicistes ». Il

24 Voir à ce propos les travaux de Jodelle Zetlaoui-Léger (2007 ; 2009 ; 2015).

Approche

Comment est appréhendée l'implication des destinataires du projet ? Quels destinataires ?

Normative

Moyen de collecte de données, de définition des besoins

Commanditaire, occasionnellement les utilisateurs

Stratégique

Inhérente à leur pratique L'ensemble des destinataires de l'espace bâti ou aménagé Figure 2 Les grandes tendances dans les approches de la programmation

conviendra ainsi de chercher si les deux tendances pre sente es continuent de marquer les pratiques contemporaines de la programmation.

Nous conside rons toutefois que ces potentiels d'e volution de la pratique de la programmation, ou des repre sentations qui y sont associe es, resteraient tre s marque s par le caracte re plus ou moins fortement "normalise " du secteur de production. Ainsi, les effets de l’impe ratif participatif pourraient se de velopper diffe remment en fonction du domaine dans lequel intervient le professionnel. De re centes recherches ont par exemple montre que l’ame nagement des espaces publics constituait des objets d’expe rimentation et d’apprentissage de la participation citoyenne en France depuis dix ans, alors que, hormis le cas particulier de l’habitat participatif, elles avaient du mal a se de velopper a l'e chelle de l'e difice (Gardesse et Grudet 2015; Malgorn 2013; Zetlaoui- Le ger et al. 2013b). En effet, on peut penser que les secteurs dans lesquels les syste mes de production sont soumis a de forts enjeux de rentabilite (logement, tertiaire) ou a de fortes contraintes techniques et se curitaires (hospitalier, judiciaire) connaï traient peu d’e volution au- dela du de veloppement d’enque tes aupre s des utilisateurs ou de l’accompagnement des usagers ou habitants dans l’adoption de "bonnes pratiques" par rapport a des enjeux environnementaux (Dris 2017b; Grudet, Macaire, et Roudil 2017).

3. Enfin, conside rant que le fait professionnel dans le champ de la production des villes se construit a travers la reconnaissance et la singularite d’une pratique, nous avons fait l’hypothe se que certains praticiens verraient dans l’e mergence de nouvelles attentes en matie re de participation citoyenne une possibilite pour valoriser leur expertise de programmation et pour mieux asseoir leur le gitimite dans le champ de l’ame nagement et de la construction de plus en plus concurrentiel (Biau et Tapie 2009; Claude 2010). Cette dernie re hypothe se s’appuie sur des re sultats de recherches qui ont porte sur le ro le des me canismes de reconnaissance et de conse cration dans la fabrication des identite s (Biau 1999; Molina 2010), sur le « travail

professionnel »25 (Chadoin 2013) et pour les plus re cents, sur les (re)positionnements des

praticiens de l’ame nagement face aux impe ratifs lie s a la participation citoyenne et au de veloppement durable (Biau 2018a; Lacroix 2019; Leonet 2018; Tribout 2015).

25 Entendu comme « un regard sur les pratiques renvoyant à deux dimensions : à la fois travail de production du bâti architectural et travail de production d’une identité professionnelle » (Chadoin 2013).

3. Appréhender les praticiens de la programmation comme un