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4. Un terrain flou et en mutation : mise en place d’une stratégie de recherche

4.3. Des méthodes qualitatives pour explorer des mutations

L’approche macrosociologique que nous avons de veloppe e visait a esquisser une repre sentation d’ensemble du groupe des professionnels de la programmation et des grandes tendances qui caracte riseraient son e volution. Cette me thode s’est inscrite dans une « stratégie de recherche » (Gauthier 2009) globale dont l’un des objectifs e tait aussi de comprendre de manie re fine et dynamique les positionnements des diffe rentes parties prenantes de ce groupe. Des techniques plus qualitatives ont e te mobilise es a cet effet.

4.3.1. L’observation d’espaces de valorisation et de socialisation

D’abord appre hende s comme des occasions de socialisation avec notre terrain, nous permettant de nouer diffe rents contacts pour mener a bien nos investigations, les espaces de de bats autour de l'activite de programmation et de sa valorisation sont tre s rapidement devenus des postes d’investigation. Nous avons ainsi mis en place entre 2014 et 2018 un protocole d’observation (Peretz 2004) des manifestations et des e ve nements relatifs a l’activite de programmation. Le Syndicat des Programmistes en Architecture et en Ame nagement, organisation professionnelle institutionnellement repre sentative de ce groupe qui joue un ro le important dans sa structuration, a constitue notre premie re voie d’acce s a ces lieux d’enque te. L’e tude de la position du syndicat vis-a -vis de la participation citoyenne, de ses liens avec les autres organisations, de ses partenariats, de son soutien a des cursus de formation, nous a permis de construire une premie re vision des strate gies d’inscription des programmistes dans le champ de l’urbanisme et de la construction. Nous avons par la suite e largi notre terrain pour nous inte resser a des initiatives mises en place par des institutions publiques ou des entreprises prive es de veloppant une activite de programmation et engage es dans sa promotion a travers de multiples actions, nous permettant de mieux identifier l’ensemble des espaces investis par les enque te s.

Au total, une vingtaine d’e ve nements a e te observe e (Cf. annexe 5). Nous avons proce de a leur enregistrement par audio ou prise de notes, puis effectue des analyses de contenu des verbatims recueillis et des documents communique s. L’acce s a ces e ve nements s’est fait de manie re "clandestine"44 : nous nous sommes toujours positionne e en observatrice non active, ne

participant pas aux de bats. Notre statut de doctorante, encore flou dans l’imaginaire collectif, "apprentie-chercheure" pour les uns, "e tudiante" pour les autres, a contribue a une certaine bienveillance a notre e gard. Enfin, un groupe engage dans un processus de professionnalisation cherche a la fois une plus grande reconnaissance sociale et une meilleure compre hension de sa propre structuration. Par conse quent, l’inte re t que pouvait porter une chercheure pour leur activite e tait pluto t bien perçu par ces professionnels, facilitant ainsi nos de marches45.

4.3.2. Appréhender le groupe par ses singularités individuelles : l’apport des entretiens

Des entretiens ont e te mene s tout au long de ce travail46 : les premiers ont e te re alise s a titre

exploratoire afin de construire le cadre de cette recherche, d'autres ont suivi l’enque te par questionnaire, avec des personnes engage es depuis plusieurs anne es dans des organisations professionnelles ou exerçant dans des domaines sous-repre sente s dans notre e chantillon de re pondants. L’entretien semi-directif a e te privile gie avec une conduite assez souple suivant la dynamique que lui donnait l'enque te (Kaufmann 2014). Nous nous sommes ainsi attache e, lors de l'e vocation du the me de notre recherche, a ne pas annoncer que la participation citoyenne en constituait un sujet central, estimant que le moment et la manie re d’e voquer le sujet par l’enque te pouvaient constituer des e le ments a analyser47. Notre consigne de de part a consiste a demander

a chaque interviewe de se pre senter. Cette consigne, nous en sommes consciente, comportait certaines limites. Pierre Bourdieu explique que la production du discours biographique repose sur le « souci de donner sens, de rendre raison, de dégager une logique à la fois rétrospective et

prospective, une consistance et une constance, en établissant des relations intelligibles, comme celle de l'effet à la cause efficiente ou finale, entre les états successifs, ainsi constitués en étapes d'un

44 Même si nous ne nous sommes jamais présentée lors de ces moments d’échange comme "enquêtrice",

certains acteurs avaient connaissance de notre sujet de recherche. Il s’agit essentiellement des professionnels rencontrés lors des entretiens. L’encadrement de la thèse par Jodelle Zetlaoui-Léger a pu aussi faciliter l’accès au terrain et à certaines données (notamment aux matériaux "bruts" de l’enquête menée en 2005). De nombreux professionnels connaissent ses travaux sur l’activité ou pour l’avoir côtoyée dans les formations à la programmation dans lesquelles elle intervient.

45 Les nombreuses requêtes formulées par des personnes enquêtées pour connaître les résultats de notre

enquête et parfois pour nous encourager dans notre démarche attestent de l’existence d’une forte demande chez ce groupe de pouvoir accéder à des connaissances sur leur profession.

46 Les premiers entretiens que nous mobilisons sont ceux menés dans le cadre du mémoire de DPEA en

2014 et les derniers ont eu lieu en 2020.

47 De même que pour l’enquête par questionnaire, nous nous sommes présentée comme une doctorante qui

développement nécessaire » (Bourdieu 1986, 69). Le sociologue pointe plus particulie rement la

tendance de l’enque te a se faire « l'idéologue de sa propre vie en sélectionnant, en fonction d'une

intention globale, certains événements significatifs et en établissant entre eux des connexions propres à leur donner cohérence » (ibid). Me me si elle induisait force ment des reconstructions, cette consigne a e te privile gie e car elle permettait de commencer l’entretien par un sujet tre s large et accessible, mais aussi parce qu’elle donnait a voir les aspects que l’enque te choisissait de mettre en avant pour se pre senter : l’appartenance a un groupe en particulier, une formation, un poste ou des responsabilite s professionnelles. Elle a e te accompagne e d’une se rie de questions portant sur les the mes suivants : le profil professionnel de l’enque te , sa trajectoire, la description de ses me thodes et pratiques, ses repre sentations des e volutions de l’activite , le re cit d’expe rience d’un projet particulier, sa vision de la participation citoyenne et ses enjeux pour le groupe. S’il e tait assez aise pour les interviewe s d’e voquer les principales e tapes de leur parcours professionnel, nous avons constate que la description de leurs me thodes de travail et de leurs pratiques e tait pour eux plus difficile a expliciter. La revendication d’une approche en constante expe rimentation et spe cifique a chaque projet pouvait apparaï tre pour certains comme contradictoire avec l’ide e de pre senter une de marche reproductible ou caracte ristique de leur me tier. Mais plus globalement, ces professionnels donnaient le sentiment qu’ils savaient « comment faire sans

nécessairement savoir comment dire ce qu'ils faisaient » (Giddens et Audet 2012, 72). Nous avons

alors tente de les interroger sur des situations de projet, de leur demander de relater des expe riences singulie res. Cette entre e s’est ave re e la plus adapte e pour tenter de restituer des pratiques en raison du profil de ces professionnels : majoritairement issus de formations en architecture ou en ame nagement, ils sont proches d’une « culture du projet ».

Au total, nous avons effectue une trentaine d’entretiens aupre s de professionnels de la programmation48. La dure e des entretiens a varie entre 1 h pour le plus court et 4 h 30 pour le

plus long. La quasi-totalite des entretiens s’est de roule e sur le lieu de travail des interviewe s, ce qui nous a donne la possibilite de de couvrir leur milieu professionnel. Cet e le ment loin d’e tre anecdotique nous a permis de recueillir des informations sur les moyens mate riels et humains dont ils be ne ficiaient, mais aussi sur les re fe rences qu’ils mobilisaient re gulie rement ou qu’ils cherchaient a valoriser en pre sence d’un visiteur. Nous avons alors syste matiquement note , dans nos carnets de terrain, les ouvrages et guides pose s sur leur bureau ou range s dans leur bibliothe que. Nous avons ainsi alimente le corpus des documents a analyser dans notre recherche.

48 Certains entretiens ont été menés auprès des mêmes personnes, à différents moments du processus

d’enquête, pour comprendre leurs actions et mieux saisir les évolutions de leurs pratiques et de leurs représentations.

4.3.3. L’analyse documentaire pour mieux cerner les registres de justification

Pour aborder les dynamiques de structuration de ce groupe, nous avons étudié les modalités de construction des savoirs et des savoir-faire qu’il cherche à valoriser. Outre les enquêtes menées par questionnaires et entretiens, nous avons identifié et analysé un corpus documentaire assez hétérogène pour mieux comprendre les différents registres de leurs actions et de leurs références. Celui-ci a englobé des contenus pédagogiques, des plaquettes de formation à la programmation, des ouvrages et des guides, des pages de sites internet et des cahiers de références des structures identifiées, des productions des professionnels de la programmation (études, programmes). En plus de ces matériaux, nous avons eu accès aux archives de deux organisations professionnelles : celles du Syndicat des Programmistes en Architecture et en Aménagement (SYPAA) et celles de l’Institut de Programmation en Architecture et en Aménagement (IPAA).

Nous avons également intégré à ce corpus les matériaux qui avaient été produits dans le cadre de la recherche menée par Jacques Allégret, Nathalie Mercier et Jodelle Zetlaoui-Léger en 2005. Outre de contribuer à construire notre cadre de réflexion, les données et les résultats qu’elle avait produits ont été pour partie remobilisés et réanalysés dans cette thèse. Nous avons utilisé certains des entretiens réalisés dix à quinze ans plus tôt, pour rendre compte de la construction historique du groupe. Nous avons aussi réexploité les bases statistiques constituées à l'époque avec une visée comparative49.

4.3.4. L’étude de cas ou comment opérer un changement de focale pour saisir des professionnels « en action »

Olivier Chadoin (2013) explique que l’élaboration de chaque projet urbain ou architectural, au- delà de ses spécificités propres, entraîne des « modes de régulation » qui amènent les professionnels à redéfinir les contours de leur rôle et à « négocier » leur place. L’analyse des dispositifs de projet s’avère ainsi une voie privilégiée pour l’observation du « fait professionnel ». C’est dans cette perspective que nous avons entrepris l’analyse d’un projet d’aménagement d’un espace public qui nous semblait révélateur de nouvelles tendances dans la manière qu’ont les maîtrises d’ouvrage d’aborder les démarches participatives, avec des incidences assez importantes sur la prise en charge de l’activité de programmation.

Pour mieux saisir la portée de ces évolutions, nous avons ainsi fait le choix de réaliser une étude de cas centrée sur un projet urbain plutôt que sur un professionnel. Cette approche, qui peut sembler en rupture avec les autres techniques d’investigation déployées, s’est inscrite dans la 49Ainsi que le rappelle Howard Becker (2002), l’utilisation de données produites par d’autres suppose de

réexaminer les conditions de leur production. La recherche publiée en 2005 portait sur les professionnels exerçant une activité de programmation de manière régulière ou occasionnelle, nous n’avons considéré dans nos travaux que ceux qui exerçaient la programmation de manière significative (Cf. annexe 4).

même quête de croisement des angles qui fonde notre démarche de recherche. L’objectif de ce décentrement était de comprendre les régulations qui se jouent dans un processus de projet urbain entre les différents acteurs amenés à prendre en charge des dispositifs participatifs et parfois, de manière plus ou moins explicite, sa programmation. Ce cas d’étude nous a alors permis d’observer de manière un peu plus directe les pratiques de certains professionnels, la manière dont ils déploient leurs savoir-faire, les dispositifs qu'ils mettent en place et les outils qu'ils mobilisent, ainsi que leurs positionnements et les coopérations engagées avec d'autres acteurs. Nous reviendrons plus précisément dans le chapitre consacré à ce cas d’étude sur les aspects qui ont justifié son choix.