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TITRE III Problématique, questions de recherche et méthodes

Chapitre 1 Problématique et questions de recherche

1. Problématique

La sociologie des curriculums et les sciences de l’éducation ont respectivement retracé l’origine, les fondements théoriques de l’APC et les difficultés que sa mise en œuvre peut engendrer lors du passage du curriculum prescrit au curriculum en acte dans les différentes matières d’enseignement. Les recherches menées dans des perspectives proches de la didactique ont mis en évidence, dans la mise en œuvre des programmes conçus selon l’APC, un certain nombre de difficultés dans l’enseignement, dans l’apprentissage et dans l’évaluation (Audigier, Crahay et Dolz, 2006 ; Audigier et Tutiaux-Guillon, 2008 ; Boutin et Julien, 2000 ; Dolz et Ollagnier, 2000). Par ailleurs, la variété des contextes d’implémentation des réformes curriculaires, les traditions des systèmes éducatifs concernés permettent de dire que ces réformes sont à chaque fois très particulières et que les définitions du terme de « compétence » qu’elles véhiculent ou promeuvent sont très différentes. Il n’existe pas un modèle unique de réforme curriculaire selon l’approche par compétences ! De la même façon, les déclinaisons de ces réformes varient selon les disciplines au sein d’un même pays. Enfin, de nombreux travaux en didactiques sur les pratiques enseignantes montrent que les parcours des enseignants, leur spécialisation, leur expérience mais aussi leur rapport aux savoirs disciplinaires et leur épistémologie pratique (Amade-Escot, à paraître ; Brousseau, 1986 ; Elandoulsi, 2011 ; Marlot, 2007, Sensevy, 2007) ont un impact en terme de transposition didactique des préconisations officielles se traduisant par des mises en œuvre très singulières. Dans le cadre des NPE au Bénin, ces préconisations officielles sont basées sur l’approche par compétences telle que nous l’avons discutée dans les titres I et II précédents.

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Les tenants des réformes curriculaires contemporaines considèrent que l’approche par les compétences constitue une révolution, un changement de paradigme éducatif conciliant les théories les plus actuelles sur l’apprentissage et les finalités les plus avancées d’une véritable « école démocratique » pouvant garantir l’accès du plus grand nombre à la maitrise des situations complexes auxquelles nous confrontent les sociétés actuelles. Qu’en est-il réellement au niveau des pratiques les plus ordinaires des enseignants dans leurs classes ? Ces réformes permettent-elles d’atteindre les objectifs ambitieux dont elles se prévalent ? A ce sujet, et face à « l’irrésistible ascension » de ce terme polysémique (Perrenoud, 1997), Dolz et Ollagnier (2000) se posent la question de savoir si c’est un effet de mode ou une nécessité ? Une façon de répondre à ces questions est de s’interroger sur l’épaisseur épistémique des apprentissages réalisés comme le discute Crahay (2006). Nous reprenons cette interrogation sur l’épaisseur épistémique de ce qui est enseigné au Bénin, pays qui a fait le choix, il y a maintenant plus de 10 ans, de passer de programmes basés sur la maîtrise d’objectifs reposant sur une logique de connaissances ou de savoir-faire très élémentarisés à un programme basé sur des compétences de nature fortement transdisciplinaires. En quoi les nouveaux programmes ont-ils transformé les pratiques ?

Les réponses aux différentes questions évoquées dans le paragraphe précédent sont évidemment très complexes et nous avons pu montrer dans cette première partie qu’elles étaient traversées de controverses idéologiques, théoriques et praxéologiques non résolues. Notre ambition est plus modeste. Nous souhaitons, à partir d’un point de vue didactique, c’est-à-dire spécifique du savoir enseigné, prendre au sérieux le titre de l’article de Johsua (2000) qui affirme que : « la popularité pédagogique de la notion de compétence peut se comprendre comme une difficulté didactique majeure ». Nous pensons que la réforme, mise en place au Bénin depuis une décennie constitue, dans ses formes comme dans ses excès, un terrain propice à l’exploration de la réalité de cette affirmation. Nous le faisons en nous intéressant aux modalités implémentation des programmes issus de cette réforme.

Aborder la question curriculaire par le biais de son implémentation et selon un point de vue didactique, amène à envisager non seulement la nature des contenus d’enseignement prescrits mais aussi les modalités de leur transmission dans le processus de construction qui

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relie obligatoirement enseignant-élève-savoirs. Notre problématique de recherche consiste donc à nous interroger sur le devenir des contenus (définis en termes de compétences) dans les « Nouveaux Programmes d’Etudes » au Bénin, en vue d’analyser comment ils sont mis en œuvre en situation dans des classes d’EPS et de SVT. Il faut entendre par implémentation l’ensemble des opérations qui permettent de définir un projet et de le réaliser : de l’analyse des besoins à l’installation et à la mise en œuvre. Dans cette recherche, nous nous intéressons aux contenus des programmes d’études en vigueur depuis dix ans ; aux points de vue des acteurs impliqués dans leur conception et leur mise en œuvre ; et enfin et surtout, à la manière dont l’approche par compétences – telle qu’elle a été développée dans notre pays – se traduit au niveau des pratiques enseignantes. Nous souhaitons identifier quels sont les objets d’enseignement enseignés (plus particulièrement en basket-ball et à propos des relations interspécifiques que constituent la prédation et le parasitisme), et quelles sont leurs références en tentant d’identifier au niveau des pratiques enseignantes les dynamiques sous-jacentes à leurs mises en œuvre.

Des recherches en didactique de l’EPS ont montré que c’est dans l’interaction en situation qu’émergent les contenus de l’enseignement (Marsenach et Mérand, 1987) et que se construisent les savoirs des élèves (Amade-Escot, 2003, 2007). Nous prolongeons ces travaux et sur la base des réflexions comparatistes menées en didactiques des disciplines depuis une dizaine d’années (Mercier, Sensevy et Schubauer-Leoni, 2002)qui renforcent le point de vue selon lequel les savoirs réellement enseignés sont le résultat de l’action conjointe entre professeurs et élèves (Sensevy et Mercier, 2007) et ce, quelles que soient les disciplines. Nous nous inscrivons donc dans une problématique d’analyse ascendante de la transposition didactique et dans une visée de comparaison entre deux disciplines : EPS et SVT.

La présente recherche se propose d’examiner les pratiques enseignantes afin d’analyser les savoirs réellement enseignés dans le contexte béninois. Autrement dit, il sera question d’analyser l’action didactique conjointe en EPS et en SVT dans le but de comprendre, comment l’enseignant et les élèves dans la mise en œuvre des NPE, interagissent pour construire une référence qu’il conviendra de caractériser. D’où la nécessité de disposer d’une analyse sur les contenus de ces programmes, ce qui fera l’objet de la première étude. Par ailleurs, et compte tenu des nombreuses critiques dont la réforme curriculaire a fait

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l’objet au Bénin, nous souhaitons aussi approfondir quel est le point de vue des acteurs ayant participé de façon plus ou moins impliquée à la conception, à l’implémentation et au suivi de sa mise en œuvre (inspecteurs, conseillers pédagogiques et enseignants). Ce sera l’objet de la seconde étude. Enfin, à la lumière des constats effectués lors des deux premières études empiriques, nous poursuivrons l’analyse de l’implémentation en conduisant des observations sur les situations d’enseignement apprentissage mises en œuvre par six enseignants contrastés du point de vue de leur ancienneté et de leur implication dans la réforme.

2. Questions de recherche

Nous les déclinons ci-après selon les trois études envisagées.

2.1. Le contexte curriculaire : les orientations des NPE en EPS et en SVT, analyse de contenus

Dans cette première étude nous analysons les attendus de la réforme au niveau de sa déclinaison sous forme de « textes de savoirs » (Chevallard, 1985). Nous tenterons de répondre aux questions de recherche suivantes :

- Quelle est la définition des disciplines scolaires EPS et SVT dans ces nouveaux programmes ?

- Quelles sont les acquisitions visées par les NPE en termes de compétences de connaissances, et aux regards des savoirs disciplinaires de l’EPS et des SVT ?

- Quels sont les objets d’enseignement proposés par ces nouveaux textes, quels sont leurs références, et selon quelles démarches doivent-ils être enseignés ?

La réponse à ces questions à partir d’une analyse de contenus des deux textes de programme (NPE-EPS et NPE-SVT) nous amènera à caractériser la matrice disciplinaire (Develay, 1992, 1995) proposée par chacun des deux programmes.

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2.2. Analyse des discours tenus sur les NPE par les acteurs de la réforme

Une réforme curriculaire suppose qu’un ensemble d’acteurs se coordonnent pour la mettre en place. Or, selon leur discipline, selon leur positionnement dans le système éducatif ces auteurs peuvent avoir des visions différentes de la réforme. L’ambition de cette seconde étude est de recueillir le point de vue des différents acteurs de l’implémentation de la réforme : d’une part ceux qui y ont participé en tant que concepteurs des programmes en EPS et SVT, c’est-à-dire principalement au Bénin, les inspecteurs et les conseillers pédagogiques (souvent considérés comme des « experts » qui appartiennent selon Chevallard, 1985, à la noosphère) ; et d’autre part, ceux qui ont été confronté à leur application : les enseignants de terrain. Cette étape de la recherche a consisté en un recueil de données à partir d’une enquête par entretien visant à répondre aux questions de recherche ci-après :

- Selon leur position dans le système éducatif béninois, les acteurs ont-ils un point de vue différent sur les l’implémentation des NPE ?

- Quels sont leurs avis sur les contenus de ces programmes, sur leur mise en œuvre et sur le devenir de la réforme ?

- Existent-ils des différences quant aux disciplines concernées (EPS et SVT) ?

2.3. Analyse des mises en œuvre des nouveaux programmes d’études en EPS et SVT

Cette troisième étude, constitue comme nous l’avons déjà évoqué le cœur de notre recherche. Il s’agit de décrire les modalités de mise en œuvre des NPE dans les classes en se focalisant plus particulièrement sur la manière dont les enseignants (trois en EPS et trois en SVT) interprète dans leur pratique quotidienne les textes et les préconisations qui leur sont faites. Nous menons donc une observation didactique (Leutenegger, 2003, 20090) des pratiques en classe pour mettre en évidence comme élèves et enseignants construisent dans l’action conjointe la référence dans ces deux disciplines. En poursuivant l’enquête précédente qui s’intéressait aux points de vue des acteurs sur l’implémentation, nous nous déplaçons alors vers l’analyse des pratiques, pour rendre compte de ce que nous avons

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appelé dans les chapitres précédents une analyse didactique du curriculum en acte .De cette problématique découlent les questions de recherche ci-après :

- Comment les NPE en EPS et SVT sont-ils traduits par les enseignants dans leurs classes ? Quels sont les objets mis réellement à l’étude ?

- Comment se co-construit et évolue la référence au fil des interactions didactiques? - Quelle épistémologie scolaire se dégage des pratiques observées ?

- Quels sont les aspects génériques et spécifiques qui se dégagent de l’observation des pratiques à la fois entre enseignants de statut ou d’ancienneté différentes mais aussi d’un point de vue comparatiste entre les disciplines enseignées ?

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