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Chapitre 1 Mise en contexte : droit des rapports collectifs

1.1 La problématique

« […] la législation du travail d’hier n’est pas née dans la tête d’experts, elle a résulté d’engagements, de conflits et de la négociation collective. Il n’y a pas de raisons de penser qu’il en sera autrement à l’avenir »

Deakin (2002 : 226) L’industrialisation a été rendue possible par la création du salariat et de la relation d’emploi18.

De ce phénomène, les historiens retiennent notamment la naissance de l’entreprenariat, qui a permis l’émergence d’un nouveau groupe social. Toutefois, la division des tâches, la parcellisation du travail, les exigences de formation minimale, l’interchangeabilité des travailleurs ainsi que la distinction entre conception et exécution du travail sont des phénomènes répertoriés pour expliquer l’apparition de l’antagonisme et de la confrontation dans les milieux de travail. Donc, les conditions de travail ont été rendues difficiles par l’émergence du taylorisme et du fordisme. En réalité, c’est cette conscientisation face aux problèmes reliés au capitalisme qui a donné au mouvement syndical toute son étendue. Pour Kerr (1955), nous devons cette conscientisation à « l’expansion rapide, turbulente et apparemment irréversible du syndicalisme et de la négociation collective » (cité par Giles et Murray, 1996 : 69).

Donc, pour les tenants19 de l’approche du pluralisme industriel, les relations de travail auront

un caractère conflictuel certain, découlant du lien de subordination et du principe de la balance du pouvoir. Puisque pour ces auteurs, le marché du travail repose sur un système où la prise de décision est le résultat de conflits et de compromis entre une multitude de groupes ayant des intérêts différents. Ces conflits sont articulés autour d’un ensemble de règles (la convention collective) mis en place par les travailleurs, les employeurs et leurs organisations, en réponse à l’adoption du Wagner Act 20 aux

États-Unis en 1935. Les principes généraux de cette législation influenceront considérablement le régime de relations de travail adopté au Canada (dans les secteurs économiques reliés aux efforts de guerre, par le biais de l’Arrêté en conseil 1003) et au Québec (par la Loi sur les relations ouvrières21)

18 Les travailleurs ont échangé leur force de travail contre un salaire. 19 Notamment Kerr, Fox, Flanders.

20 National Labor relations Act (Wagner Act), 1935 ch.372, Stat. 449; 29 USC. 21 S.Q. 1944, c.30.

en 1944. Subséquemment, la représentation collective dans le secteur privé en Amérique du Nord s’arrimera à l’entreprise. Cela étant, le pouvoir et sa répartition entre les acteurs seront des éléments primordiaux dans l’étude des relations de travail.

L’essor du syndicalisme est en partie lié avec le développement de l’intervention étatique vis- à-vis du travail. Cependant, comme dans de nombreuses autres sociétés libérales, le droit du travail québécois s’est aussi développé avec l’évolution de l’économie, plus précisément avec l’évolution de l’organisation de la production et de la fourniture des biens et services; il a donc été marqué par le contexte social et politique dans lequel il a émergé. Ce droit, malgré ses déficiences, a apporté une certaine solution aux problèmes du déséquilibre entre les employeurs et les personnes à leur emploi, dans le contexte d’industrialisation du milieu du vingtième siècle.

La problématique centrale de notre recherche nous conduira à tracer le portrait de l’évolution du devoir de représentation syndicale en regard de la discrimination au travail, pour ensuite évaluer les effets de l’inféodation du droit des rapports collectifs aux principes des Chartes22 sur l’activité

syndicale. Nous avons retenu l’hypothèse que le mouvement syndical est à la recherche d’un nouvel

équilibre, en raison des présentes transformations du marché du travail. Nous évoquerons notamment

la constitutionnalisation du droit du travail, la prolifération de nouvelles formes d’emploi et l’hétérogénéité de la main-d’œuvre qui provoquent des changements dans les relations du travail, celles-ci changeant tant en forme qu’en contenu. La négociation devient raisonnée et les contrats sont de longue durée (en continu). Le rapport de force est inversé. Les employeurs décrètent des lock-out de longue durée (Journal de Québec, Pétro-Canada, Journal de Montréal) pendant que dans le secteur public, les syndicats se mobilisent et font front commun (2009) afin d’éviter de se faire imposer des conditions salariales par des mesures législatives, comme en 2005. La réorganisation et la flexibilité se négocient en échange d’une protection accrue pour ceux qui restent.

Aujourd’hui, le monde du travail est confronté à plusieurs changements, tels que le bouleversement des contextes économiques, technologiques, politiques, sociaux et juridiques, la

22 Il s’agit d’une part de la Charte canadienne des droits et libertés Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 [Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada 1982).R.-U.,ch.11], droit constitutionnel et de la Charte des droits et

mondialisation, la diversité de la main-d’œuvre, etc. Le métissage23 des droits, la diversité religieuse, sexuelle, raciale, psychologique et physique tant par l’âge que par les handicaps, représentent pour l’employeur et pour le syndicat de nouveaux défis d’intégration. Devant cette conjoncture, le mouvement syndical éprouve certaines difficultés à s’adapter et à jouer un rôle important dans la nouvelle réalité sociale et économique24. Selon un certain discours25, le syndicalisme dans sa forme

traditionnelle serait en voie d’extinction. Sans être aussi alarmiste, il faut reconnaître que le contexte est manifestement plus hostile que favorable au mouvement syndical nord-américain. Celui-ci, en raison de nouvelles structures industrielles et économiques et d’un contexte juridique de plus en plus prégnant tardant à s’adapter (comme nous le verrons plus loin), fait face à un rétrécissement du domaine du travail salarié. Ceci se traduit notamment par des problèmes de représentativité et d’efficience de l’action syndicale, tout spécialement en matière de droit à l’égalité.

Par conséquent, nous pourrions avancer à l’instar de Supiot (1990 : 488) que le droit du travail sera un perpétuel balancement entre les notions de l’individuel et du collectif, de subordination et de liberté, de contrat et de statut. Bich26 (1993 : 558) nous apprend qu’il existe en France un droit au travail reconnaissant la complémentarité du contrat individuel et collectif. Dans la législation française, l’emploi est la principale source de sécurité économique des personnes. Donc, le droit du travail et le droit de la sécurité sociale constituent l’ensemble juridique concernant le statut de l’emploi. Au Québec, il existe un droit des rapports collectifs, qui dans les faits27 laisse peu de place au contrat

individuel quand il existe un contrat collectif. La jurisprudence (Cour suprême et sentences arbitrales) a reconnu à plusieurs occasions la primauté de la convention collective comme source de droit. Toutefois, comme le note l’auteure, cet état de fait ne conduit pas pour autant à l’inexistence du droit commun; le monopole de représentation syndicale (unitarisme) semble plutôt suspendre une partie de la liberté individuelle, qui selon les préceptes du droit commun, permet de conclure un contrat ou des conditions de travail sur une base individuelle (Bich, 1993 : 549) (nous y reviendrons plus longuement au chapitre 2, section 2.4.1 et 2.4.2). Nous avons aussi constaté que s’il semble reconnu au droit des rapports collectifs une certaine spécificité, et ce, pour l’ensemble des pays occidentaux, il y aurait

23 Au sens de croisement, plutôt que de subordination.

24 Plusieurs auteurs ont abondamment documenté cette réalité, entre autres : (Kaufman, 1993, 2004, Giles et Murray, 1988, Murray, Morin, Da Costa et coll., 1996, Murray, 2004, Edward, 2005, Heckscher, 1996).

25 www.pourunquebeclucide.com, consulté en septembre 2009

26 L’auteure présente une intéressante comparaison entre le droit du travail français civiliste et le droit du travail québécois mixte, pouvant expliquer une partie de ce balancement.

27 Confirmé encore récemment par le jugement Isidore Garon. Isidore Garon ltée c. Tremblay; Fillion et Frères

néanmoins une différence entre les pays qui proviendrait de la logique28 (interventionniste ou réflexive) de construction du droit du travail. Cependant, il faut retenir que dans « tous les pays capitalistes, l’État produit des règles pour encadrer les rapports de travail, ou pour imposer des solutions » (Jeammaud, 1980 : 212).

À l’instar de Belley29 (2008), nous croyons que le droit du travail est relativement complexe au

Québec. En effet, le domaine du droit du travail se révèle vaste et composite. Différentes lois et plusieurs règlements affirment maintenant l’importance sociale du travail – que ce soit par les programmes d’accès à l’emploi, les programmes de formation continue, etc. – auxquels il convient d’ajouter certains développements jurisprudentiels concernant l’obligation d’accommodement raisonnable, la contrainte excessive, etc. En adoptant la Charte des droits et libertés de la personne en 1975, l’État québécois reconnaissait le droit des personnes à l’égalité et à la dignité. Bref, le droit du travail a influencé tant le progrès social, l’amélioration des conditions de vie des travailleurs, la protection des libertés fondamentales que la règlementation des rapports collectifs de production (afin de garantir la paix industrielle).

Le droit du travail englobe plusieurs champs30, dont celui des rapports collectifs. Le Code du

travail ne représente donc qu’une partie du droit du travail. Il encadre les rapports collectifs. Il donne

28 L’interventionniste peut se définir selon Coutu (2004b) comme le passage de l’État libéral à l’État social interventionniste ; l’État produit ici les règles du travail. Par opposition, la logique réflexive ou relationnelle se définirait par la reconnaissance de l’autonomie normative dite autonomie collective, qui assure la négociation d’une convention collective de travail par les parties.

29 En fait, le Code du travail ne représenterait que 30% de la législation relative au travail selon Belley lors d’une vidéo-conférence présentée en avril 2008.

Disponible sur http://www.crimt.org/Francais/Accueil_fr.html, consultée le 24 mai 2009.

30 Le Code du travail, L.R.Q., c. C-27, la Loi sur les décrets de convention collective, L.R.Q., c. D-2, la Loi sur le

statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d'art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, L.R.Q., c. S-32.01, la Loi sur le statut professionnel et les conditions d'engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma, L.R.Q., c. S-32.1, la Loi sur les syndicats professionnels, L.R.Q., c. S-40, la Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des affaires sociales, L.R.Q., c. U-0.1, etc. ; les conditions

minimales du travail (la loi sur les normes du travail L.R.Q., c. N-1., la Loi sur les heures et les jours d'admission

dans les établissements commerciaux, L.R.Q., c. H-2.1, la Loi sur la fête nationale, L.R.Q., c. F-1.1, etc. ); la

formation (la Loi favorisant le développement et la reconnaissance des compétences de la main-d'œuvre, L.R.Q., c. D-8.3, la Loi sur la formation et la qualification professionnelles de la main-d'œuvre, L.R.Q., c. F-5, la Loi sur

le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale et sur la Commission des partenaires du marché du travail,

L.R.Q., c. M-15.001, ainsi que la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la

main-d’œuvre dans l'industrie de la construction, L.R.Q., c. R-20) ; la santé sécurité au travail (incluant la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., c. A-3.001 et la Loi sur la santé et la sécurité du travail, L.R.Q., c. S-2.1) ; le contrat de travail individuel (certains extraits du Code civil du Québec L.Q. 1991, c.

comme responsabilités premières au syndicat accrédité la négociation (généralement décentralisée) de la convention collective et l’administration de celle-ci. De plus, en accordant le monopole de représentation de tous les salariés à l’association syndicale majoritaire, il crée l’obligation pour le syndicat accrédité de représenter tous les salariés, membres ou non de l’unité d’accréditation. Ainsi, la façon dont le syndicat doit représenter le salarié est circonscrite par le Code du travail et la jurisprudence s’y rattachant: il négocie des conditions de travail et voit à ce qu’elles soient respectées. De plus, il doit représenter l’employé(e) lors d’un désaccord avec l’employeur découlant de l’administration, de l’interprétation ou du non-respect de la convention collective, y compris en cas de discrimination.

Dès lors, des questions incidentes se posent concernant particulièrement le rôle du mouvement syndical afin de garantir la représentation et la protection des travailleurs; l’interaction entre les droits et libertés de la personne et le devoir de représentation; la perception et l’application par l’acteur syndical des normes relatives aux droits et libertés de la personne en cas de discrimination au travail. Ce qui nous intéressera ce sont les effets, sur l’acteur syndical québécois et plus particulièrement sur le devoir syndical de représentation au sens large, des interactions produites par le recours au droit à la non-discrimination (la norme d’égalité) à la suite de la négociation de clauses « orphelin ». Les enjeux découlant des clauses « orphelin » sont nombreux, ce tant par leurs possible effets discriminatoires sur les nouveaux arrivants sur le marché du travail, que par la rupture des solidarités intergénérationnelles, que par l’accroissement des inégalités sociales et l’antinomie du discours syndical. Notre réflexion et notre analyse de la réponse syndicale s’attarderont aux impacts de la constitutionnalisation du droit du travail sur l’acteur syndical, compte tenu que deux conceptions de l’égalité s’entrechoquent.

Au chapitre 2, nous discuterons des interactions entre le droit des rapports collectifs et le droit à l’égalité. Cependant, puisqu’il serait hasardeux de tenter de les identifier sans recourir à des éléments d’analyse historiques et factuels concernant le droit des rapports collectifs au Québec, nous présentons d’abord l’historique du droit des rapports collectifs dans la prochaine section (1.2). Suivront

64 et du Code de procédure civile L.R.Q., c. C- 25 , ainsi que d’autres lois telles : la Loi sur l'accès à l'égalité en

emploi dans des organismes publics, L.R.Q., c. A-2.01, la Loi sur l'équité salariale, L.R.Q., c. E.12.001, la Loi sur le Conseil consultatif du travail et de la main d'œuvre, L.R.Q., c. C-55, la Loi sur l'équité salariale, L.R.Q., c.

E.12.001 etc.). ; sans compter les nombreux règlements et les Chartes (la Charte canadienne des droits et

libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 [Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada 1982).R.-

U.,ch.11], la Charte des droits et libertés de la personne, L.Q.R., c. C-12 et la Charte de la langue française, L.R.Q., c.C-11.

respectivement la présentation des éléments centraux du Code du travail (1.3) et du devoir de représentation syndicale tel que défini par le Code du travail (1.4). Nous terminerons ce chapitre en développant deux enjeux importants pour l’acteur syndical découlant spécifiquement du Code. Nous favorisons cette approche d’abord parce qu’elle permet de situer le contexte dans lequel se trouve maintenant l’acteur syndical, mais également parce que la constitutionnalisation du droit du travail représente un important problème pour celui-ci.