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Chapitre 1 Mise en contexte : droit des rapports collectifs

1.3 Les éléments centraux du Code du travail

1.3.3 Le cadre juridique de la convention collective

Les trois premières conditions d’existence de la convention collective découlent de sa définition même (art. 1d C.t.) : « Une entente écrite relative aux conditions de travail conclue entre une ou plusieurs associations accréditées et un ou plusieurs employeurs ou associations d’employeurs » (nos soulignements). Ainsi, pour être reconnue officiellement, la convention collective doit être écrite – en français (en accord avec la charte québécoise de la langue française) – conclue par une association accréditée et porter sur des conditions de travail. Cette notion de conditions de travail n’est pas définie dans le Code du travail, l’objectif du législateur étant de favoriser le rapport collectif et non pas d’intervenir dans le contenu. Il faut savoir que les tribunaux interprètent très largement cette notion de conditions de travail59. D’une part, afin de préserver une certaine souplesse permettant de suivre les

transformations du marché du travail et parce qu’ils considèrent que les parties sont les mieux placées pour déterminer concrètement leurs besoins en matière de conditions de travail, sous réserve du respect des règles d’ordre public (art. 62 C.t.), d’autre part. Ceci étant, le contenu de la convention collective variera selon la taille, le secteur, le groupe de salariés visés et la nature de l’entreprise. Des réalités distinctes s’exprimeront dans des clauses différentes. Ces différences sont parfois si fortement prononcées que la plupart des conventions possèdent leur propre terminologie.

Certaines normes sont impératives, telles que celles contenues dans les Chartes canadiennes et québécoises60, la Charte de la langue française61, le Code du travail62, la Loi sur les normes du

travail63, la Loi sur les décrets de convention collective64, la Loi sur l’équité salariale65, les multiples lois et règlements en santé et sécurité66, la Loi sur les régimes complémentaires de retraite67, les

59 Cela depuis la décision de la Cour suprême Syndicat catholique des employés de magasins du Québec inc. c.

La cie Paquet ltée [1959] R.C.S.206. Depuis ce jugement, selon les auteurs Morin, Brière, Roux et Villaggi,

2010 : 1161), tout ce qui a trait à la relation d’emploi tant sur le plan individuel que collectif constitue, aux yeux des différentes instances, une condition de travail.

60 Charte canadienne des droits et libertés, Partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 [Annexe B de la Loi de

1982 sur le Canada 1982).R.-U.,ch.11], no 44 et la Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ. c. C-12.

61 RLRQ, c. C-11. 62 RLRQ, c. C-27. 63 RLRQ, c. N-1.1. 64 RLRQ. c. D-2.

65 RLRQ. c. E-12.001 r.1.

66 Notamment la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles RLRQ. C. A-3.001 et la Loi sur

la santé et la sécurité du travail RLRQ. C. S-2.1, cependant cette loi n’est pas applicable aux entreprises de

programmes d’accès à l’égalité ou d’équité en emploi68, etc. D’autres seront considérées supplétives. Celles-ci seront beaucoup moins contraignantes, puisqu’elles ne s’appliqueront que si les parties n’ont pas prévu d’autres modalités (Vallée et Bourgault dans Jalette et Trudeau, 2011 : 33).

La convention collective se limite aux parties visées par l’unité d’accréditation, cela même si à l’occasion une partie de la négociation peut être centralisée69. Au Québec, la signature de la convention

collective ne peut avoir lieu qu’après un vote, au scrutin secret, de ratification par les membres (art. 20.3). Cependant, la règle d’unicité (c’est-à-dire, le fait de n’avoir qu’une seule convention collective en vigueur) s’applique toujours (art. 67, al.2, C.t.). Une dernière condition d’existence, la date d’entrée en vigueur (art. 72 C.t.), détermine que la convention prendra effet à compter du moment du dépôt en deux exemplaires auprès du ministre du travail (rétroactif à la date prévue ou à la date de signature).

La convention collective échappe au principe de droit commun voulant qu’un contrat n’ait d’effet qu’entre les parties qui l’ont conclu (art. 45 C.t.), au sens où elle engage le nouvel employeur en cas de vente ou de concession totale. Au moment de l’achat, celui-ci y devient alors partie en lieu et place de l’employeur précédent (Coutu et coll., 2013 : 240). Toutefois, depuis la modification de l’article 45 C.t. (2003), la convention est présumée caduque dans le cas d’une concession partielle, le jour de la prise d’effet de la concession (art. 45.2 al.1 C.t.) aux fins des relations du travail entre le nouvel employeur et l’association de salariés concernés.

C’est donc l’ampleur des effets de la convention collective qui justifient le formalisme70 qui la

caractérise. Dans la littérature, nous avons répertorié deux types d’effets liés à la signature de la convention collective. D’un côté, un effet contractuel, du fait qu’elle s’impose aux parties signataires,

67 RLRQ c R-15.1, r 6.

68 Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics RLRQ. C. A-2.01 et la Loi sur l’équité en

matière d’emploi L.C. 1995 ch. 44.

69 On parlera à ce moment d’un accord cadre négocié à une table centrale qui s’appliquera en fonction d’un secteur, d’une région ou d’une entreprise auquel les parties locales ne pourront déroger que dans la mesure ou celui-ci le permet pour des ajustements locaux. Juridiquement parlant, chacun des établissements où il existe une association accréditée aura toutefois sa propre convention collective, incluant ou non des particularités locales (Bergeron et Paquet, 2006 : 27-28).

70 Par formalisme, nous faisons référence au cadre législatif (formel) régissant la négociation et l’administration de la convention collective.

puis de l’autre, un effet règlementaire, la convention collective valant pour tous les salariés, membres ou non de l’unité de négociation – un effet comparable à celui d’une norme impérative. C’est donc dire que des ententes individuelles sur des sujets conventionnés ne sont pas permises, à moins d’une entente préliminaire avec le syndicat. Sans compter qu’à la suite de la signature de la convention collective, le rôle du syndicat change; en effet, d’agent négociateur, il devient responsable de l’application et de l’interprétation de la convention collective (art. 69 C.t.). Mais l’effet principal de la conclusion d’une convention collective sur le syndicat accrédité demeure d’encourager « la stabilité de son existence » (Vallée et Bourgault dans Jalette et Trudeau, 2011 : 35-44). La convention collective, de par sa « portée quasi règlementaire » (Coutu et coll., 2013 : 239), donne des droits aux travailleurs en échange de leur prestation de travail, limite le droit de gérance et établit les règles du « vivre-ensemble ». Elle est considérée comme un instrument de justice sociale permettant de civiliser les rapports dans les milieux de travail, tout en offrant une protection contre l’arbitraire patronal. Bref, l’exercice de la négociation collective a comme principal résultat que la convention collective devient l’aboutissement de la démocratie au travail, et ce, malgré le fait qu’elle soit le produit de deux idéologies de négociation en opposition. L’idéologie exprime ici que malgré un intérêt commun pour la survie de l’entreprise, il existe une profonde divergence dans les intérêts et les objectifs fondamentaux des parties. Pour le syndicat les principales revendications concernent la protection des travailleurs et le juste partage des progrès économiques; pour l’employeur les aspects de flexibilité et de rentabilité seront les enjeux majeurs, puisque dans les faits la convention collective vient limiter son droit de « gérance ».