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Chapitre 1 Mise en contexte : droit des rapports collectifs

1.3 Les éléments centraux du Code du travail

1.3.4 La négociation et l’administration de la convention collective

Tant l’exercice de la négociation que celui de l’administration de la convention collective sont balisés par le Code du travail. Ainsi, deux points essentiels ressortent en ce qui concerne la négociation collective: l’obligation de négocier avec diligence et de bonne foi (art. 53 al. 2 C.t.) (et prendre les moyens pour y arriver) ainsi que l’encadrement des moyens de pression, soit le droit à la grève ou au lockout (art. 58 C.t.). Néanmoins (conscient de certaines limites, sur lesquelles nous reviendrons concernant le syndicat), le législateur n’a aucunement prévu d’obligation de résultat mais plutôt une obligation de moyen lors de l’exercice de négociation.

Outre la diligence et la bonne foi, quelques dispositions du Code du travail prévoient les conditions procédurales de la négociation, soit celles se rapportant : à quel endroit et quels sont les délais requis (art. 52); à l’acquisition du droit de grève ou de lockout (art. 58); aux mécanismes d’aide ou de substitution – tels que la conciliation71 (art. 54 et 55 C.t.) et l’arbitrage de différend (art. 74 à 93

C.t) – ainsi qu’à la tenue d’un vote lors de la négociation collective (art. 58.2 C.t.); à l’encadrement des moyens de pressions (grèves ou lockout), notamment pour les services essentiels, aux conditions de l’exercice de ces droits et aux sanctions prévues si une partie fait défaut à ses obligations (art. 141 et 144 C.t.).

Par ailleurs, il faut noter que si l’arbitrage de différend est optionnel dans le secteur privé, les parties doivent en faire la demande en cas d’impasse durant la négociation, dans le cas des pompiers et des policiers, ce mécanisme devient le recours prévu par le législateur lorsque la négociation achoppe; puisque ceux-ci n’ont pas accès au droit de grève (section II, art. 94 et suivants du C.t.). Le cas des constables spéciaux (agents de la paix) est quant à lui atypique. En effet, les constables spéciaux, tout en étant fonctionnaires, constituent un groupe distinct de travailleurs ne pouvant être représentés par le SFPQ en vertu de l’article 64 L.f.p. Toutefois, en vertu de l’article 66 de cette même loi, ils peuvent former une association accréditée. Le mode de négociation est prévu aux art. 71 et 72 L.f.p. Le comité paritaire est chargé de commencer et de poursuivre les négociations auxquelles ses membres participent à titre de représentants du Conseil du trésor ou de l'association accréditée, en vue de la conclusion ou du renouvellement d'une convention collective. La matière sujette à négociation est délimitée par l’art. 70 L.f.p72. Ce comité est composé d'un président (celui-ci n'a pas droit de vote),

71 La médiation n’est pas encadrée par le Code du Travail, mais par l’article 13(1E) de la Loi sur le ministère du

travail RLRQ, c.M-32.2.

72 L’art. 70 de L.FP. est ainsi libellé : Les fonctionnaires sont régis par les dispositions de la convention collective qui leur sont applicables ou, à défaut de telles dispositions dans une telle convention collective, par les dispositions de la présente loi et de la Loi sur l'administration publique (chapitre A-6.01). Toutefois, aucune disposition d'une convention collective ne peut restreindre ni les pouvoirs de la Commission de la fonction publique, ni ceux du président du Conseil du trésor relativement à la tenue de concours de recrutement et de promotion et à la déclaration d'aptitudes des candidats. En outre, aucune disposition d'une convention collective ne peut restreindre les pouvoirs d'un sous-ministre, d'un dirigeant d'organisme, du gouvernement ou du Conseil du trésor à l'égard de l'une ou l'autre des matières suivantes:

1° la nomination des candidats à la fonction publique ou la promotion des fonctionnaires;

2° la classification des emplois y compris la définition des conditions d'admission et la détermination du niveau des emplois en relation avec la classification;

3° l'attribution du statut de fonctionnaire permanent et la détermination de la durée d'un stage probatoire lors du recrutement ou de la promotion;

4° l'établissement des normes d'éthique et de discipline dans la fonction publique;

nommé par le gouvernement, après consultation de l'association concernée et de huit autres membres (dont quatre sont nommés par le Conseil du trésor et quatre par l’association accréditée). L’association accréditée n’a pas de droit de grève (art. 69 L.f.p) et le mode de règlement des différends est négocié par le comité (art. 76 L.f.p.). Dans le cas des constables spéciaux, il existe un processus d’arbitrage de différends, mais la décision rendue n’est pas exécutoire73.

Si dans l’exercice de la négociation collective, le syndicat est tenu à une obligation de moyen par le Code du travail et les différentes interprétations successives de la CRT, il en est autrement dans l’administration de la convention collective. En effet, le Code du travail prévoit qu’en cas de litige (conflit d’interprétation ou d’application), le recours à l’arbitrage de grief est obligatoire (art. 100- 102 C.t.). Ainsi, « l’interprétation de la convention collective est soumise […] à un tiers neutre et impartial doté de pouvoirs quasi judiciaires, l’arbitre de grief, dont la sentence est obligatoire et exécutoire pour toutes les parties au litige (art. 100 C.t.). La décision est finale et sans appel (art. 101 C.t.) » (Coutu et coll., 2013 : 240).

1.3.4.1 L’arbitrage de grief

Le grief est le moyen formel de prévention ou de correction d’une violation de la convention collective. À cet égard, les tribunaux d’arbitrage occupent donc « une position particulière, puisque ceux-ci sont avant tout un ordre juridique privé » (Coutu et Marceau, 2007 : 148). Les arbitres de griefs ont compétence exclusive pour toutes mésententes découlant de l’application ou de l’administration de la convention collective74. Donc, les plaintes seront essentiellement déposées par le syndicat, incluant

celles en lien avec la discrimination dans les milieux syndiqués.

L’arbitrage obligatoire de griefs a été instauré au Canada dès 1944, dans le but de restaurer une relative paix industrielle (Hébert, 1992 : 174). La législation imposera l’arbitrage obligatoire comme

73 L’article 40.03 de la convention collective des constables spéciaux (2010-2015) stipule que « la sentence arbitrale constitue une recommandation au gouvernement ; toute recommandation de l’arbitre approuvée par le gouvernement a l’effet d’une convention collective signée par les parties ».

74 Néanmoins, rappelons au lecteur que, dans l’affaire Morin, la Cour suprême a statué en 2004 que le TDPQ a compétence lorsqu’il s’agit de la négociation d’une clause discriminatoire.

règlement final lors d’un désaccord sur un grief. Au Québec, ce ne sera cependant qu’en 1961 que le droit de faire la grève à tout moment sera retiré et remplacé par l’arbitrage obligatoire et exécutoire pour tout grief non-réglé par discussions internes. Puis, en 1974, l’arrêt McLeod c. Egan75 élargissait le périmètre de l’arbitrage : l’arbitre pouvait dorénavant interpréter ou appliquer une loi ou un règlement d’ordre public dans la mesure où cela s’avère nécessaire afin de rendre sa décision. À la suite de cette décision, le gouvernement du Québec réformera le Code du travail en 1977 afin de permettre explicitement à l’arbitre d’interpréter un texte législatif (art. 100.12 C.t.).

Aujourd’hui, non seulement les arbitres peuvent-ils se référer aux différentes lois lorsque nécessaire, mais encore doivent-ils, depuis l’arrêt Parry Sound de 200376, rendre leurs décisions en fonction des droits reconnus par les Chartes en cas de discrimination, cela, « même si le litige découle directement de la législation d’intérêt général en matière de conditions de travail et d’emploi, même si ce litige ne peut à proprement parler être considéré comme un grief » (Trudeau, 2005 : 274). En effet, les droits fondamentaux ont primauté sur la convention collective de par leur nature constitutionnelle ou quasi constitutionnelle77. Quoi qu’il en soit, pour le redire, les arbitres assument dorénavant un rôle

mixte (privé/public), encadré par les lois du travail, les lois constitutionnelles et la convention collective.

Comme le souligne toutefois Nadeau (2005 : 153-175), les instances que représentent la CDPDJ et le TDPQ demeurent tout de même un vecteur privilégié et important de pénétration des droits fondamentaux de la personne dans les milieux syndiqués. Ceci est d’autant plus vrai que l’arbitre n’a, en principe, pas droit à l’erreur en cas de discrimination, puisque les tribunaux supérieurs interviendront pour s’assurer de la mise en œuvre des Chartes des droits et libertés, en révisant la sentence arbitrale au regard de la norme de la décision correcte. Ce contrôle judiciaire n’amène pas nécessairement la Cour supérieure à rendre une décision définitive. La Cour retournera fréquemment le dossier en arbitrage78 afin que la cause soit entendue à nouveau et que la décision soit « respectueuse

75

McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517 (date: 1974-05-27).

76 Parry Sound (District), conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324 [2003] CSC 42.

77 Selon notre revue des travaux, cela signifierait que pour certains juristes ils seront implicitement inclus dans toute convention collective, tandis que pour d’autres, les conventions collectives seront au moins subordonnées aux droits fondamentaux.

78 Le dossier n’est retourné à l’arbitre que s’il y a une raison valable, par exemple, présence d’une question mixte de faits et de droit qui exige de réexaminer la preuve, cette fois à la lumière de prémisses « correctes ».

des paramètres délimitant dorénavant la juridiction de l’arbitre » (Pelletier A. 2006 : 39). Nous y reviendrons ultérieurement à la section 2.4.

Bref, non seulement le Code du travail encadre et balise les rapports collectifs, mais la CRT joue aussi le rôle de gardien de la paix industrielle. Le système est administré par un tribunal administratif, la Commission des relations de travail. Tel que prévu par le Code du travail, celle-ci dispose de larges pouvoirs d’enquête, d’ordonnance, de réparation, etc. Le Code du travail définit non seulement la procédure d’accréditation – c’est-à-dire la manière de former une association reconnue par l’État – mais également la possibilité de changer d’association. L’obtention de cette accréditation accorde la reconnaissance officielle à l’association des salariés. Des droits, des devoirs et des responsabilités pour chacune des différentes parties découlent de cette reconnaissance, la plupart étant enchâssés à même le Code du travail. L’association accréditée devient le porte-parole unique de tous les salariés (membres ou non) couverts par l’accréditation (monopole de représentation) en échange d’un devoir de juste représentation, balisé par une obligation d’égalité de traitement. Les associations accréditées sont protégées tant des pratiques déloyales qui inhibent l’exercice du droit d’association, que des pressions financières indues, par la procédure de la retenue à la source obligatoire. De plus, le

Code du travail oblige les parties à négocier de bonne foi des conditions de travail et reconnaît le

caractère obligatoire de la convention collective signée et déposée. Finalement, seront aussi encadrés la gestion des conflits, en favorisant la conciliation, la médiation ou l’arbitrage de différends, les moyens de pression (grève ou lockout) et le recours obligatoire à l’arbitrage de grief en cas de conflit d’interprétation ou d’application de la convention collective. Ayant sommairement développé l’encadrement juridique offert par le Code du travail et la Loi sur la fonction publique, nous tenterons maintenant de cerner comment l’acteur syndical peut, dans ce contexte législatif, moduler ses actions et ses stratégies afin d’offrir une meilleure protection et l’égalité au travail à tous les travailleurs.