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Chapitre 1 Mise en contexte : droit des rapports collectifs

1.4 Le devoir syndical de représentation et le Code du travail

1.4.3 Deux définitions données au terme discrimination

L’interprétation donnée à l’art. 47.2 C.t. établit deux différences avec la notion de discrimination au sens de l’art.10 la Charte québécoise. Primo, il n’y pas de lien nécessaire avec un motif illicite de discrimination. En fait, la discrimination au sens du Code du travail s’interprète simplement comme un traitement inégal ou différent. Secundo, une intention malveillante92 est exigée.

Conséquemment, en vertu du Code du travail (art. 47.2) il suffira au syndicat de démontrer lors de sa défense qu’il a agi de bonne foi, de manière objective et honnête après une étude sérieuse de la situation, en tenant compte des intérêts légitimes de tous les membres. En fait, si la discrimination a un lien logique avec le devoir syndical et que l’objectif est louable, même si l’effet discriminatoire est disproportionné, il y aura beaucoup moins d’interventions des tribunaux en appui au salarié93

(Brunelle, 2001 : 229). En outre, l’identification d’un lien rationnel entre les objectifs et les distinctions faites par le syndicat afin d’en arriver à la réalisation de ceux-ci termineront le processus d’analyse. En fait, la décision Noël rendue par la Cour suprême du Canada en 2001 viendra confirmer que le syndicat n’est pas tenu à une obligation de résultat en vertu de son devoir de représentation.

[…] [62] Étant donné la réalité quotidienne des conventions collectives, l’interprétation des sentences arbitrales, ainsi que la richesse foisonnante du contentieux en cette matière, un syndicat ne saurait être placé dans l’obligation de contester au gré du salarié intéressé toutes et chacune des sentences arbitrales, même en matière de congédiement, pour le motif d’irrationalité de la décision. L’employeur et le syndicat ont en principe le droit de bénéficier de la stabilité découlant de l’art. 101 C.t. qui dispose que ‹‹ la sentence arbitrale est sans appel, lie les parties et, le cas échéant, tout salarié concerné […] ››. Le contrôle judiciaire ne doit pas être perçu comme un moyen de contestation normal ou comme un droit d’appel. Même en matière de mesure disciplinaire et de congédiement, le processus usuel prévu par la loi s’arrête donc à l’arbitrage. Cette procédure représente le mode normal et exclusif de règlement des conflits que provoque l’application des conventions collectives y compris en matière disciplinaire. Notre Cour a d’ailleurs rappelé fortement ce principe d’exclusivité et de finalité dans l’arrêt Weber c. Ontario Hydro [1995] 2 R.C.S. 929, p. 956-957 et 959, le juge McLachlin. Cette approche veut aussi décourager des contestations à caractère

92Noël c. Société d’énergie de la Baie James, [2001] 2 R.C.S. 207, 2001 CSC 39, ci-après appelé la décision ou l’arrêt Noël.

93 Si un salarié ayant subi un renvoi ou une mesure disciplinaire, croyant avoir été victime de harcèlement psychologique selon les articles 81.18 à 81.20 de la Loi sur les normes du travail (chapitre N-1.1), ou croyant que l'association accréditée contrevient à cette occasion à l'article 47.2, il doit, s'il désire se prévaloir de cet article [47.3 C.t.], porter plainte et demander par écrit à la Commission d'ordonner que sa réclamation soit déférée à l'arbitrage dans un délai maximal de six mois.

collatéral de litiges qui trouvent, en règle générale, leur règlement définitif dans le mécanisme d’application des conventions collectives. Le contrôle judiciaire par les cours supérieures est un principe important, mais il ne saurait permettre au salarié de remettre en cause cette expectative de stabilité des relations de travail dans un contexte de représentation syndicale. Permettre au salarié d’agir à l’encontre de la décision de son syndicat en ayant recours au contrôle judiciaire lorsqu’il estime la sentence arbitrale irrationnelle serait une violation de l’exclusivité de la fonction de représentation du syndicat, de l’intention législative de finalité de la procédure arbitrale et mettrait en péril l’efficacité et la rapidité de cette dernière. (Nos soulignements)

Par ailleurs, la revue de la jurisprudence (sur laquelle nous reviendrons plus en détails au chapitre 2 traitant du droit à l’égalité) démontre que lorsque l’on applique la Charte québécoise, l’intention de discriminer ou non demeure sans pertinence à ce niveau, puisque la présence d’un effet discriminatoire suffit pour qu’il y ait atteinte au droit à l’égalité. Dans les faits, ceci signifie que le fardeau de la preuve sera fort différent selon le sens donné à la discrimination.

Le fardeau de la preuve : la discrimination au sens du Code du travail

Lorsqu’une plainte est déposée en vertu des articles 47.2 et 47.3 C.t., le fardeau de la preuve repose généralement sur le travailleur. Selon Brière (2005 : 165-178), cela n’est pas sans causer certains problèmes, car on accorderait une trop grande impunité au syndicat94. Afin d’atténuer ces

difficultés, Veilleux (2008 : 111) propose que l’on demande au syndicat de justifier la conduite adoptée après avoir d’abord reçu une preuve préliminaire du salarié, démontrant d’une part qu’il respecte les conditions d’admissibilité et d’autre part qu’il invoque des motifs sérieux. Cette solution, l’imputation du fardeau de la preuve au syndicat, ne requiert pas selon Veilleux (2008 : 111) de changement dans la formulation du devoir syndical de représentation, puisqu’en 2006, la Cour d’appel a déjà imposé au syndicat l’obligation de démontrer que la décision prise était « raisonnable compte tenu de l’ensemble des circonstances »95. Toutefois, comme le rappellent justement Coutu et coll. (2013 : 478) :

94 D’ailleurs, Brière recommande une révision concernant ce fardeau de la preuve en cas de plainte au manquement du devoir de juste représentation.

95 Syndicat national des employé(e) s du Centre de soins prolongés Grace Dart (CSN) c. Holligin-Richards, C.A.,

L’obligation pour le syndicat de représenter de manière juste et équitable l’ensemble des salariés membres de l’unité de négociation s’inscrit pleinement […], dans la logique du principe du monopole de représentation imposé par le Code du travail. […] De plus, le devoir de représentation concède une large marge de manœuvre au syndicat quant à la négociation et à l’application de la convention collective. Ce n’est qu’en des circonstances bien précises que les intérêts du salarié peuvent être directement pris en considérations pour venir limiter la discrétion syndicale. […] L’article 47.2 C.t. fait donc partie de ces disposition du Code du travail qui assurent […] la fermeture opérationnelle du droit des rapports collectifs en le mettant à l’abri des interventions du droit civil, en particulier qui, lui, demeure, malgré l’introduction de divers éléments relevant d’une logique davantage sociale que libérale, un droit foncièrement individualiste.

Cela étant, les auteurs (Coutu et coll., 2013 : 471) mentionnent aussi que « ce recours pour manquement au devoir de représentation a été conçu pour préserver l’intégrité du principe du monopole de représentation. […] Il s’agit d’un processus long, complexe et hasardeux, puisqu’il implique deux processus : d’abord devant la CRT et ensuite, le cas échéant, devant l’arbitre ». Par ailleurs, lorsque que l’on prend en compte le recours, du point de vue syndical, surtout depuis son élargissement en 2004 à toutes les situations de négociation et d’application de la convention collective et de harcèlement psychologique, les auteurs conviennent également que cela représente un très lourd fardeau imposé aux associations de salariés (Coutu et coll., 2013 : 491).

Le fardeau de la preuve : la discrimination au sens de la Charte

Il en serait autrement avec la justification d’une distinction prima facies (discrimination) interprétée à la lumière des textes fondamentaux. En effet, la jurisprudence établit que la rationalité n’est que le premier volet des trois critères de la proportionnalité, les deux autres étant une atteinte minimale aux droits à l’égalité et l’importance de l’objectif. Donc, s’il y a violation du principe d’égalité, le syndicat contrevenant devrait faire la preuve qu’il n’existe pas d’autres moyens moins contraignants pour l’atteinte de ses objectifs96 (Brunelle, 2001 : 232-236). Toutefois, une étude de

Veilleux (2008 : 115) démontre que « très peu de décisions portent sur un problème de discrimination

96 Intervient ici la notion de contrainte excessive qui demande que la distinction ne soit pas seulement raisonnable, mais aussi nécessaire.

au sens de la Charte ». En se basant notamment sur l’affaire Maltais97, cette étude de Veilleux (2008) faisait ressortir trois principales obligations en matière de devoir syndical de représentation en cas de discrimination alléguée. La première en est une d'information, d’éducation et de soutien aux membres quant à la portée de la convention collective et à l’étendue de leurs droits. La deuxième obligation concerne le devoir d’enquêter, surtout en cas de discrimination, puisque la notion d’accommodement raisonnable transcende la convention collective. La troisième commande au syndicat de mettre en œuvre la mesure d’accommodement qui s’impose (pas nécessairement la moins dispendieuse, ni la moins contraignante). Cela étant, selon Veilleux (2008 : 115), il est « permis de constater une augmentation du devoir de juste représentation du fait que la jurisprudence indique de manière beaucoup plus précise les obligations sous-jacentes de ce devoir, qu’elle en ajoute, tout en modulant leur niveau d’intensité ».

Il en résulte que le syndicat a l’obligation d’aider le travailleur à préparer, à déposer et à mener à terme son grief. Le salarié doit raisonnablement être en mesure de faire confiance à son syndicat. En contrepartie, celui-ci a le devoir de coopérer dans la préparation de son dossier. De plus, une étude sérieuse doit démontrer « la justesse et la suffisance de la cause alléguée lors d’un congédiement » (Veilleux, 2008 : 116-117). L’application aveugle de la convention collective ne sera pas acceptée. La CRT s’assura donc que le syndicat a fait un examen approfondi de la situation avant de refuser de porter un grief en arbitrage. Il s’agit donc d’un exercice allant bien au-delà du fait de ne pas gêner les efforts consentis par l’employeur et qui nécessitera à l’occasion des campagnes de sensibilisation auprès des membres, puisqu’un traitement différent ne doit pas s’interpréter comme un privilège. Selon Veilleux (2008 : 115), « ces obligations des syndicats seront les mêmes en vertu de la convention collective, des Chartes ou des autres lois, mais leur intensité pourra varier en raison des circonstances en présence ou des droits invoqués ». Toutefois, les propos de Coutu, Fontaine et Marceau (2009 : 440 et 458) indiquent un désaccord avec cette affirmation. Effectivement, pour ces auteurs, il appert que la notion du devoir syndical de représentation sera plus contraignante en matière de droits fondamentaux, ce qui reflète au demeurant l’évolution de la jurisprudence de la CRT en la matière.

97 Maltais c. Section locale 22 du syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP), CRT 2006-06-20, 2006 QCCRT 0316, voir également Chhuon c. Association des employés du Groupe Holliday

inc.2005 QCCRT115; Roy c. Syndicat de la fonction publique du Québec Inc., 2004QCCRT359 ; Gilbert c. Syndicat des constables spéciaux du Gouvernement du Québec, 2010 QCCRT 183 ; Comp. Lahrache c. Association internationale des machiniste et des travailleurs en aérospatiale, section locale 712,2011 QCCRT

Considérant ces larges pouvoirs dévolus à la CRT, nous aimerions maintenant introduire brièvement cette instance disposant de si larges pouvoirs en matière de régulation des rapports collectifs du travail, en nous attardant sur le devoir de représentation.

1.4.4 La Commission des relations du travail (CRT) en matière de devoir