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CHAPITRE I — LA TRAJECTOIRE SOCIALE DE LÉONORA

3. Prises de position

Miano envisage la négritude comme un patrimoine, préalable nécessaire à la création littéraire africaine contemporaine. Le mouvement aurait épuisé certaines nécessités (revendications, revalorisation de l’Homme noir etc.), permettant aux textes actuels de « s’autoriser un retour à soi plus profond89

». Pour autant, Miano se détache de la quête de l’authenticité culturelle, qui est non seulement parasitée par le fait que les écrivains usent de langues et de genres qui leur viennent du monde occidental mais aussi par un état de fait : « être un subsaharien de notre temps, c’est précisément avoir été nourri d’apports extérieurs à l’Afrique, et n’être pas en mesure de les congédier sans se condamner à mort. C’est donc répudier avec lucidité les fantasmes de pureté […]90

. Miano développe ainsi une approche du créateur littéraire africain centrée sur le retour à soi, l’intime, dans laquelle elle voit la

88 Cécile Daumas, « Lettre indomptable », art. cit.

89 Léonora Miano, « Littératures subsahariennes : la conquête de soi », dans L’impératif transgressif, Paris, L’Arche, p. 43.

véritable authenticité soit «  d’abord une fidélité à soi-même, […] l’enracinement de l’individu dans son propre vécu91  ». Cet intime se tisse à même le traitement du personnage car les «  questions sociales, politiques, mémorielles, aussi importantes soient-elles pour les écrivains, ne sont que l’écume des choses. Ce n’est pas sur ces éléments que repose le texte littéraire mais sur la matière humaine92  ». Le personnage est le tremplin vers l’universel, il traduit la part d’humanité de tous. Le texte littéraire est donc toujours porteur, chez Miano, d’une parole sur le monde, «  […] le Je est politique, passible de censure sous certaines latitudes. […], le geste artistique est en soi un manifeste politique93  ». Toutefois, Miano estime que le créateur africain ne croit pas en son universalité :

Il existe une contradiction entre la liberté […] pour ce qui est de la forme ou des sujets, et une certaine défaillance lorsqu’il est question de caractérisation. Or, ce n’est ni à la langue, ni au décor que le lecteur s’identifie pour reconnaître son semblable, son double. […] Il nous appartient de retourner à nous-mêmes, non pas dans la négation des mutations historiques, mais pour nous défaire absolument de l’illusion savamment ourdie afin que nous ne soyons, à nos propres yeux, que l’image façonnée par d’autres. C’est à nous qu’incombe la tâche de dire, non pas comment nous sommes, mais qui. C’est à ce prix qu’auront lieu les nécessaires échanges qui manquent encore. Nous voudrions être entendus, mais qu’avons-nous réellement à dire  ? Quels sujets sommes- nous dans nos propres textes  ?94

Miano tient donc le créateur littéraire africain pour quelque peu entravé. Cela relève également de son imaginaire et des non-dits d’une littérature, qui manque de poser une parole sur certains sujets, dont la Traite transatlantique. En cela, l’écrivaine dresse un constat plutôt pessimiste de l’état des lettres africaines, questionnant la primauté donnée en France, aux textes de ses pairs masculins, faisant usage de l’humour :

Les livres que nous écrivons disent, et très clairement, où nous en sommes en ce qui nous concerne au plus profond. Ceux que nous n’écrivons pas aussi. La parole qui n’ose pas s’énoncer, s’écrire, sous prétexte de ne pas se confronter au grand dérangement induit par des questions difficiles, est une parole immature. Le risque est qu’elle ne soit rien de plus qu’un bavardage. Que disent les littératures subsahariennes produites en

91 Léonora Miano, « Littératures subsahariennes : la conquête de soi », dans L’impératif transgressif, Paris, L’Arche, p. 46.

92 Ibid., p. 48.

93 Léonora Miano, « L’impératif transgressif », dans L’impératif transgressif, Paris, L’Arche, p. 111. 94 Léonora Miano, « Littératures subsahariennes : la conquête de soi », loc.cit., p. 62 - 63.

français de fondamental à l’heure actuelle  ? Il faut se le demander. Que chacun interroge les visées de son écriture. Dire ce que l’on souhaite est une liberté inaliénable. N’avoir envie de dire que des choses qui ne vous font pas souffrir, qui ne vous forcent pas à entreprendre la traversée de vos propres ombres, est extrêmement problématique. Ne produire que des littératures descriptives et donc divertissantes — l’effroi étant lui aussi une source de divertissement comme le démontrent les films d’horreur — quand on espérerait qu’elles soient également analytiques, porteuses de sens, est certainement dramatique. Pour l’instant, il semble que les littératures francophones au sud du Sahara passent à côté de leur parole propre, parce qu’elles sont les premières à la craindre. Alors, leur voix continuera à manquer au monde, dans la mesure où elles n’auront pas su donner une signification réelle à toute l’expérience humaine des Subsahariens95.

Si Miano considère que le créateur littéraire africain est enclavé par son propre imaginaire, elle prend également position contre l’Académie (édition, universitaires, critiques), bref le système littéraire dont dépend le créateur africain et dans lequel, dans l’état actuel des choses, il ne pourra jamais vraiment prétendre à l’universel. La position du créateur africain l’oblige à dépendre de l’édition occidentale, mal nécessaire qui peut toutefois influer sur sa production. L’auteure semble justifier une certaine réception de ses œuvres par cet état de fait :

L’effet immédiat de ce manque d’autonomie est que les textes en question sont d’abord lus par un lectorat européen, et j’inclus dans cette catégorie ceux des Subsahariens installés en Europe qui lisent ces romans. En effet, cette catégorie de lecteurs, même si elle a des attaches avec l’Afrique, même si elle en possède souvent la culture, vit, en Europe, sous le regard de l’autre, dans lequel elle a besoin de se sentir valorisée. Cet état de fait a tendance à biaiser la lecture, et j’ai pu l’éprouver à diverses reprises96.

D’autre part, Miano dénonce la lecture thématique des auteurs africains, la recherche effrénée du référent africain et d’une vérité à retirer sur sa condition, l’uniformisation du continent, ainsi qu’une vision essentialiste soit une «  esthétique clairement identifiable, [une] parole de fond, qui soit différente de celle énoncée ailleurs dès lors qu’on aura été

95 Léonora Miano, « Littératures subsahariennes : la conquête de soi », loc.cit., p. 67 - 68.

96 Léonora Miano, « Lire enfin les écrivains subsahariens », dans Habiter la frontière, Paris, L’Arche, p. 38 – 39.

dominé et fantasmé par l’autre97  ». En somme, à ses yeux, parler de littérature africaine devient une aporie, d’où le fait qu’elle privilégie le terme de littérature subsaharienne. Pour elle, les auteurs devraient ainsi être jugés à l’esthétique, non à une appartenance commune, fourre-tout et généraliste.

La volonté de déterritorialiser le texte, de le démettre des étiquettes idéologiques expliquent que Miano se tienne loin du qualificatif francophone, dans ce qu’il peut traduire de paternalisme français, vestige de la domination coloniale. La francophonie, pour Miano, renvoie toujours à la périphérie. Politiquement parlant, elle est démentie par le peu de représentation et d’inclusion des subsahariens dans les sphères sociales, politiques, artistiques en France, par exemple, ainsi que par le peu d’usage fait du français dans des pays où il est pourtant langue officielle. Littérairement parlant, elle se traduit par la sécularité des auteurs africains. Miano entretient la vision d’une francophonie panafricaine «  qui permet d’envisager le français comme un lien avec les diasporas francophones d’Europe et des Amériques au sens large98  ». Cette francophonie servirait à diffuser une voix qu’elle nomme afrophonie.

[…] la parole afrophonique est transnationale et culturellement transversale. Elle traverse et relie tous ces mondes afros. L’afrophonie, telle que je l’envisage, est le discours qui s’énonce entre Subsahariens, pour penser leurs relations et ce que doit être l’apport du continent à la marche du monde. […] De même qu’elle récuse en son sein toute domination linguistique, l’afrophonie reconnaît la pluralité des trajectoires historiques et les célèbre dans l’égalité. Valorisant les langues organiques des peuples dont elle émane, leurs spiritualités, leurs sensibilités au monde, l’afrophonie s’empare de tout autre langage à sa portée, afin de communiquer, à l’humanité, son message particulier. La désaliénation ne consiste pas en la répudiation de tout élément venu d’Occident, mais dans le choix du rôle à lui attribuer, dès lors qu’il a été identifié comme utile. Il est tout à fait possible d’avancer dans le sens de soi-même, de passer par la porte ouverte du français pour partager d’autres langues entre Subsahariens, avec les Afrodescendants et l’humanité dans son ensemble99.

L’appellation de francophonie, pour Miano, suppose encore une hiérarchisation autour de l’épicentre qu’est la France. Ainsi, l’écrivain ou les littératures qui se présentent sous ce

97 Léonora Miano, « Lire enfin les écrivains subsahariens », loc.cit., p. 37. 98 Léonora Miano, « L’impératif transgressif », loc.cit., p. 98.

terme seront toujours exotisés et renvoyés à une marginalité contre-productive  ; en bref : aliénés. Léonora Miano veut éviter de figer l’écriture dans des appartenances politiques, territoriales et sociales. Elle ne croit d’ailleurs pas aux concepts de nation, territorialisme etc. qui sont autant de barricades (fascisantes, selon elle) par lesquelles on rejette l’Autre, étranger littéraire ou humain, en se repliant sur soi, en refusant de penser son intégration. Il s’avère en fait que rien chez l’individu n’est naturel et que tout n’est que construction sociale et historique : son pays de naissance, par exemple, existe à cause de la colonisation. Les ethnies qui y vivaient n’avaient pas le projet Cameroun. Dans cette perspective, on ne peut comprendre (ou réduire) un texte ou un auteur en fonction du sexe, de la langue ou de l’appartenance : « Il n’y a que deux sortes de littérature : la bonne et la mauvaise100

». En somme, on ressent ici que l’écrivain, « lui dont l’aspiration à l’universel est connue n’accepte pas bien son enfermement dans le système littéraire. Il rêve d’un lieu social où la littérature n’existerait que comme la valeur donnée au langage et dont la littérature moderne produit le mythe, en réaction à sa structure même101

».

En fait, cette aspiration à dépasser toutes formes de clivages est en résonnance avec l’hybridité culturelle de l’auteur, ce lieu de rhizome qui « rappelle, à ceux qui croient en la fixité des choses, des identités notamment, que non seulement la plante ne se réduit pas à ses racines, mais que ces dernières peuvent être rempotées, s’épanouir dans un nouveau sol102

». Pour cette raison, Miano s’est attachée au terme d’afropéen103

, « catégorie de personnes d’ascendance subsaharienne plus ou moins récente, avec des attaches européennes fortes104», dans une volonté de désigner une réalité négligée mais qui s’inscrit bel et bien dans le présent et définitivement dans le futur français et global. Ainsi, l’on a pu observer un discours plus

100 Alain Mabanckou, « Portraits d’écrivains (1). Dix questions à Léonora Miano : "Laissons les étiquettes aux commerçants et aux esprits sans imagination ! », art. cit.

101 Jacques Dubois, L’institution de la littérature, op.cit., p. 160. 102 Léonora Miano, « Habiter la frontière », loc.cit., p. 25.

103 David Byrne, « membre fondateur du groupe Talking heads […] souhaitait produire des artistes dont le travail permettrait d’explorer un continent aux contours fictifs qu’il avait baptisé Afropea, pour symboliser l’influence des cultures subsahariennes sur l’Europe […] Marie Deaulne [Zap mama] fut une des premières artistes à se présenter comme afropéenne. […] Si Afropea symbolise, pour David Byrnes, l’influence des cultures subsahariennes sur l’Europe, j’ai choisi d’utiliser ce mot pour explorer l’âme des Européens noirs. Léonora Miano, « Les noires réalités de la France », dans Habiter la frontière, Paris, L’Arche, p. 83-85. 104 Léonora Miano, « Afrodescendants en France : représentants et projections », dans Habiter la frontière, Paris, L’Arche, p. 139.

politisé, depuis 2008, qui semble aussi aller avec l’état de la société française et une légitimité littéraire :

Depuis 2007, la France n’est plus le pays que j’ai connu en arrivant en 1991, ni celui que je peux me représenter. Un pays imparfait, certes, mais où l’on est curieux de l’autre, où la culture importe, de même qu’une certaine forme d’élégance. On a réussi à presque tout saccager en très peu de temps. On ne pourra pas faire comme si rien ne s’était passé, comme si on n’était pas descendus aussi bas dans la vulgarité, dans l’agressivité à l’égard de l’étranger ou de ceux qui représentent l’étranger105.

Les tribunes106 que signent Léonora Miano dans le magazine Libération témoignent d’une France encore au stade de projet. Monochromatique, repliée, peu représentative de sa diversité dans les milieux sociaux107 et politiques, elle reste attachée à l’idée de race et de souche. Dans ces papiers, elle s’exprime au « nous » des minorés, affirmant leur travail à l’élaboration de la société Française. Sa défense d’Adama Traoré lui permet d’interroger ce que pourrait être le vivre-ensemble français et comment, dans une société « viriarcale », son mot, de jeunes hommes noirs pourront définir leur masculinité, en regard de l’oppression du pouvoir :

Les violences policières telles qu’infligées aux personnes d’ascendance subsaharienne sont l’expression la plus achevée du refus de partager avec elles l’espace public, sur des bases égalitaires. Parce qu’elles sont une prise par effraction des corps et qu’elles sont potentiellement létales, elles aggravent la violence psychologique que font déjà peser les discriminations à l’embauche ou au logement par exemple. Elles incarcèrent ces corps agressés dans l’expulsion du genre humain qui caractérise le racisme envers les Subsahariens et les Afrodescendants.

Le décès tragique d’Adama Traoré, qui a ému et mobilisé comme rarement en pareil cas, nous oblige à répondre à des questions précises : selon quelles modalités allons-nous vivre ensemble et faire advenir, dans notre quotidien, ce que promet la devise de la nation française  ? À quelles vies trouvons-nous suffisamment de valeur pour estimer qu’elles méritent d’être pleurées  ? Vers quel avenir nous acheminons-nous en acceptant que tant parmi nous ne vivent que d’amertume  ? J’emprunte à Louis Calaferte ce propos sur l’amertume, et les mots qui suivent : Le monde est nous tous ou rien. L’abri de votre

égoïsme est sans effet dans l’éternité. Si l’autre n’existe pas, vous n’existez pas non

105 Sabine Cessou, Léonora Miano, un auteur qui dérange, [en ligne]. http://www.slateafrique.com/83491/leonora-miano-un-auteur-qui-derange-cameroun [Site consulté le 20/09/2016].

106 La pensée réac’ tombe le masque et Marianne et le garçon noir.

107 Elle explique avoir retiré une de ses pièces, choisie pour être lue à la Comédie-Française. Les acteurs étaient tous blancs alors que la pièce met en scène des subsahariens et des afro-descendants : « il s’agissait d’intégrité, pas de stratégie ».

plus108.

Miano a déjà eu à exprimer le non-sens du rejet de l’Autre, dans le contexte contemporain, et surtout européen. Son discours médiatique dénonce, certes, mais il exprime également un appel à repenser les notions d’identité, d’intégration et d’appartenance au sol français. Il n’enjoint pas au repli communautariste. Miano a pu, lors d’un débat télévisé109

, expliciter sa position, au regard des attaques racistes qu’avaient subies Christiane Taubira en 2013. Selon elle, la disparition du monde connu, ainsi qu’elle le désigne, ne peut être endiguée. D’ailleurs, les peuples subsahariens l’ont déjà subie et y ont survécu. Les flux migratoires se déplacent avec leur bagage identitaire entraînant une mutation de l’Europe et il faut accepter ce qui est déjà en marche, y réfléchir politiquement. Les tenants d’une position contraire à la sienne s’hérissent de son propos, qui, à leurs oreilles, résonne sans doute comme l’énonciation lucide et apaisée d’une forme de théorie du grand remplacement. Miano la nomme post-occidentalité, « qui n’est pas la négation du substrat européen, mais sa transformation110 ».

Les prises de position de Léonora Miano démontrent que l’auteure est engagée dans

un processus de redéfinition qui se veut totalisant : théorisant à la fois sur l’identité et la place actuelle de l’africain ou de l’afropéen en Afrique et en Europe, mais aussi sur le rôle du créateur subsaharien, pris dans un jeu institutionnel qui le dessert, à bien des égards. Miano convoque donc « la nécessité de considérer la pratique littéraire en tant que démarche à la fois philosophique — au sens de : philosophie de vie — et politique111 ». Conséquemment, sa prise de parole intervient dans les champs littéraire et social, tels qu’ils se présentent actuellement. Toutefois, elle met en lumière deux apories, que ses dispositions et positions tendent à confirmer. Primo, les propos de Miano traduisent un désir de réformer la prise de parole littéraire subsaharienne112

alors qu’elle affirme et cultive elle-même la solitude du

108 Léonora Miano, « La pensée réac’ tombe le masque », dans Libération, [en ligne], http://www.liberation.fr/debats/2015/10/16/leonora-miano-la-pensee-reac-tombe-le-masque_1405737

109 Émission Ce soir ou jamais, 2013.

110 Léonora Miano, « Les noires réalités de la France », dans Habiter la frontière, Paris, L’Arche, p. 87. 111 Léonora Miano, « Littérature subsahariennes : la conquête de soi », dans L’impératif transgressif, Paris, L’Arche, p. 40.

112 Qui trouve également son expression dans sa volonté de s’établir en institution par la création d’un prix littéraire ou d’insérer les littératures francophones dans le domaine des Africana Studies par diverses communications à l’endroit de l’institution universitaire.

créateur africain. Secundo, elle défend l’importance d’aborder les évènements traumatiques tel que la Traite, donc son propre travail littéraire, et, par ailleurs, la singularité scripturale propre à tout auteur, tout en questionnant et rejetant la pratique d’écriture de certains, comme l’utilisation de l’humour, qui conforte les préjudices occidentaux. Mais, comme il a été évoqué dans le courant de l’analyse, son traitement de l’Histoire africaine peut lui aussi faire le jeu d’une certaine grille de lecture. En ce qui concerne le créateur africain, il ne s’agit donc pas toujours de privilégier certaines thématiques pour que sa parole soit non seulement valide, pertinente au sujet africain ou afropéen mais aussi qu’elle échappe à l’équivoque occidentale.

En outre, prise dans un jeu littéraire qu’elle dénonce, Miano trouve en lui la légitimation et la visibilité à produire un discours totalisant, réformateur, prospectif, bref un discours d’intellectuelle, qui infirme la position d’artiste constamment revendiquée :

Concrètement, l’autorité proprement artistique ou scientifique s’affirme dans des actes politiques comme le j’accuse de Zola et les pétitions destinées à le soutenir. Ces interventions d’un type nouveau tendent à maximiser les deux dimensions constitutives de l’identité de l’intellectuel qui s’invente, à travers eux, la «  pureté  » et «  l’engagement  », donnant naissance à une politique de la pureté qui est l’antithèse parfaite de la raison d’État. Elles impliquent en effet «  l’affirmation du droit de transgresser les valeurs les plus sacrées de la collectivité — celles du patriotisme par exemple [dans le cas de Miano du nationalisme ou de l’identité nationale] […] —, au nom de valeurs transcendantes à celles de la cité ou, si l’on veut, au nom d’une forme particulière d’universalisme éthique et scientifique qui peut servir non seulement de fondement à une sorte de magistère moral mais aussi à une mobilisation collective en vue d’un combat destiné à promouvoir ces valeurs113  ».

En sommes, si Léonora Miano aspire à l’Universel, dans le monde littéraire et social, son hybridité identitaire tend, par sa prise de parole, à se manifester de manière bien circonscrite. Le champ intellectuel et l’imaginaire qu’elle convoque sont ceux du monde noir, passé ou contemporain, mais sa parole engagée tend essentiellement à drainer le contexte politique français. Dépassant l’harmonie apparente, c’est sur une tension entre les diverses affiliations géographique et culturelle et la volonté d’ancrage dans le sol français, avec lequel un profond sentiment d’appartenance transparaît, que se construit la trajectoire de l’écrivaine.

Pour ces raisons, l’intertexte et l’intermédialité sont une des caractéristiques significatives de son esthétique et servent à repenser l’incidence de l’Histoire sur le présent du monde actuel,