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La prise en compte de la nécessité de préserver l’ordre public face aux principes

Section 2 : Une articulation nécessaire avec les autres exigences de valeur constitutionnelle

A) La prise en compte de la nécessité de préserver l’ordre public face aux principes

L’ordre public est l’ensemble des « normes impératives dont les individus ne peuvent s’écarter ni dans leur comportement, ni dans leurs conventions (article 6 du code civil) »309. De façon plus générale, il

s’agit de l’ensemble des normes correspondantes à l’ensemble des exigences fondamentales dans une société.

En réalité, le Conseil constitutionnel affirme seulement qu’il s’agit d'un objectif de valeur constitutionnelle310, ce qui lui permet d’opérer des censures, néanmoins il ne définit pas la notion. C’est

pour cette raison que l’on y rattache traditionnellement les composantes de l’ordre public dégagées par le droit administratif (bonne ordre, sûreté et salubrité publique)311.

Le Conseil constitutionnel affirme que le législateur doit opérer une conciliation entre les exigences constitutionnelles et la prévention des atteintes à l’ordre public. Il opère donc une conciliation nécessaire mais modérée avec le principe de de l’ordre public (1), alors même certains requérants l’invitent à adopter une position plus volontariste visant la satisfaction de l’ordre public (2).

1- Une conciliation nécessaire mais modérée

Comme le relève Pauline GERVIER dans sa thèse, « l’histoire constitutionnelle atteste une faible consécration de la notion d’ordre public. De même, sa fonction de limitation des droits et libertés, en vue d’en protéger l’exercice en société, ressort peu des textes »312.

L’examen de la jurisprudence du Conseil constitutionnel confirme cette vision des choses. En effet, à travers les décisions récentes rendues en matière de justice pénale des mineurs, la prévention des

309 G. CORNU, op. cit. n° 38, « ordre public », p. 714

310 Conseil constitutionnel, n° 2016-567/568 QPC, 23 septembre 2016, paragraphe n° 8 : « Toutefois, en ne soumettant le

recours aux perquisitions à aucune condition et en n'encadrant leur mise en œuvre d'aucune garantie, le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et le droit a u respect de la vie privée »

311 Arrêt Labonne rendu par le Conseil d’Etat le 08 août 1919, devenu pour les maires, l’article L.2212-2 du Code général des

collectivités territoriales et pour les préfets, l’article L.2215-1 du même code

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atteintes à l’ordre public, n’est évoquée que comme un élément des normes de contrôle du juge constitutionnel313.

Il est également important de noter la place qu’occupe cet objectif à valeur constitutionnelle dans la liste, c’est-à-dire en dernier, sous forme d’un « considérant, enfin, que ». Cette formule permet au Conseil constitutionnel d’introduire la notion de « conciliation » entre ces principes constitutionnellement garantis.

Il est toujours plus difficile d’exposer une notion dans une décision de validation, mais il est possible de supposer que par-là même, le Conseil constitutionnel temporise cet élément pour n’en faire que l’utilisation si une disproportion apparaissait frontalement entre les exigences de préservation de l’ordre public et les principes de la justice pénale des mineurs. Il s’agirait peut-être d’un législateur pris d’un formidable élément de bienveillance, qui interdirait formellement de mettre en œuvre des sanctions pénales à l’encontre de mineurs délinquants.

Ces observations sont confirmées notamment dans le rapport rendu à la Ministre de la Justice par la Commission VARINARD, le 03 décembre 2008314 mais également parce que le législateur semble avoir

fait sienne cette interprétation315. A l’appui des recours, les arguments pour une conception différente

de l’ordre public sont fréquents, même si tendre vers une telle prise en compte n’est pas nécessairement souhaitable.

2- Le recours ignoré à l’ordre public

Le Conseil constitutionnel fait donc une application très mesurée du principe de préservation de l’ordre public. Il existe pourtant des arguments qui permettraient de fonder une évolution de ce contrôle de proportionnalité entre les principes relatifs à la justice des mineurs et la nécessité de préserve l’ordre public. A ce titre, l’observation des éléments avancés par les requérants est riche d’informations. Il est possible d’observer en effet que, les requérants dans la saisine à priori du Conseil constitutionnel, ont évoqué plusieurs fois l’ordre public dans une optique plus protectrice du PFRLR relatif à la justice pénale des mineurs délinquants.

313 Voir Conseil constitutionnel, n° 2007-553 DC, 03 Mars 2007, considérant n° 11 ; voir également Conseil constitutionnel,

n° 2011-635 DC, 04 Août 2011, considérant n° 35 ; voir également Conseil constitutionnel, n° 2011-625 DC, 10 mars 2011, considérant n°8, sur une disposition relative à la liberté de communication

314 Commission de propositions de réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 relative aux mineurs délinquants, 03 décembre

2008 : « Ce que le Conseil constitutionnel semble clairement signifier c’est que, alors qu’une loi concernant les mineurs lui

est soumise, il procèdera à un contrôle de proportionnalité pour la prise en compte des exigences contradictoires que sont les principes relatifs au droit pénal des mineurs et d’autres exigences comme la prévention des atteintes à l’ordre public […]. Ce qui importe c’est donc la recherche d’un équilibre et une censure du Conseil impliquerait le sacrifice délibéré par le législateur de l’une des trois exigences relevées dans le principe directeur dégagé en 2002 ».

315 Observation du gouvernement sur les recours dirigés contre la loi relative à la prévention de la délinquance : « En fixant les

règles critiquées relatives au droit pénal des mineurs, le législateur s'est ainsi borné à concilier les exigences constitutionnelles invoquées par les recours avec la nécessité de prévenir les atteintes à l'ordre public ».

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A la différence du contrôle opéré par le Conseil constitutionnel, l’ordre public n’est pas ici envisagé comme une limite mais comme un élément à satisfaire. C’est dans cette optique que les rédacteurs de la saisine critiquent l’élargissement des critères permettant de recourir à la procédure de comparution à délai rapproché dans la loi relative à la prévention de la délinquance. Selon ces parlementaires, le gouvernement ne justifie pas en quoi l’ancienne procédure n’aurait pas suffi à « satisfaire la nécessaire préservation de l'ordre public »316.

Il faut cependant relever que cette analyse ne prend pas en compte le fait que la nécessité de préserver l’ordre public n’est pas un objectif en lui-même, mais au contraire un moyen de limiter les libertés. Pour ainsi dire, l’ordre public, c’est la vie en société, et des limitations n’interviennent que pour empêcher que des troubles ne surviennent.

Il est pourtant possible, voir même souhaitable qu’un approfondissement du contrôle intervienne dans la jurisprudence du juge constitutionnel, mais si c’est le cas ce ne sera pas dans cette optique. C’est également Pauline GERVIER qui affirme que des changements sont possibles sous l’influence des juridictions européennes, mais que cela se produira certainement par la « mobilisation de dispositions peu utilisées, telles que les articles 4 et 5 de la Déclaration de 1789, permettrait de renforcer l’effectivité des « limites aux limites » aux droits garantis »317.

L’ordre public permet donc au Conseil constitutionnel d’opérer un contrôle modéré mais essentiel, car il vise à protéger l’essence même de ce qui fait notre société. S’il empêche ainsi le législateur de bafouer certains principes fondamentaux en droit pénal des mineurs, il ne doit pas évoluer vers une autonomie, qui n’aurait de toute façon pas de sens. Un approfondissement du contrôle témoignerait néanmoins de la volonté de Conseil constitutionnel de s’approprier de façon plus explicite la protection de certaines normes ayant valeur constitutionnelle tel que le PFRLR relatif à la justice pénale des mineurs. Cela poserait néanmoins la question de la légitimité du recours au pouvoir constituant dérivé et celle de l’évolution de la place de l’ordre public notamment en matière de criminalité organisée.