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La dichotomie éducabilité-responsabilité

Section 2 : La responsabilité comme notion intéressante mais discutable

A) La dichotomie éducabilité-responsabilité

Philip MILBURN définit l’éducabilité comme le principe qui veut que « les juges [considèrent] en premier lieu les possibilités qu’offre le jeune en termes de prise en charge éducative et par conséquent fonder leur décision sur sa « personnalité » et non sur l’acte commis »381. Il s’agit d’un point de vue très

révélateur d’une conception du droit pénal des mineurs délinquants autour de plusieurs notions opposées (1), alors même que cette opposition en réalité est inutile relativement à la protection du mineur délinquant (2).

1- Une différence de point de vue révélatrice

Denis SALAS, juge des enfants au tribunal de grande instance de Nanterre, affirme qu’en France, « on parle davantage […] de justice des mineurs que de « droit » des mineurs compte tenu de la minceur du droit positif et des pouvoirs du juge qui réunit dans ses mains la possibilité de sanctionner et de protéger »382. Il oppose en effet la tradition légaliste et rigide, typique des pays anglo-saxon et la

conception française issue de l’ordonnance du 02 février 1945, que l’on qualifie souvent de « tutélaire » et qui permet de mettre en place un système qui tourne autour de l’éducabilité.

Le modèle légaliste vise à l’application « d’un système régulé par le droit » 383 qui fait dès lors peu de

cas de la situation individuelle du mineur. Cela n’empêche pas que les mineurs soient l’objet de

379 J.-M. CARBASSE, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, PUF, 2006 380 P. MILBURN, Quelle justice pour les mineurs ?, Erès, 2009, p. 42

381 Idem

382 D. SALAS, « Modèle tutélaire ou modèle légaliste dans la justice pénale des mineurs ? », RSC, 1993, p. 238 383 Idem

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sanctions différentes des majeurs. En revanche, dans le modèle tutélaire, les normes sont organisées de façon à laisser une large place au choix du magistrat quant à la recherche d’une solution éducative qui prend en compte la personnalité du mineur et son environnement.

La variable entre ces deux systèmes tient à la place accordée à la notion de discernement. En effet, celle- ci est centrale dans un modèle tutélaire où l’on considère que le mineur ne peut comprendre la sanction que s’il distingue déjà à priori le bien du mal384.

L’ordonnance du 02 février 1945 semble opter pour un modèle tutélaire, sans pour autant abandonner les distinctions entre les mineurs posées par les seuils de réponses pénales. C’est la raison pour laquelle, on oppose souvent les notions d’éducabilité et de responsabilité. Pourtant, cette opposition est totalement inutile.

2- Une opposition inutile

Le Professeur Christine LAZERGES explique très bien pourquoi la notion de discernement a été mal entendue par la doctrine moderne385. Celle-ci a été introduite par les révolutionnaires puis reprise par le

Code pénal de 1810 dans un système qui fonctionne à l’identique pour les majeurs et les mineurs. Cette notion y est alors le point d’équilibre, qui permet aux juridictions d’appliquer des sanctions atténuées aux mineurs, car ceux qui ne sont pas dotés de discernement sont irresponsables pénalement.

Le Professeur LAZERGES rappelle ainsi que s’il était exacte de parler de présomption d’irresponsabilité sous les lois de la Troisième République, cette affirmation devient fausse depuis l’ordonnance du 02 février 1945. En effet, « ni le terme de responsabilité, ni le terme de présomption, ni l'expression de présomption simple ou irréfragable ne sont prononcés »386. Les articles 1 et 2 du texte ne visent qu’à

affirmer un privilège de juridiction, ainsi que l’échelle des mesures et des peines applicables en fonction de l’âge. La consécration du discernement comme cause de responsabilité pénale par la nouvelle rédaction de l’article 122-8 du code pénal, n’a pas fait évoluer les choses.

Il existe très peu de jurisprudence sur la question si ce n’est pour confirmer qu’un mineur de 10 ans peut être relaxé malgré la matérialité des faits « en constatant que le mineur n'avait pas eu conscience de commettre des infractions de nature sexuelle »387.

384 Le Vocabulaire judiciaire (G. CORNU, op. cit n°38) définit le discernement comme « l’aptitude à distinguer le bien du mal,

qui apparaissant chez le mineur, à l’âge de raison (question de fait), le rend capable de s’obliger délictuellement »

385 C. LAZERGES, « De l'irresponsabilité à la responsabilité pénale des mineurs délinquants ou relecture des articles 1 et 2 de

l'Ordonnance du 2 février 1945 », RSC, 1995, p. 149

386 Idem

387 Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 décembre 2006, n° 06-81.379, inédit : l’absence de discernement déduit de

l’absence d’élément intentionnel relève de l’appréciation souveraine des juges du fond et permet de relaxer le mineur malgré le constat souligné de la matérialité des faits

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Un arrêt rappelle encore que dans la situation où un mineur a été relaxé suite au constat fait de son « irresponsabilité pénale fondée sur l’absence de discernement », la juridiction spécialisée perd son pouvoir de se prononcer sur les intérêts civils pouvant être alloués à la victime constituée partie civile388.

Cet article permet enfin de rappeler que le mineur âgé de 5 ans ne peut pas être condamné389.

Au final, il apparait donc bien que si le discernement pris dans le sens de l’éducabilité du mineur est au cœur de la philosophie de l’ordonnance du 02 février 1945, celui-ci n’en demeure pas moins une notion peu utilisée car mal adaptée au contexte légal français. En effet, l’ordonnance met en avant l’argument de la personnalisation des peines en fonction du mineur, elle prévoit également des seuils à partir desquels les différentes mesures ou peines pourront être appliquées au mineur.

Ainsi, il est possible de dire que de facto le système français dispose d’une présomption de responsabilité des mineurs de 10 à 18 ans, et une présomption d’irresponsabilité pour les autres, malgré un système fondé sur l’éducabilité des mineurs. La consécration par la loi Perben I de la notion de discernement dans l’article 122-8390 n’a fait que brouiller les lignes inutilement391, alors même qu’il serait logique de

fixer un seuil de responsabilité pénale dans une société de responsabilisation des individus.