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La mise à l’écart de l’ordre public en matière de criminalité organisée

Section 2 : Une articulation nécessaire avec les autres exigences de valeur constitutionnelle

B) La mise à l’écart de l’ordre public en matière de criminalité organisée

En matière de criminalité organisée, c’est la loi du 09 mars 2004 dite Perben II qui donne le ton. Si l’arsenal juridique s’est énormément développé en la matière depuis ces dernières années, cette loi est particulière en ce qu’elle marque une rupture en faveur d’une orientation purement répressive, à tel point que désormais les règles relatives à la garde à vue sont protectrices à elles seules (1) et qu’elles ne bénéficient que d’un fondement constitutionnel très vague malgré quelques garde-fous (2).

316 Moyen développé au soutien de la saisine du Conseil constitutionnel par plus de soixante députés ou soixante sénateurs, 26

février 2007

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1- Une garde à vue protectrice à elle seule

Il est ici absolument indéniable que cette loi vise à privilégier les moyens coercitifs dans le cadre de la criminalité organisée. Pour s’en convaincre, si c’est encore nécessaire, il est assez éclairant de lire la rédaction de l’article 4 de l’ordonnance du 02 février 1945, avant la loi du 09 mars 2004, et après. On comprend alors aisément les critiques doctrinales qui annoncent parfois la fin de la spécificité du droit pénal des mineurs318.

Alors qu’auparavant, les dispositions allongeant la durée de la garde à vue n’étaient applicables que pour les enquêtes relatives à des trafics de stupéfiant319, la garde à vue prolongée dérogatoire est

désormais applicable à certains mineurs pour les infractions prévues par l’article 706-76 du code de procédure pénale.

Dès lors, il est possible que des mineurs dans le cadre d’enquêtes relatives à des faits de criminalité organisée, soient placés sous le régime de la garde à vue jusqu’à quatre-vingt-seize heures, soit quatre jours.

Le Conseil constitutionnel ne trouve rien à redire à cette situation, allant même jusqu’à affirmer que les dispositions républicaines dont découle le PFRLR relatif à la justice des mineurs ne s’opposent pas à ce que des mesures coercitives soient prononcées. Cette affirmation est très classique, mais elle est le plus souvent soutenue par une référence à un autre principe, tel que l’ordre public qui viendrait donner un fondement constitutionnelle à la limitation d’aller et venir du mineur.

Le juge constitutionnel n’utilise pas cette possibilité ce qui laisse perplexe, car dès lors, il semble nécessaire de comprendre que c’est le régime de la garde à vue qui à lui seul serait protecteur320. Quand

le Conseil constitutionnel lui-même en vient à affirmer que la mise en œuvre d’une garde à vue peut durer quatre jours afin de « protéger les mineurs de tout risque de représailles susceptibles d’émaner des adultes impliqués » (considérant n°38), la seule réaction possible est la déception. Ainsi, la garde à vue est conforme à la Constitution parce qu’il s’agit d’une garde à vue, ce qui illustre le manque total d’effort du juge constitutionnel, pour assoir sa réflexion sur un fondement solide, soutenu par des garde- fous pratiques.

2- Un fondement bien flou mais quelques garde-fous pratiques

Lorsqu’une décision revêt une importance procédurale si grande, on peut légitimement s’attendre à ce que l’instance qui la rend s’appuie sur un fondement très solide. D’une manière très lapidaire, le Conseil constitutionnel fait tour à tour référence à la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République (considérant n° 37), aux nécessités de protéger le mineur contre ses coauteurs ou complices

318 P. GERVIER, op. cit. n°308

319 V. BÜCK, « Contrôle de constitutionnalité de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux

évolutions de la criminalité », RSC, 2005, p. 122

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(considérant n°38) et « aux exigences constitutionnelles propres à la justice des mineurs » (considérant n°39).

Il ne s’agit pas de critiquer la force d’un PFRLR dans le contrôle opéré par le juge constitutionnel, mais de noter qu’un lien aurait pu, ici être fait avec la nécessité de préserver l’ordre public. En effet, cela aurait même été une situation typique d’application du principe dont la nature même est d’ordonner les normes à valeur constitutionnelles entre elles, en leur donnant des limites nécessaires à une bonne articulation des principes entre eux.

Il n’est pas possible de chercher du réconfort dans les références textuelles de la décision, mais on peut tout de même se rassurer en faisant le constat que le législateur n’a pas entendu priver les mineurs de toutes garanties. En effet, en matière de droit pénal des mineurs, la prolongation de la durée de la garde à vue est le seul aspect dérogatoire, pour le reste, c’est le droit commun qui s’applique. Au premier rang duquel, l’assistance obligatoire d’un avocat dès la première heure de garde à vue321, l’information des

titulaires de l’autorité parentale, la consultation par un médecin et l’enregistrement audio-visuel des auditions.

La protection de l’ordre public est une norme à valeur constitutionnelle, ce qui est très intéressant du point de vue de la technique jurisprudentielle. On considère en effet que, l’ordre public sans être repris par les textes constitutionnels est tellement important qu’il doit permettre de servir de norme de contrôle. Le Conseil constitutionnel l’utilise ainsi afin d’apporter des limites à d’autres normes ayant également un rang constitutionnel. Ces limitations sont nécessaires et il est simplement possible de regretter que le juge constitutionnel ne s’engage pas plus, dans la voie de la protection de certains intérêts particuliers comme celui de la justice pénale des mineurs grâce à la notion d’ordre public. En revanche, on s’alarme lorsque le juge constitutionnel ne prend même pas la peine d’y faire référence alors que l’importance de la décision l’aurait mérité. Ceci étant, il est possible d’observer que la notion de préservation de l’ordre public a au moins l’avantage de la souplesse, permettant une conciliation avec le PFRLR relatif à la justice des mineurs, ce qui n’est pas nécessairement le cas avec la nécessité de rechercher les auteurs d’infractions.

321 Sauf droit commun du report de l’intervention de l’avocat (article 63-4-2, alinéa 4 du code de procédure pénale ;

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II. Une conciliation paradoxale avec la recherche des auteurs d’infractions

La notion de recherche des auteurs d’infractions appelle peu de remarque sémantique. Son importance vient du fait que dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel pose le principe selon lequel « lorsqu'il fixe les règles relatives au droit pénal des mineurs, le législateur doit veiller à concilier les exigences constitutionnelles énoncées ci-dessus avec la nécessité de rechercher les auteurs d'infractions ».

Il faut donc en déduire que la nécessité de rechercher les auteurs d’infractions est l’une des composantes de la notion d’ordre public. A ce titre, ce principe doit trouver à s’articuler notamment avec le PFRLR relatif à la justice pénale des mineurs délinquants. Pourtant, cet équilibre est plus difficile à trouver, spécialement à une époque où le législateur opte le plus souvent pour la répression.

Les exigences en matière de protection des mineurs délinquants empêchent ce dernier de finir d’aligner le régime applicable aux mineurs sur celui des majeurs. De ce mélange de contraintes, le législateur fait émerger des adaptations « spéciales jeunes » (A), favorisées par une certaine « culture du fichage »322 (B).